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Le Progrès de Lyon, entre journalisme, groupe bancaire et orientation pro-Macron

26 novembre 2022

Temps de lecture : 9 minutes
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Le Progrès de Lyon, entre journalisme, groupe bancaire et orientation pro-Macron

Temps de lecture : 9 minutes

La presse française est devenue une véritable poupée russe : un quotidien ou un magazine appartient à une structure regroupant plusieurs titres et elle-même contrôlée par une banque ou un milliardaire. Le quotidien Le Progrès n’échappe pas à ce schéma, il appartient au groupe Est-Bourgogne-Rhône-Alpes (EBRA) lui-même contrôlé par le Crédit mutuel Alliance Fédérale. Devant cet état de fait, les lecteurs sont en droit de savoir qui écrit les articles : un journaliste attaché à la recherche de la vérité ou un salarié de la branche information d’un groupe bancaire ?

Un acteur régional de poids

Le quo­ti­di­en Le Pro­grès est un acteur de poids de la presse régionale. Avec plus de 140 000 exem­plaires dif­fusés chaque jour, il est devenu depuis sa mod­este créa­tion en 1859 un acteur médi­a­tique incon­tourn­able dans les départe­ments du Rhône, de l’Ain, du Nord-Isère, de la Loire, de la Haute-Loire et du Jura. Même avec le développe­ment d’internet et des réseaux soci­aux, Le Pro­grès, avec ses 263 jour­nal­istes et 1 800 cor­re­spon­dants locaux, con­tin­ue de don­ner le ton dans ses lieux de diffusion.

Pour­tant, der­rière les chiffres floris­sants revendiqués de 9,2 mil­lions de vis­i­teurs uniques par mois ou des cen­taines de mil­liers d’abonnés sur Twit­ter et Face­book, la réal­ité mon­tre une ten­dance à la baisse des ventes et des abon­nés.

Le Crédit Mutuel prend le contrôle du Progrès et d’une partie de la presse quotidienne régionale

Moins d’acheteurs ou d’abonnés, ce sont des ren­trées d’argent en moins chaque jour, et donc des pertes annuelles (271 000€ en 2021, 5,4 mil­lions en 2020 ou 23 mil­lions en 2018).

Depuis 1986, Le Pro­grès a changé trois fois de pro­prié­taire, d’abord Robert Her­sant (1986 à 2004) ; puis le groupe Das­sault (2004 à 2009) ; enfin depuis 2009, Le Pro­grès appar­tient au groupe Est-Bour­gogne-Rhône-Alpes (EBRA) pro­priété de la banque Crédit Mutuel Alliance Fédérale. Au total, ce sont 9 quo­ti­di­ens régionaux avec Le Pro­grès, L’Alsace, Le Bien pub­lic, Le Dauphiné libéré, Dernières Nou­velles d’Al­sace, L’Est répub­li­cain, Le Jour­nal de Saône-et-Loire, Le Répub­li­cain lor­rain et Vos­ges Matin qui sont dans l’escarcelle du groupe EBRA, devenant ain­si le pre­mier groupe de presse quo­ti­di­enne régionale (PQR).

Illus­tra­tion : Carte des quo­ti­di­ens détenus par le groupe EBRA avec leur aire de dif­fu­sion. Source : Wikipedia

Au moment où les quo­ti­di­ens régionaux n’ont jamais été aus­si mal-en-point, pourquoi le Crédit Mutuel con­tin­ue-t-il de ren­flouer des jour­naux « qui enreg­istrent chaque année d’im­por­tantes pertes finan­cières » ? Pourquoi le Crédit Mutuel investit-il « lour­de­ment pour redress­er le groupe EBRA » avec des pertes oscil­lant entre 50 à 60 mil­lions d’eu­ros par an entre 2016 et 2020 ?

C’est l’éternelle ques­tion que l’on peut se pos­er devant les sommes astronomiques que des mil­liar­daires comme Patrick Drahi (BFM, I24NEWS, Libéra­tion) ou le Crédit Mutuel Alliance Fédérale investis­sent chaque année en pure perte pour ren­flouer les caiss­es de jour­naux sans cesse en déficit.

Le Crédit Mutuel-EBRA s’offre une puissance de frappe politique, économique et culturelle

La réponse est sim­ple, ils ne sont pas venus gag­n­er de l’argent mais s’acheter une puis­sance de frappe médi­a­tique, une influ­ence poli­tique, économique et cul­turelle. Avec ses 850 000 exem­plaires papiers ven­dus chaque jour à tra­vers ses neuf quo­ti­di­ens régionaux dif­fusés dans vingt-trois départe­ments de l’Est, le Crédit Mutuel peut peser et, selon le prési­dent du groupe ban­caire, Nico­las Théry, « par­ticiper au débat démoc­ra­tique, social et cul­turel dans nos régions. » (lien : https://www.lefigaro.fr/medias/desormais-a-l-equilibre-ebra-repart-de-l-avant-20211001).

Le président du Crédit Mutuel appelle à voter pour son client, Emmanuel Macron

« Je n’ai pas hésité [à appel­er à vot­er pour Emmanuel Macron]. Je savais que je devais le faire et l’as­sumer au regard des valeurs du groupe que je dirige. »
Nico­las Théry, Libéra­tion 22 avril 2022.

Les liens entre le Crédit Mutuel et Emmanuel Macron sont poli­tiques et financiers. Nico­las Théry (ancien con­seiller de Dominique Strauss-Kahn), le prési­dent du Crédit Mutuel Alliance fédérale a été l’un des rares chefs d’entreprise à don­ner des con­signes de vote pour le sec­ond tour des élec­tions prési­den­tielle « en écrivant à ses admin­is­tra­teurs » qu’il allait vot­er pour Emmanuel Macron : « C’est pourquoi, à titre per­son­nel, je voterai pour Emmanuel Macron, dont j’at­tends qu’il soit à la hau­teur de ces valeurs col­lec­tives et mutu­al­istes. ». À titre per­son­nel, Nico­las Théry sou­tient Emmanuel Macron, mais en le faisant savoir publique­ment, le grand patron n’a‑t-il pas envoyé un mes­sage aux rédac­teurs en chef et aux jour­nal­istes qu’il emploie ?

Illus­tra­tion : Nico­las Thery vote Macron, Le Monde 18 avril 2022

Les liens entre le Crédit Mutuel et Emmanuel Macron ne s’arrêtent pas là, ils sont aus­si au moins par­tielle­ment financiers, la déc­la­ra­tion de sit­u­a­tion pat­ri­mo­ni­ale du prési­dent de la République Emmanuel Macron pub­liée en décem­bre 2021 mon­tre que l’ex-banquier de chez Roth­schild a placé offi­cielle­ment et qua­si-inté­grale­ment sa for­tune… au Crédit Mutuel ! Le mari de Brigitte Macron y pos­sède son prin­ci­pal compte courant (166 685 euros) plusieurs livrets (livret bleu, LDD, CEL, PEL), une assur­ance-vie, un PEA et des comptes titres. Ceci n’a rien d’illégal bien enten­du, mais la coïn­ci­dence peut mérit­er remarque.

Illus­tra­tion : Déc­la­ra­tion de sit­u­a­tion pat­ri­mo­ni­ale de M. Emmanuel Macron

Nicolas Théry et Emmanuel Macron : les « convergences d’intérêts entre banques et l’État »

Le par­cours pro­fes­sion­nel de Nico­las Théry ou d’Emmanuel Macron ont beau­coup de points com­muns. Ils illus­trent par­faite­ment ce que dénonce Jéz­abel Coup­pey-Soubeyra, auteur du livre Blabla­banque, cette « con­san­guinité et les con­ver­gences d’intérêts entre les ban­ques et l’État », nour­ries par les allers-retours de hauts fonc­tion­naires entre le pub­lic et le privé. Selon Le Monde, un des grands corps de l’État incar­ne cette osmose : l’Inspection générale des finances dont sont issus Nico­las Théry ou Emmanuel Macron. Autre point com­mun pour les deux énar­ques (pro­mos 1989 et 2004), ils ont com­mencé tous les deux leur car­rière poli­tique auprès de la ten­dance libérale du Par­ti social­iste. Nico­las Théry est un ancien con­seiller de Dominique Strauss-Kahn alors que le prési­dent de la République était le pro­tégé de Jacques Attali, mem­bre de l’équipe de François Hol­lande. Venant des mêmes milieux, ce n’est donc pas éton­nant que l’on retrou­ve des amis de Nico­las Théry, comme Philippe Grangeon (ancien « DSK boy »), François Sureau ou Jean Pisani-Fer­ry dans l’entourage d’Emmanuel Macron.

Une idéologie de gauche libérale

Idéologique­ment, il n’y aucune dif­férence entre les deux ban­quiers de la gauche libérale, « en même temps » sou­vent proches de la droite libérale sur le plan économique. Nico­las Théry a tou­jours accom­pa­g­né la poli­tique économique d’Emmanuel Macron. Durant la crise des Gilets jaunes en décem­bre 2018, Nico­las Théry a répon­du favor­able­ment à la demande d’Emmanuel Macron de vers­er une prime excep­tion­nelle à ses salariés. Que soit pour l’écologie (« pour la tran­si­tion écologique et pour une poli­tique bas car­bone » ou la guerre entre l’Ukraine et la Russie (« je tiens à dire que ces sanc­tions [con­tre la Russie] sont jus­ti­fiées. On par­le bien d’une agres­sion con­tre un pays démoc­ra­tique et sa pop­u­la­tion. Comme tous les citoyens, le sys­tème ban­caire doit con­tribuer à l’ef­fort de sanc­tion, quelles que soient les con­séquences. »), Nico­las Théry a exacte­ment les mêmes ori­en­ta­tions idéologiques qu’Emmanuel Macron.

Macron en tête dans le nombre d’articles écrits sur un candidat des élections présidentielles

Entre les dif­férentes édi­tions et devant la masse des arti­cles écrits chaque jour dans un quo­ti­di­en comme Le Pro­grès, il est extrême­ment dif­fi­cile de dégager des ten­dances et des chiffres pré­cis. Nous avons donc essayé avec l’outil de recherche d’information Euro­presse de dégager une ten­dance générale dans les arti­cles du Pro­grès.

Ain­si sur la péri­ode allant du 1er au 22 avril 2022, englobant les deux tours des élec­tions prési­den­tielles, en faisant une recherche sur les titres des arti­cles com­por­tant les noms des trois can­di­dats principaux :

  • 119 arti­cles autour de Macron
  • 79 arti­cles autour de Le Pen
  • 51 arti­cles autour de Melenchon

Nous n’avons pas analysé la teneur (favorable/hostile/neutre) de ces arti­cles mais il existe un autre moyen de véri­fi­er un coup de pouce éventuel de la part d’EBRA via ses quo­ti­di­ens régionaux, notam­ment Le Pro­grès, lors des élec­tions prési­den­tielles, c’est la rubrique « le can­di­dat répond à nos lecteurs » dans laque­lle le can­di­dat peut présen­ter son pro­gramme sur 3 pages :

  • Marine Le Pen : same­di 19 févri­er 2022, soit 50 jours avant pre­mier tour des élec­tions prési­den­tielles (10 avril)
  • Jean-Luc Mélen­chon : jeu­di 31 mars 2022, soit 10 jours avant le pre­mier tour
  • Emmanuel Macron : mar­di 5 avril 2022, soit 5 jours avant le pre­mier tour

Emmanuel Macron a donc présen­té son pro­gramme quelques jours seule­ment avant le pre­mier tour des élec­tions prési­den­tielles, un avan­tage cer­tain par rap­port aux autres puisque c’est durant cette dernière ligne droite que les électeurs choi­sis­sent leur candidat.

Nota bene : L’Observatoire du jour­nal­isme (Ojim) est l’objet d’une plainte du Pro­grès et d’un de ses jour­nal­istes Amjad Allouchi. Nous rela­tons l’affaire ci-dessous :

Pour ceux qui veu­lent nous aider à défendre la lib­erté d’expression attaquée par Le Pro­grès ils peu­vent nous faire un don, d’avance mer­ci ! Cliquez ici.

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