Il y a plus de 1400 jours que Julian Assange est incarcéré à la prison de haute sécurité de Belmarsh. Il est sous une menace d’extradition aux États-Unis depuis le 14 mars 2022, avec un état de santé très dégradé. Nous reproduisons un article du site Les Crises sur le sujet. Certains intertitres sont de notre rédaction.
Arrestation le 11 avril 2019
Il y a quatre ans, le 11 avril 2019, la police métropolitaine pénétrait dans l’ambassade d’Équateur à Londres et s’emparait du journaliste australien Julian Assange. Officiellement, la police britannique arrêtait le fondateur de WikiLeaks pour le délit de fuite sous caution. Mais la véritable raison de cette arrestation était que les États-Unis demandaient l’extradition de Julian Assange.
Assange vivait à l’intérieur de l’ambassade depuis que le gouvernement du président équatorien Rafael Correa, craignant à juste titre qu’il soit poursuivi aux États-Unis pour ses activités journalistiques, lui avait accordé l’asile. Il n’a jamais pu se rendre en Équateur, le gouvernement britannique ayant organisé un siège de l’ambassade, l’enfermant dans une situation qu’un groupe de travail des Nations unies a jugée arbitraire. Mais le successeur de Correa, le président Lenín Moreno, a fait volte-face, révoquant l’asile de Assange et autorisant la police britannique à pénétrer dans l’ambassade. « Le plus grand traître de l’histoire de l’Équateur et de l’Amérique latine, Lenín Moreno, a permis à la police britannique d’entrer dans notre ambassade à Londres pour arrêter Assange », a déclaré Correa par la suite. « Ce qu’il a fait est un crime que l’humanité n’oubliera jamais. »
Le même jour, les États-Unis ont rendu public un acte d’accusation contre Assange pour « conspiration en vue de commettre une intrusion informatique ». Il s’avérera plus tard que les accusations concernant sa liberté sous caution ont été portées par le Royaume-Uni à la demande de la Maison Blanche dans le cadre d’un plan visant à l’arrêter. Un mois plus tard, les États-Unis ont retenu dix-sept autres chefs d’accusation, en raison du rôle joué par Assange dans la publication d’informations sur les crimes de guerre et les abus de pouvoir commis par les États-Unis.
Bien que la situation d’Assange soit désastreuse, il y a des raisons d’espérer. À l’occasion de l’anniversaire de son arrestation, des législateurs du monde entier ont manifesté leur soutien à Assange. Ce n’est pas la première fois que des législateurs internationaux demandent aux États-Unis de mettre fin aux poursuites engagées contre Assange. Mais pour la première fois, ils ont été rejoints par certains membres du Congrès américain.
L’indignation internationale
Quatre ans plus tard, Assange est toujours emprisonné à la prison de Belmarsh. Il s’agit de l’une des prisons les plus dures de Grande-Bretagne. Son utilisation pendant la « guerre contre le terrorisme » lui a valu d’être comparée à Guantanamo Bay. L’état de santé d’Assange est de plus en plus précaire, ce qui a conduit sa famille à l’accuser d’être la victime d’un « meurtre au ralenti. »
Heureusement, les législateurs d’un certain nombre de pays s’unissent aujourd’hui pour protester contre les poursuites engagées contre Assange. Au Royaume-Uni, une lettre s’opposant à l’extradition, rédigée par Richard Burgon, député travailliste et membre du Socialist Campaign Group, a recueilli le soutien de trente-cinq députés et lords. Il s’agit non seulement de collègues travaillistes, mais aussi de membres du Parti national écossais, de Plaid Cymru, des Démocrates libéraux, d’un Vert et même d’un Conservateur.
En Australie, une initiative menée par le député indépendant Andrew Wilkie a recueilli quarante-huit signatures, chaque parti au Parlement étant représenté dans une lettre qui constituait plus de 20 % de l’ensemble du Parlement. Au Mexique, Citlalli Hernández, sénateur de Morena, et Manuel Vázquez, membre de la Chambre des députés de Morena et survivant du massacre d’Ayotzinapa, ont recueilli les signatures de quatre-vingt-dix-sept de leurs collègues législateurs. Au Brésil, quatre-vingt-dix-neuf membres du Parlement et du Sénat ont envoyé une lettre à l’ambassade des États-Unis.
Un début de mouvement chez les législateurs américains
Contrairement aux années précédentes, les législateurs américains se sont joints à leurs homologues étrangers pour exiger la libération d’Assange. La représentante Rashida Tlaib (démocrate, Michigan) a pris la tête d’une lettre à laquelle se sont joints les membres du Congrès Jamaal Bowman (démocrate, New York), Cori Bush (démocrate, Missouri), Greg Casar (démocrate, Texas), Alexandria Ocasio-Cortez (démocrate, New York), Ilhan Omar (démocrate, Nouveau Mexique) et Ayanna Pressley (démocrate, Massachusetts). La lettre citait l’opposition quasi unanime aux poursuites de la part des groupes de défense de la liberté de la presse, ainsi que l’opposition de journaux comme le New York Times et le Guardian. Nombre de ces journaux ont collaboré avec WikiLeaks sur certaines des publications pour lesquelles Assange est inculpé. Sur Twitter, Mme Tlaib n’a pas mâché ses mots : « Il y a quatre ans aujourd’hui, Julian Assange a été arrêté pour avoir publié la vérité. »
Lorsque Julian Assange a été inculpé pour la première fois, le groupe pour lequel je travaille, Defending Rights & Dissent, a immédiatement commencé à visiter les bureaux du Congrès pour les informer de l’inculpation d’Assange et de la menace plus large que représente la loi sur l’espionnage (Espionage Act). Il y avait (et il y a toujours) une quantité incroyable d’informations erronées sur cette question au Congrès. Et même de nombreuses personnes qui comprennent le problème en privé ont peur de s’exprimer contre l’acte d’accusation. Bien qu’il soit impossible de ne pas noter le nombre plus modeste de signataires de la lettre américaine par rapport à ceux d’autres parties du monde, le courage de ceux qui ont signé la lettre et son importance historique doivent être célébrés.
Cette lettre a été rendue possible, en grande partie, par le travail de groupes de défense des libertés civiles tels que Defending Rights & Dissent, qui ont sensibilisé le Congrès à cette affaire, par la décision de Progressive International d’organiser une session du tribunal de Belmarsh à Washington, et par le travail inlassable des militants de base qui ont fait pression sur leurs représentants pour qu’ils représentent leurs convictions. Espérons que ce n’est que le début.
Comme le révèle n’importe quel examen superficiel des discussions sur Assange dans les médias sociaux, ceux qui s’opposent le plus fermement à sa liberté sont ceux qui ont le moins à dire sur le contenu de l’acte d’accusation. C’est également le cas à l’intérieur du périphérique. Lorsque j’ai rendu compte d’une discussion sur Assange organisée par le Michael V. Hayden Center (du nom de l’ancien directeur de la NSA et de la CIA), les panélistes anti-Assange ont clairement indiqué qu’ils ne voulaient pas discuter du contenu de l’acte d’accusation contre Assange. Les allégations d’atteinte à la sécurité nationale, aussi fallacieuses soient-elles, sont toujours un bon moyen de pression.
Pressions d’Hillary Clinton
Mais dans le cas d’Assange, ce ne sont pas seulement les allégations d’atteinte à la sécurité nationale qui animent ses détracteurs les plus véhéments. WikiLeaks a publié une série de courriels internes du Comité national démocrate (DNC) très peu flatteurs, qui témoignaient d’un parti pris profondément ancré contre la campagne de Bernie Sanders. En conséquence, un certain nombre de partisans d’Hillary Clinton ont tenté de faire de WikiLeaks le bouc émissaire de sa défaite. En 2019, le DNC a tenté de poursuivre WikiLeaks pour la publication de ces courriels, mais un juge a rejeté la plainte en invoquant le Premier amendement.
Robert Mueller s’est également penché sur la question et a refusé d’engager des poursuites pénales en raison de l’absence de preuves liant WikiLeaks à un quelconque piratage et en soulignant que la publication des courriels du DNC était protégée par le Premier amendement. L’acte d’accusation contre Assange ne concerne que les informations publiées entre 2010 et 2011 sur les guerres en Irak et en Afghanistan, le camp de prisonniers de Guantanamo Bay, à Cuba, et les transactions corrompues du département d’État américain. Pourtant, certains semblent prêts à se faire les champions de sa persécution et de sa torture pour avoir dénoncé des crimes de guerre afin de venger l’élection de 2016.
Dans une lettre interne adressée à ses collègues et publiée par The Intercept, Tlaib écrit :
« Je sais que beaucoup d’entre nous ressentent de l’animosité pour M. Assange, mais ce que nous pensons de lui et de ses actions est vraiment hors sujet ici. Le fait est que la manière dont Assange est poursuivi en vertu de la loi sur l’espionnage, notoirement antidémocratique, porte gravement atteinte à la liberté de la presse et au Premier amendement. »
Mme Tlaib a raison d’exhorter ses collègues à mettre de côté leurs sentiments à l’égard d’Assange. Si je pense que WikiLeaks est l’une des entreprises journalistiques les plus audacieuses et les plus importantes de ce siècle, les enjeux sont bien plus importants que le sort d’un seul individu : il s’agit ni plus ni moins de l’avenir du Premier amendement.
Le monde s’est depuis longtemps mobilisé contre la persécution d’Assange par les États-Unis, et les membres du Congrès se joignent enfin à eux. Nous sommes encore loin du but, mais nous gagnons du terrain. La gauche doit se tenir aux côtés de ceux qui sont prêts à s’élever contre cette persécution.
Source : Jacobin Mag, Chip Gibbons, 13/04/2023
Chip Gibbons est directeur politique de Defending Rights & Dissent. Il a animé le podcast Still Spying, qui explore l’histoire de la surveillance politique du FBI. Il travaille actuellement à la rédaction d’un livre sur l’histoire du FBI, qui explore la relation entre la surveillance politique nationale et l’émergence de l’État de sécurité nationale aux États-Unis.
Traduit par les lecteurs du site Les Crises.
Voir aussi : Julian Assange, portrait