Depuis que Elon Musk a repris Twitter pour 44 milliards de dollars, la tempête s’est abattue sur lui comme sur le réseau social. Licenciements massifs, avertissements financiers, allers retours sur des décisions annulées ou reportées, instauration d’un compte certifié payant, censure transitoire de certains journalistes, ouverture à Trump et à d’autres, attaques en tout genre. Notre correspondant pour le continent nord-américain prend un peu de hauteur avec une analyse politique du phénomène en deux parties, dont voici la deuxième sur les réactions des médias à un processus qui les dépasse.
Comprendre les 4 réactions-type des médias
- Mépris : les médias n’ont que pas ou peu parlé des révélations, les qualifiant d’insinuations, de mensonge. Ils ont préféré faire parler les autres, à savoir le FBI (ici). Ils ont tenté de présenter la crise comme un cirque, et Musk comme incohérent, pour ne pas dire drogué, ses affaires allant très mal. Autrement dit, c’est la thèse du pétard mouillé.
- Faux parallèle : admission que les problèmes existent , mais ceux-ci sont présentés hors de toute proportion, et de toute façon il n’y a rien d’illégal… contrairement à ce qu’a fait Trump. Sans oublier le fait que Musk lui aussi a des procès qui le guettent, certes moins graves.
- Faux compliment : tout ceci n’est que technicalité. Bien sûr qu’il fallait laver ce linge sale en public, mais pas devant n’importe qui. Car le fascisme veille.
- Diabolisation. Musk lui-même est un fasciste et un raciste. Potentiellement un danger pour la sécurité nationale. Poutine est au coin du bois. Le FBI, c’est aussi noble que les oies du Capitole.
Réorganiser sa niche écologique
Dans cette veine, nous avions déjà rapporté ici les préoccupations de nature civilisationnelle exprimées par Elon Musk au moment de l’acquisition de Twitter. Aujourd’hui, l’entrepreneur de génie tend une immense perche aux réformistes libertaires de toutes origines.
Que vont faire les Républicains? Plus particulièrement ceux de la Chambre dont une partie se révolte contre l’establishment du parti?
Vont-ils systématiquement exploiter les dix scandales du moment, non pas pour régler seulement des comptes mais pour transformer le système, autrement dit drainer le marécage? Vont-ils se contenter d’une micro-stratégie formaliste, ou bien procèderont-ils, comme le ferait à leur place l’establishment démocrate, à une réorganisation fondamentale de la niche écologique washingtonienne?
Voici les chantiers politiques et législatifs dont on parle, brûlants, ayant un impact sur le monde médiatico-répressif :
- Par suite de sa collusion partisane, en particulier de son ingérence dans l’élection de 2020, réforme structurelle du FBI ;
- Pour les mêmes raisons, réforme des médias sociaux et de leur statut juridique ;
- De façon connexe, répression des tentatives de changement de régime sur le sol américain ;
- Réforme des bureaucraties sanitaires ;
- Réforme du lobbying et du financement électoral ;
- Réforme du pantouflage des élus et hauts fonctionnaires ;
- Réactivation du Spygate, autrement dit de l’enquête judiciaire pour l’instant en sommeil sur la tentative de changement de régime exercée contre Trump ;
- Communication publique de la totalité des informations recueillies par la prétendument partisane commission du 6 janvier sur « l’insurrection » du Capitole.
Ces chantiers de l’impossible, qui pour la plupart doivent beaucoup aux révélations Musk, impliquent une réorganisation des structures ou des systèmes de fonctionnement des médias, des bureaucraties, des systèmes politiciens, des grandes entreprises et de leurs pratiques, des organisations dites caritatives et des lobbies. La tâche est énorme.
Autant dire que ce n’est pas de l’intérieur, avec quelques députés trumpistes entrés en rébellion contre les caciques des deux partis, et ne disposant pas de Think Tanks qui puisse les soutenir dans la préparation des textes législatifs, que le régime américain va se moderniser. Et ce n’est pas non plus avec Donald Trump, trop vieux pour l’immensité de la tâche. C’est ainsi que pourrait être compris le travail de sape du stratège Elon Musk, surdoué qui s’est déclaré enclin à soutenir à la prochaine présidentielle le gouverneur de Floride Ron de Santis, autre surdoué. On pourrait y voir en effet un moyen pour lui de susciter un environnement d’affaires propice à la réalisation des rêves de son conglomérat.
Donner l’exemple et renouveler les équipes politiques
Il est utile de noter que Musk donne déjà l’exemple aux industriels de la Silicon Valley qui n’osent pas remettre de l’ordre dans leurs équipes d’enfants gâtés habitués d’un environnement où l’argent coule à flot. Chez Twitter, entreprise en roue libre, il a promis aux investisseurs de faire rentrer les équipes dans l’économie réelle. Celle des gains de productivité. Il le fera et l’a fait ailleurs. Ses anciens employés décrivent bien sa méthode par exemple ici et ici. Quelque soit son investissement, selon eux, son obsession se résume en un objectif : mettre la main, quitte à la transformer, sur une technologie disruptive capable d’assurer un monopole.
Comme l’écrivait le journal canadien la Presse, en décembre 2022, « avec Space X, l’humanité devient multiplanétaire, mais l’enjeu technologique consiste à dominer le marché des télécommunications par satellite. Avec Tesla, il s’agit de mettre à l’échelle une mobilité décarbonée, mais l’objectif demeure de capter durablement la rente infinie du transport autonome. Avec Neuralink, l’humain doit rester supérieur à l’intelligence artificielle qui maitriserait l’intelligence générale, mais ses puces ont pour vocation d’être la technologie submersive absolue dans l’univers du métavers. Avec Twitter, l’intention affichée est la sacralisation de la liberté d’expression […] faire de Twitter le gardien de la liberté d’expression, porté par une plateforme technologique au service des annonceurs, est la mesure de l’ambition muskienne de domination. Cela nécessitera de surmonter plusieurs défis technologiques, tout en dépassant le conflit à venir avec Apple »
Ceci explique sans doute le fait que Musk s’intéresse à d’autres plateformes comme Substack, qui semble présenter de bonnes complémentarités avec Twitter.
En brisant le train-train des médias, en libérant la classe politique des lobbies actuels, en désinfectant et refocalisant la caste bureaucratique, Musk tente sans doute de se placer en monopole biotechnétronique de la quatrième révolution industrielle. D’où peut-être sa relation tendue, pour ne pas dire sa rivalité, avec Davos.
Pour conclure, disons que l’achat de Twitter par Musk nous apprend qu’il est possible, avec quarante milliards de dollars, de lancer une insurrection révolutionnaire aux États-Unis. Une vraie, pas la mascarade hollywoodo-pelosienne du Capitole. Non, une révolution profonde, utilisant au centuple les méthodes agit-prop de l’establishment américain. Un activisme de surdoués. Le monde moderne connait deux Asperger célèbres : Elon Musk et Greta Thunberg. Greta fait rêver les jeunes. Elon les remet au travail.
Alors, les Étatsuniens sont-ils prêts à connaitre l’émergence d’un tiers parti politique américain incarnant le « futur technologique » qui déplacerait les deux autres? Qui rendrait l’Amérique « Great Again »? Qui rentabiliserait la conquête de l’espace? Afin par exemple de forer la lune pour en extraire les minerais gorgés d’hélium 3? Une chose est certaine, si les américains ne comprennent pas que faute d’un saut qualitatif brusque à la fois technologique, psychique, moral et organique, leur empire implosera pour avoir oublié qu’il s’est déjà fait encercler par les adeptes de Sun Tsu. Y compris sur la lune. Il ne lui restera plus que la guerre pour survivre.