Les émissions de la nouvelle chaîne d’info en continu GB News (gbnews.uk), qui a commencé d’émettre en juin 2021, font désormais souvent mieux que celles de ses principales concurrentes bien plus anciennes : BBC News et Sky News.
Campagne de boycott inefficace et retour de Farage
Après des débuts chaotiques, marqués par d’incessants problèmes techniques, un amateurisme qui crevait l’écran, et une campagne de boycott publicitaire lancée par l’extrême gauche, puis le départ au bout de seulement trois mois de son PDG Andrew Neil qui refusait la direction prise par la chaîne la faisant selon lui trop ressembler à l’Américain Fox News, la nouvelle chaîne « de droite », « populiste », « politiquement incorrecte », « pro-Brexit » et « anti-woke » GB News s’est professionnalisée et a su compenser les nombreux départs de journalistes en attirant de grands noms du paysage politique et médiatique britannique, à commencer par Nigel Farage qui avait été remercié par la radio LBC en 2020 pour avoir reproché au mouvement Black Lives Matters son idéologie ouvertement marxiste et avoir comparé BLM aux Talibans. L’homme à l’origine du Brexit avec son Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (UKIP) qui avait poussé le premier ministre « conservateur » David Cameron à organiser un référendum sur la question (dans le but de lui couper l’herbe sous les pieds) a ainsi tous les soirs sur les ondes de GB News une émission de conversation politique dont le succès ne se dément pas. En décembre 2021, Farage a notamment obtenu en exclusivité pour GB News la première interview de Donald Trump pour un média étranger après son départ de la Maison blanche.
Des conservateurs plus conservateurs
Tout récemment, à la fin du mois de janvier, c’était l’arrivée d’un des principaux représentants de l’aile réellement conservatrice (dont le centriste David Cameron, créateur du « mariage gay » à l’anglaise, ne faisait assurément pas partie) du Parti conservateur qui était annoncée : le député Tory Jacob Rees-Mogg va lui aussi avoir sa propre émission sur GB News. Rees-Mogg, un libéral-conservateur au caractère bien trempé qui n’a pas peur d’exprimer son hostilité à l’avortement dans un pays où le sujet, quand il ne s’agit pas de banaliser cette pratique, est devenu aussi tabou que de ce côté-ci de la Manche, était secrétaire d’État en charge des « opportunités offertes par le Brexit » dans le gouvernement de Boris Johson, puis brièvement ministre des Affaires, de l’Énergie et de la Stratégie industrielle dans le gouvernement de Liz Truss. Il a expliqué ainsi les motifs qui l’ont poussé à rejoindre GB News :
« GB News est un bastion de la liberté d’expression qui a clairement le doigt sur le pouls de l’opinion publique et ne prend pas de haut ses téléspectateurs et ses auditeurs. J’ai été impressionné par l’indépendance d’esprit de la chaîne et sa détermination à parler à des personnes ayant des points de vue très différents, ce qui est exactement ce que je ferai dans mon émission. »
Hors establishment
Dans un article publié le 28 octobre dernier, le Telegraph écrivait à propos de la nouvelle chaîne que, sur ce marché, « le dernier entrant – en 1988 – était Sky News, alors considéré comme un perturbateur du duopole douillet de la BBC et d’ITN. Mais le ton de la production de Sky ne se distingue plus du reste des médias traditionnels ; GB News, en revanche, s’est donné pour mission de se démarquer de l’establishment en offrant une tribune aux voix que les autres diffuseurs évitent. » L’article en question portait un titre pointant du doigt un obstacle majeur que devra toutefois encore franchir GB News : « Le complot contre GB News : nous avons été annulés avant d’être lancés ». « Annulés », c’est-à-dire « cancelled » en anglais (« canceled » en anglais américain), terme désignant le fait d’être la cible d’une gauche bien-pensante qui cherche à tuer socialement – et économiquement – toute personne ou entreprise qui ose exprimer ou laisser s’exprimer des points de vue non conformes à la pensée unique que cette gauche souhaiterait imposer à l’ensemble de la société.
Peu de publicités de marques
« Les militants s’appellent Stop Funding Hate (SFH) », expliquait alors le Telegraph, « et leur cible initiale était le Daily Mail. Mais le Mail est une entreprise solide et bien établie, avec un lectorat que les annonceurs estiment devoir atteindre, de sorte que la campagne n’a eu qu’un succès limité. GB News, qui en est encore à ses débuts, est peut-être une cible plus facile. La justification est exposée sur le site Web de SFH : “Depuis son lancement, GB News a été critiqué pour avoir diffusé des messages problématiques sur le changement climatique et le Covid-19 et pour avoir diabolisé les personnes trans à chaque occasion. Au cours de l’année écoulée, les bénévoles de Stop Funding Hate ont donc travaillé à l’identification des annonceurs de GB News. Nous voyons maintenant très peu de marques de premier plan apparaître sur la chaîne”. »
Et il est vrai que quand on regarde la télévision GB News ou que l’on écoute la station GB News Radio lancée en janvier 2022 (et qui transmet exactement les mêmes émissions au même moment, mais sans l’image), les seules publicités sont généralement celles de la chaîne elle-même, pour vanter ses propres émissions. Pourtant, les audiences de la chaîne de télévision et de la station de radio se comptent en centaines de milliers et font jeu égal, voire souvent mieux, que les autres chaînes et stations installées sur le créneau de l’information en continu, dont la nouvelle chaîne TalkTV (TTV) lancée en 2022 par le magnat des médias Ruppert Murdoch.
Malgré une rédaction comptant près de 200 personnes, GB News ne dispose pourtant pas des mêmes moyens que TalkTV mais a l’avantage d’avoir été la première sur le créneau des télévisions d’information « de droite ». Les médias de Murdoch ont en revanche l’avantage de pouvoir compter sur les annonceurs publicitaires car la puissance de l’empire médiatique du personnage en fait une cible nettement moins facile pour les ennemis de la liberté d’expression.
Un greco-britannique à la tête
« Nous sommes juste une petite entreprise de Paddington [quartier du centre de Londres, ndlr] avec le loyer le moins cher qu’il soit possible de trouver », expliquait en octobre dernier l’homme qui a pris la direction de la chaîne après le départ d’Andrew Neil. Il s’agit d’Angelos Frangopoulos, un Grec qui a passé deux décennies à la tête de Sky News Australia, une chaîne d’info appartenant au même Murdoch et qui est un peu le Fox News australien. Frangopoulos semble bien décidé à rester en Angleterre maintenant qu’il dirige GB News puisqu’il a demandé la nationalité britannique.
Après Jacob Rees-Mogg, c’est l’arrivée prochaine du célèbre acteur John Cleese qui a été annoncée en ce mois de février. La rotation est élevée, tant il est de fortes personnalités à la rédaction de GB News, et les attaques d’une gauche hostile à la liberté d’expression se poursuivent, y compris avec des accusations d’antisémitisme très tirées par les cheveux mais volontiers relayées par les médias de la gauche progressiste comme le Guardian. Frangopoulos veut maintenant pérenniser la chaîne en la rendant profitable, et les journalistes vont tous devoir suivre une formation aux règles de l’Ofcom, le CSA britannique. La chaîne démarche activement les annonceurs mais la tâche est ardue car, comme le déclarait Frangopoulos en octobre au Telegraph :
« Mais comment traduire [le succès d’audience] en succès commercial, voilà la grande énigme (…) Tout le monde est très poli, mais un indice de ce qui se passe a été fourni par un certain James Wilde, associé directeur de Wavemaker UK, l’agence média mondiale. L’année dernière, alors que la nouvelle du boycott publicitaire de GBN commençait à faire mouche, Wilde a écrit dans le magazine de l’industrie publicitaire : “Du peu que nous sachions à ce jour, GB news est toutes les choses suivantes : pro-Brexit, anti-élite métropolitaine, et non centrée sur Londres. Des positions qui sont toutes l’antithèse du collaborateur moyen d’une agence média. Et donc, nous voyons des planificateurs médias encourager les marques à boycotter la chaîne, alors qu’elle n’a que quelques mois d’existence… La principale motivation des agences et des marques pour boycotter la chaîne est qu’elles n’aiment tout simplement pas ce qu’elle diffuse et le public qu’elle représente.” En d’autres termes, Stop Funding Hate a trouvé un écho dans les préjugés du type de personnes qui composent le personnel de l’agence de publicité moyenne. Comme dans certaines parties des médias eux-mêmes, comme dans les universités, les hautes sphères de la fonction publique, comme dans toutes les institutions influentes du pays, il semble qu’une pensée de groupe prévale, dictant un certain ensemble d’attitudes “progressistes”. »
Deux mécènes en soutien
Si GB News a pu se développer malgré tout jusqu’ici, c’est grâce au soutien de deux investisseurs qui ont mis ensemble quelque 120 millions de livres sterling dans l’affaire : Sir Paul Marshall, un riche homme d’affaires également à l’origine du site Unherd, et la société d’investissement Legatum Ventures, basée à Dubaï et appartenant à un entrepreneur néo-zélandais. Il y a donc des investisseurs pour croire au succès d’une chaîne d’info réellement de droite dans le monde anglo-saxon et le succès de Fox News aux États-Unis est d’ailleurs là pour prouver qu’il est possible de briser le quasi-monopole de la pensée libérale-libertaire sur le paysage audio-visuel dans ce monde-là.
Néanmoins, il s’agit d’un monde capitaliste et le PDG de GB News doit maintenant prouver que le succès d’audience d’une chaîne de droite au Royaume-Uni peut se traduire en revenus publicitaires, sinon les investisseurs finiront par déserter la chaîne et le paysage télévisuel britannique risque de redevenir presque aussi uniforme que son équivalent français.