Dans l’ensemble de la presse française, constituée essentiellement de journaux alignés sur les doxas de l’époque, la lecture du Monde Diplomatique constitue une bouffée d’air frais. Citons les positions prises sur le conflit russo-ukrainien, qui montrent une hauteur de vue qu’on ne retrouve pas dans L’Express par exemple. Récemment, Serge Halimi a quitté ses fonctions de directeur de la revue, poste qu’il tenait avec un grand succès depuis 2008, et a été remplacé par Benoît Bréville, ancien rédacteur en chef adjoint. Le nouveau directeur a pris ses fonctions le 1er février 2023.
Un nouveau directeur discret
Les informations disponibles sur le nouveau patron de la revue ne sont pas nombreuses. Né en 1983, Benoît Bréville est historien de formation. En 2011, il soutient une thèse à Paris I sous la direction d’Anne Fourcault, dans laquelle il fait une étude comparée entre les stratégies de lutte contre la pauvreté, appliquées dans une ville du Canada et celles appliquées à Saint-Denis, en France. De ses travaux il tire certains articles, comme celui intitulé Un miroir de la prolophobie, publié dans le Monde Diplomatique en juillet 2022. Dans ce papier, Bréville explique la mauvaise réputation de la Seine-Saint-Denis pour des raisons purement économiques. Ce département fait historiquement partie d’une ceinture noire autour de Paris qui, de tout temps, a fait trembler les milieux bourgeois.
In fine selon l’auteur, les poncifs lancés autour de ce département, tels que son islamisation ou son insécurité, croissantes toutes deux, ne seraient que des « paniques, généralement forgées dans les milieux bourgeois et parisiens, mais qui finissent par gagner de larges fractions de la société »[1]. De là Bréville conclut : « Depuis deux siècles, les fantasmes accolés à la Seine-Saint-Denis ne se sont jamais réalisés. Les apaches n’ont pas déferlé sur la capitale, pas plus que les ouvriers ivrognes, les communistes hirsutes ou les moudjahidin embusqués dans les cités »[2]. Le retour des classes dangereuses en quelque sorte, une analyse en partie exacte mais incomplète marquant aussi un aveuglement devant le changement de population du 9 cube, un constat pourtant banal.
Ce papier, assez classique pour un journaliste mainstream, pourrait illustrer certains biais du nouveau directeur du Monde Diplomatique. Dans un autre article en date d’avril 2022, concernant les réfugiés Ukrainiens et intitulé Imaginons…, Benoît Bréville note, en relevant le silence des partis considérés comme d’extrême droite sur les venues de réfugiés ukrainiens, que : « Si l’on veut briguer l’asile dans l’Union, mieux vaut à l’évidence être chrétien, blanc et opposé à M. Vladimir Poutine. »[3]. On pourrait facilement retourner la phrase pour le camp adverse, au moins pour les deux premiers adjectifs.
Contre-exemple
Outre ses papiers dans le Monde Diplomatique, dont il était auparavant rédacteur en chef, Bréville intervient pour d’autres médias. Citons Europe 1, France Culture, Acrimed ou encore Manière de voir, le bimestriel du Monde Diplomatique. Dans une émission sur Europe 1 en 2014, animée par Frédéric Taddeï, l’actuel directeur du Monde Diplomatique souligne que ce sont les États-Unis qui ont créé les conditions propices à la guerre froide, et pas l’URSS avec son rideau de fer contrairement à une idée reçue. Il s’agit d’une prise de position à rebours, rejoignant la hauteur de vue que prend souvent le Monde Diplomatique.
Cette prise en compte du réel s’explique en grande partie par l’indépendance du journal vis-à-vis du groupe Le Monde qui, certes, en détient 51% des parts, mais les 49% restantes sont entre les mains des lecteurs et du personnel et le groupe n’intervient pas dans la ligne éditoriale. Ce sont d’ailleurs la rédaction et les lecteurs qui proposent le nom du président. Nous verrons si Benoît Bréville saura maintenir cette ligne qui fait, pour le moment encore, sortir par le haut Le Monde Diplomatique du lot de la presse française.
Voir aussi : La méthode Médiapart, vue par Pierre Péan dans Le Monde diplomatique