Première diffusion le 16 février 2023
Le 27 septembre 2022, des détonations près de Nord Stream 1 et 2, dans la zone économique suédoise, mettent hors d’état de fonctionnement les deux gazoducs. Le sabotage est avéré mais qui l’a réalisé ? C’est là que Seymour Hersh intervient après quatre mois d’enquêtes et accuse les États-Unis au milieu d’un silence assourdissant de la presse mainstream.
Qui est Seymour Hersh ?
Né en 1937 à Chicago dans une famille parlant le yiddish, Seymour Hersh a mené une longue et brillante carrière dans le journalisme outre-Atlantique. Il révèle le massacre de Mỹ Lai au cours de la guerre du Vietnam, le 16 mars 1968, par un corps du 20ème régiment d’infanterie de l’armée américaine, faisant entre 300 et 500 morts civils, hommes, femmes, enfants et nourrissons. Il obtient le prix Pulitzer en 1970 pour ces révélations. Il est aussi à l’origine de la révélation des tortures réalisées par l’armée américaine et la CIA dans la prison d’Abou Ghraib à l’encontre de prisonniers irakiens. Il a également mis en doute l’origine des gaz de combat employés lors du conflit syrien comme il a mis en lumière le réseau mondial des prisons clandestines de la CIA à travers le monde y compris en Europe (Pologne notamment).
Sa longue carrière le verra travailler tour à tour pour United Press International, Associated Press, The New Republic, Washington Post, New York Times, New Yorker, tous situés à l’aile gauche du parti démocrate. Il sera un moment attaché de presse du sénateur démocrate Eugène McCarthy, candidat à l’investiture démocrate en 1967.
La publication sur son blog du 8 février 2023
Après une longue enquête à la Albert Londres, Hersh publie un long article (traduction française à télécharger ici) sur le sabotage de Nord Stream jusqu’ici inexpliqué, les Russes accusant les États-Unis, les Américains accusant les Russes qui auraient détruit leurs propres gazoducs. Il n’est pas nécessaire de souligner l’importance extrême de ces installations pour l’économie allemande et ses sources d’approvisionnement en énergie.
Pour ceux qui ont le temps, nous mettons en lien à la fin de notre papier l’article complet de Hersh, version anglaise et traduit en français. Pour ceux qui veulent un résumé, le voici :
Les néo-conservateurs, (Antony Blinken, Secrétaire d’État, Victoria Nuland, sous-secrétaire d’Etat, Jake Sullivan, conseiller à la sécurité) autour de Joe Biden réussissent à le convaincre de la nécessité de détruire Nord Stream 1 et 2. Objectif, rendre irréversible la brouille entre l’Allemagne et la Russie, alors son principal fournisseur d’énergie. Puis, contraindre l’Allemagne à acheter son énergie (plus chère) aux États-Unis et en même temps encourager, par le programme Inflation Act qui propose des avantages colossaux à ceux qui produisent sur place, les allemands (mais aussi les autres européens) à délocaliser une partie de leur industrie outre-Atlantique.
En juin 2022, avec la complicité de la Norvège membre de l’OTAN, les plongeurs américains hyper entraînés de l’équipe Panama City (en Floride, pas le Panama) avec l’aide de Norvégiens, fixent des explosifs sur les pipelines. L’opération est couverte par les manœuvres navales annuelles de l’Otan Baltic Operations 22. Le 26 septembre 2022, un navire de surveillance P8 de la marine de guerre norvégienne largue une bouée sonar qui transmet un peu plus tard un signal aux charges qui explosent libérant un flot de méthane. Fin de Nord Stream 1 et 2.
Les répercussions dans les médias français
Si la CIA et les autorités américaines ont nié l’existence de l’opération comme ils avaient nié l’existence de la prison spéciale d’Abou Ghraib, il est intéressant de jeter un coup d’œil sur les médias français sur cette affaire. Sans nécessairement épouser les thèses de Hersh, ils auraient pu, ils auraient dû faire leurs titres de cette véritable bombe.
Un rapide survol au 15 février 2023 :
- Le Figaro, un bon article d’Adrien Jaulmes dans la partie numérique réservée aux abonnés, rien dans le journal papier.
- Le Monde, rien sinon la publication du démenti des autorités américaines dans un live. Au même moment est publié un long article regrettant que les usines de munitions de l’Otan tournent au ralenti, gênant l’approvisionnement ukrainien.
- Libération, rien de rien, de rien, de rien.
- TF1, rien à l’antenne, un article sur Tf1Info le 9 février de Thomas Deszpot indiquant que les révélations de Hersh sont suspectes en se couvrant derrière le site Bellingcat, lui-même une émanation des services britanniques.
- France 24, une annonce reprenant le démenti de la CIA.
- France 2, France 3, rien.
- Presse quotidienne régionale, sous réserve d’une enquête plus approfondie, seul Sud-Ouest reprend l’information avec nuances. Ouest-France reprend le point de vue américain sans plus.