Est-ce un nouveau sursaut pour Brut ? Alors qu’il faisait face, en novembre dernier, à des difficultés concédées par la direction, le média vient de lever 40 millions d’euros. Retour sur les visages derrière cette nouvelle opération de levée de fonds.
Deux nouveaux visages au capital
Après avoir racheté le fragile La Provence (et Corse Matin), le groupe CMA CGM vient au secours de Brut. La branche média de cette institution, aux mains de l’armateur franco-libanais Rodolphe Saadé, est dirigée depuis mars 2023 par le journaliste Laurent Guimier. Inscrite à hauteur de 10,25 % au capital du groupe M6, elle est également montée au capital de Brut. Cette immersion dans l’entreprise du milliardaire, qui a vu sa fortune personnelle bondir de 600 % au lendemain de la crise sanitaire, « ne bouleverse[rait] pas les grands équilibres du capital » à en croire Guillaume Lacroix, cofondateur de Brut. Est-ce parce qu’il pourrait se voir contester, s’il venait à prendre le contrôle d’un groupe de télévision comme M6, les autorisations de diffusion des antennes (attribuées par l’Arcom au début du mois de mai) que le milliardaire s’est replié sur le média en ligne ?
L’autre nouvel arrivant à monter au capital n’est autre que l’américain MoonPay, start-up fondée en 2019, devenue un important fournisseur de services financiers en ligne. S’imposant sur le marché des cryptomonnaies, l’entreprise ne cache pas ses ambitions expansionnistes, notamment à l’international.
Les autres actionnaires persistent également : déjà au capital de M6, groupe sur lequel il avait, comme son « ennemi » Rodolphe Saadé essayé de mettre la main, Xavier Niel remet la main au pot pour Brut. C’est d’ailleurs du tandem Saadé-Niel que serait partie cette volonté d’investir 40 millions dans le média, alors même que Daniel Kretinsky formulait de son côté une autre proposition. De même, le financier supposé de la campagne de Joe Biden, James Murdoch, comme le détenteur du Point François Pinault, auraient accepté de réinvestir dans cette plateforme qui touche un public entre les 20 et 35 ans.
Un petit monde bien connu des médias et dont le fondateur de Brut, Guillaume Lacroix, félicite l’action : « Dans une période où l’accès au financement est limité, nous sommes fiers d’avoir des investisseurs qui croient en la robustesse de notre modèle » , a‑t-il fait savoir au Figaro.
Voir aussi : Brut, infographie
Redynamiser Brut
Les dirigeants et fondateurs de Brut n’en démordent pas : « Cette quatrième levée de fonds depuis nos débuts en 2016 est pour nous celle de la maturité ». Après avoir levé 10 millions d’euros en 2018, environ 36,6 millions en 2019 et 63 millions d’euros en 2021, Brut totalise depuis son lancement il y a sept ans près de 149 millions d’euros réunis. L’enjeu ? Être bénéficiaires d’ici à la fin de l’année 2023, ce qui constituerait selon Guillaume Lacroix « une étape importante pour garantir notre indépendance ». Une indépendance appuyée par des actionnaires qui, pour l’un soutient ouvertement Emmanuel Macron, pour un autre Joe Biden, garantissant quoiqu’il en soit au média une révérence des arcanes politiques dites « mainstream ».
Sans sourciller, Lacroix aspire au succès international alors même que les antennes new-yorkaises, indiennes et mexicaines faisaient face en novembre à de prompts licenciements. « Brut en France est rentable depuis des années. Nous aurions pu décider de nous contenter d’être un champion national, mais nous avons fait le pari de devenir un champion mondial », assure au Figaro son fondateur. Et comment faire ? S’appuyer sur la publicité et les contenus de marques (« brand content ») qui représente plus de la moitié des revenus du média (60 %). Quitte à se renier ? « Entre la volonté éditoriale d’être “Brut, le média qui change le monde” et le fait qu’on se retrouve à parler avec des marques de luxe, de voitures, etc., il y a un sentiment de contradiction », soulignait il y a quelques mois un journaliste de Brut gardant l’anonymat. Un constat que ne partage pas Guillaume Lacroix, qui ne pense pas « qu’il puisse y avoir un rejet de ce type de contenus de la part de notre communauté. […] Les jeunes générations détestent la publicité mais adorent les marques. » Formel, celui qui voulait (modestement) faire de Brut le « premier média social au monde » n’y voit ainsi aucune contradiction avec ce modèle de financement par les marques et sa volonté de « […] continuer à être précurseur sur des sujets de société, comme nous l’avions été à l’époque déjà sur les sujets autour de la santé mentale des jeunes, le climat, les droits des femmes »…