Lorsque la presse est détenue par une poignée d’hommes qui ne font pas l’acquisition de ces groupes de presse pour des raisons financières, il est difficile de parler d’indépendance de la presse. Le patron du groupe LVMH, Bernard Arnault, propriétaire entre autres des Échos, en offre une illustration.
C’est La lettre A qui, dans un papier du 21 mars 2023, affirme que Nicolas Barré, le patron de la rédaction des Échos depuis 2015, aurait été débarqué de son poste par le propriétaire du journal Bernard Arnault. Si rien n’a été confirmé, la Société des journalistes, dans un communiqué du 23 mars, a indiqué « ne pas être dupe » et voit dans cette décision « une ingérence de plus dans la vie du journal », en contradiction avec les engagements pris par Bernard Arnault lors du rachat des Échos. En conséquence de cette décision, une « grève des signatures » a eu lieu le jeudi 23 mars dans l’édition web du quotidien, et dans l’édition papier du vendredi 24 mars.
De son côté, Nicolas Barré va occuper d’autres fonctions au sein du journal, ce dont se félicite Bernard Arnault dans un communiqué où il indique être « très heureux » que Barré ait « choisi de poursuivre son parcours au sein du groupe avec un nouveau rôle ».
Les déboires de LVMH avec le fisc
Mais, alors, qu’est-ce qui a pu conduire le patron de LVMH à intervenir de façon aussi voyante dans la vie d’un de ses journaux ? Selon plusieurs journaux, la faute viendrait de la publication, dans les dernières semaines, de deux articles ayant un lien avec les affaires de Bernard Arnault. Le premier concernerait des perquisitions et les déboires que connaît LVMH avec le fisc ; quant au second, il s’agit d’une critique élogieuse du livre Histoire d’un ogre, publié par Erik Orsenna et consacré à Vincent Bolloré. Si l’on comprend aisément que le premier ait piqué Bernard Arnault, on n’achète pas un journal pour qu’il déballe nos problèmes sur la place du village, le second peut surprendre. Depuis des mois, Bernard Arnault et Vincent Bolloré se livrent une bataille afin de racheter le groupe Lagardère. Néanmoins, comme l’indique Télérama, une paix des braves aurait été conclue entre le patron de Vivendi et Bernard Arnault. En effet, le rachat doit encore être avalisé par la Commission européenne, qui pourrait demander à Bolloré de lâcher une partie de sa presse people pour valider le rachat. C’est à la suite de cela qu’une paix aurait été conclue entre les deux milliardaires. Par conséquence cette critique élogieuse du livre d’Orsenna dans les colonnes des Échos, qui constituait une attaque par ricochet contre Bolloré, contrevient à la trêve conclue entre l’homme d’affaires breton et le patron de LVMH.
Si rien n’a évidemment été confirmé, Bernard Arnault n’allant pas admettre imposer sa volonté à la presse, et la presse n’allant pas admettre être tenue en laisse par son propriétaire, ce scénario semble d’autant plus crédible que le remplaçant de Nicolas Barré, François Vidal, est réputé moins indépendant que son prédécesseur.
Il s’agit d’une autre illustration des bénéfices indéniables de la mainmise de quelques personnes sur les groupes de presse. On espère néanmoins que nos amis de la presse mainstream ne seront pas déçus qu’il ne s’agisse pas de Bolloré.