Première diffusion le 19 avril 2023
Le Centre de formation des journalistes (CFJ) a été fondé en 1946 par deux membres du mouvement de résistance « Défense de la France », Philippe Viannay (qui fut un temps proche de l’Action française) et Jacques Richet, en réaction à « l’effondrement moral de beaucoup de journalistes passés au service de la collaboration ». Voulant asseoir « les valeurs de la résistance » dans la presse et promouvoir « l’indépendance d’esprit et la culture nécessaires à ceux dont le métier est d’informer », l’école se donne pour vocation de former une « élite de volontaires de la liberté ». De nobles intentions qui se déliteront progressivement sous le poids du conformisme idéologique et de la soumission rigoureuse à tous les dogmes du temps.
Établissement d’enseignement supérieur privé d’intérêt général depuis 2020, le CFJ est rattaché à l’université Paris-Panthéon-Assas après la signature d’un contrat pluriannuel avec l’État fixant « les objectifs stratégiques de l’établissement pour répondre aux priorités nationales de l’enseignement supérieur et de la recherche ».
Nombre de ses anciens élèves sont devenus des journalistes de tout premier plan (Bernard Pivot, David Pujadas, Florence Aubenas, Pierre Lescure…) même si certains connaissent une fin de carrière plus délicate, tel Patrick Poivre d’Arvor, passé du Colisée médiatique à la Roche Tarpéienne #Metoo.
Chaque année, environ un millier de candidats espèrent imiter ces grands anciens, pour une promotion annuelle d’une cinquantaine de places.
Crises et difficultés financières
Reconnue par l’État au titre d’établissement d’enseignement technique supérieur le 25 janvier 1962, l’école assoit progressivement sa notoriété mais rencontre néanmoins des difficultés financières qui aboutissent à une crise grave en 1998. À cette date, l’école doit procéder à une importante restructuration, à l’initiative d’anciens élèves qui créent alors l’association « CFJ-Demain » pour trouver des solutions de financement afin de permettre à l’école d’échapper à la liquidation. Malgré une conséquente augmentation des droits d’inscription, la situation demeure délicate et, en 2002, le groupe CFJ est à nouveau en dépôt de bilan. Repris par le groupe de formation EFE, devenu Abilways1, le CFJ est ensuite géré par l’association à but non lucratif « École CFJ » avant d’intégrer l’université Panthéon Assas. Aujourd’hui dirigée par Stéphanie Lebrun – cofondatrice de Babel Press/Babel Doc -, l’école est installée au 210, rue du Faubourg-Saint Antoine dans le 12e arrondissement de Paris. Son diplôme est visé par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche depuis 1985 et reconnu au niveau bac + 5.
Une « Chance » pour la diversité dans les médias
Comme l’intégralité de ses consœurs reconnues par l’État et la « profession », le CJF se veut en pointe sur les questions de promotion de la « diversité », du moins apparente, et de lutte contre les « discriminations ».
C’est pourquoi elle soutient notamment activement, depuis sa création en 2007, la classe préparatoire aux concours des écoles de journalisme gratuite réservée aux boursiers : « La Chance – Pour la diversité dans les médias ». Il s’agit d’un programme offrant des cours de culture générale, d’anglais, de préparation aux oraux à des candidats titulaires d’une bourse gérée par le CROUS. Depuis 2020, les frais d’inscriptions des candidats inscrits aux classes préparatoires « La Chance » sont intégralement pris en charge par le CFJ et ces classes préparatoires.
Par ailleurs l’école a mis en place une « mission pour l’égalité femmes – hommes » qui a pour but « l’intégration de ces questions dans la vie de l’école et dans les programmes pédagogiques » ainsi que « la prévention du harcèlement sexuel dans le cadre scolaire et celui des stages ».
La direction de l’établissement a également fortement (et trop) réagi au psychodrame de la « ligue du lol », par la mise en place d’une « vigilance de tous les instants », l’ancienne directrice, Julie Joly, se montrant particulièrement virulente envers cette « meute de cyber-délinquants » et regrettant le fait que l’on « demande aux étudiants en journalisme et en communication d’être sans arrêt sur les réseaux sociaux, créant une hypersollicitation pour communiquer en petits groupes, où les échanges sont bien plus virulents que dans la réalité » ce qui aboutit, selon elle, à une « délinquance faisant un usage détourné de nos propres armes que sont ces réseaux. »
La fin des épreuves écrites d’admissibilité
Pour aller encore plus loin dans sa volonté d’inclusivité et de « recherche de profils atypiques », en mars 2018, l’école annonce la disparition des épreuves écrites d’admissibilité pour son concours d’entrée. Composées largement de questionnaires à choix multiples (QCM) d’actualité et de culture générale, elles sont jugées trop « socialement discriminantes » et favorisant excessivement le « bachotage » au détriment de la « passion » et de « l’engagement civique ». Ces épreuves odieusement rétrogrades sont donc remplacées par un dossier d’admissibilité, que les candidats doivent remplir chez eux, composé de vingt-deux questions et divisé en trois parties : leur personnalité, leur connaissance du métier de journaliste et leur créativité et culture en lien avec l’actualité. Dans cette nouvelle mouture de l’admissibilité, jugée largement « subjective » pour ne pas dire « démagogique » par certains observateurs, on trouve des questions assez déconcertantes comme celle demandant de « décrire un endroit extraordinaire situé à moins de 10 kilomètres de chez vous » ou de « laisser libre-cours à sa créativité en imaginant l’interview de ses rêves ». On se situe en effet ici non loin des fameuses « rédactions à sujet libre » des écoles primaires d’antan.
Aux critiques rappelant que, avec cette forme de dossier, les candidats peuvent se faire assister, corriger et aider par des tiers, les promoteurs de cette innovation répondent que «se faire relire, demander l’avis des autres, se renseigner auprès d’autrui, multiplier les conseils, est le principe même de notre métier ». La tricherie, base du journalisme ? On n’ose y croire…
Notes
1Le groupe Abilways est une société française intervenant dans le domaine de la formation professionnelle continue qui appartient à la famille Mulliez à travers sa société d’investissement Creadev.