Toujours prompt à traquer ce qu’il considère comme étant raciste chez les autres, et en particulier dans les autres médias, le magazine d’investigation allemand Der Spiegel, parfois qualifié de « Gestapo de notre temps » (Franz Joseph Strauß) ou de « feuille de merde » (Willy Brandt), est pris à son propre jeu. Un événement d’importance : Der Spiegel est l’hebdomadaire allemand le plus lu dans le pays après Stern, son grand rival, et a la particularité d’être généralement considéré comme plus sérieux. Il semble que ce soit raté. Et ce n’est pas la première fois.
Retour sur l’histoire du magazine
Der Spiegel est considéré comme un hebdomadaire de centre-gauche, à la fois progressiste et libéral. Il publie des enquêtes qui se présentent comme fouillées, avec une recherche du sujet explosif. Surtout en cette époque de « buzz » dans laquelle nous vivons. Un numéro du Spiegel comporte 200 pages, une page sur deux étant une page de publicité.
Le magazine a dépassé le million de lecteurs en 1990, redescendant à un niveau de 700 000 lecteurs actuellement. Son histoire est émaillée d’affaires sensibles, qui le fait passer auprès de nombreux allemands pour une sorte de parangon de la liberté de la presse. Il a pourtant lui-même, et souvent récemment, peut-être pour lutter contre l’érosion de son lectorat, été accusé de pratiques peu déontologiques. Déjà, en 1977, Der Spiegel publie en couverture une fillette âgée de 11 ans afin d’illustrer son enquête sur les « lolitas ». La rédaction fera son mea culpa a ce propos… en 2013, reconnaissant avoir, avec d’autres médias, contribué, sous couvert de révolution sexuelle, à la diffusion de la pédophilie en Allemagne. Surtout, Der Spiegel, en 2006, a été débouté dans une affaire où il accusait la dynastie d’éditeurs Demon Schauberg de s’être enrichie à l’occasion de « l’aryanisation » de trois propriétés ayant appartenues à des familles juives. La maison d’édition a démontré que ces accusations étaient fausses.
Claas Relotius, petit reporter et falsificateur
Plus près de nous, en 2018, la rédaction a été obligée d’admettre que l’un de ses principaux collaborateurs, Claas Relotius, falsifiait ses articles depuis de nombreuses années, inventant par exemple des faits inexistants. Or, ce journaliste avait reçu de nombreuses récompenses de la part du système médiatique. Une affaire qui a fait désordre bien au-delà du Spiegel. Le magazine a été obligé de présenter ses excuses à ses lecteurs.
Voir aussi : Claas Relotius, saint, pêcheur, excommunié de la communauté médiatique
Une nouvelle affaire touche Der Spiegel
Cette fois, c’est une caricature publiée en Une qui est controversée. Der Spiegel est accusé de racisme. L’accusation ne provient pas de groupes militants ou politiques allemands mais d’un vaste pays : l’Inde. La critique venue d’Inde vise une caricature publiée par le journal pile au moment où l’Inde a démographiquement dépassé la Chine, un événement qui a eu lieu la troisième semaine d’avril 2023.
Le dessin, réalisé par le dessinateur suisse Patrick Chappatte, montre des Indiens dans et sur un train obsolète, digne des trains de l’époque coloniale, train par ailleurs totalement surpeuplé, une sorte d’image de pays d’une pauvreté extrême, dépassant un autre train, chinois, cette fois-ci de très haute technologie : un train à grande vitesse rappelant les TGV français.
#Racist
Soon India would surpass Germany in Global economy.
Inspite the whole article applauds India but one Cartoon it’s purely Racist @derspiegel @patrickchappatte https://t.co/KBqudZWZ5B— Rohit Pandey (@I_m_rohit_13) April 25, 2023
Le vice-ministre de l’économie Indien, Rajeev Chandrasekhar, a réagi sur Twitter en affirmant que cette manière de s’en prendre au Premier Ministre Narenda Modi était une preuve de manque d’intelligence. Il a aussi indiqué que d’ici peu l’économie Indienne sera plus importante que celle de l’Allemagne. Der Spiegel a préféré ne pas commenter. Cependant, de nombreuses personnalités Indiennes, dont le vice-président du parti au pouvoir (BJP) Baijayant Panda, qui accuse l’hebdomadaire de faire de « l’Indian Bashing, d’avoir oublié l’holocauste et de donner du crédit à des théories complotistes au sujet de l’Inde », ou encore Kancha Gupta, conseiller auprès du ministre de l’information, ont accusé l’hebdomadaire de racisme, précisant que la représentation donnée de l’Inde par l’hebdomadaire allemand était ridicule, sans aucun rapport avec la réalité du pays.
👋🏽#Germany this is outrageously racist. @derspiegel caricaturing India in this manner has no resemblance to reality. Purpose is to show #India down and suck up to #China.
This is as bad if not worse than the racist cartoon in @nytimes lampooning India’s successful Mars mission. pic.twitter.com/z9MxcPQC7u— Kanchan Gupta 🇮🇳 (@KanchanGupta) April 23, 2023
Le Tweet de Kacha Gupta n’y va pas par quatre chemins : « C’est outrageusement raciste, Der Spiegel. Caricaturer l’Inde de cette manière n’a rien à voir avec la réalité. Le but est de descendre l’Inde est de faire de la lèche à la Chine ».
En perte de vitesse, à l’instar de toute la presse d’Europe de l’Ouest, Der Spiegel gagne maintenant essentiellement de l’argent en organisant des voyages pour ses lecteurs. La destination ? Le Qatar. Ce qui n’a pas empêché le magazine de critiquer ce pays au moment de la coupe du monde de football. L’hypocrisie fonctionne à plein régime.