Remix est un site d’information numérique en anglais traitant principalement mais non exclusivement de l’actualité en Pologne, Hongrie et République tchèque. Claude Chollet leur a accordé deux longs entretiens. Voici le premier qui traite du sujet trop bien connu de la censure préventive et des menaces qui pèsent sur les libertés en France par l’extrême-centre, inquiet pour sa survie politique. Nous avons publié cet entretien en anglais le 20 juin, certains lecteurs l’ont réclamé en français, le voici, nous remercions Remix pour la traduction.
Exclusif : Le gouvernement français pourrait interdire les partis de droite et conservateurs en utilisant une méthode de censure « préventive », avertit le fondateur de l’Observatoire du journalisme (1e partie)
Claude Chollet, fondateur et directeur de la rédaction de l’Observatoire du journalisme, explique à Remix News qu’un nouveau régime de censure préventive, unique en son genre au sein de l’UE, marque une nouvelle étape dans la dérive autoritaire de la gauche libérale en France face au mécontentement populaire et à la contestation sur des questions clés comme l’immigration et la liberté d’expression.
Vous êtes le secrétaire de l’Institut Iliade pour la longue mémoire européenne et c’est vous qui avez parlé au nom de cet institut après l’interdiction préventive par le gouvernement français de son colloque qui avait été prévu pour le 21 mai. Vous avez parlé d’un retour de la censure préventive en France, l’Institut Iliade n’ayant jamais fait l’objet d’une condamnation pour activité ou propos illicites, mais ayant simplement été catalogué « extrême droite » par l’équipe d’Emmanuel Macron. Avec le recul, pouvez-vous nous en dire plus sur cette interdiction et sur ce que cela implique pour la liberté d’expression et la liberté d’association en France ?
Je pense qu’il faut revenir à la chronologie. L’hommage à Dominique Venner était prévu le dimanche 21 mai à 15 heures. Le vendredi à 17 heures sur le site de Médiapart, qui est un site d’information générale d’extrême gauche, paraît un article d’un pseudo-historien français, Nicolas Lebourg, sur Dominique Venner, l’historien auquel nous voulions rendre hommage avec ce colloque, pour l’anniversaire de son suicide à la cathédrale Notre-Dame. Et cet article est fait à partir de fiches des renseignements généraux, c’est-à-dire à partir de fiches de la police. À 19h, la préfecture de police interdit notre hommage alors qu’il s’agissait d’un hommage privé rendu dans un lieu privé sur invitation. Et dans son interdiction, la préfecture de police reprend, en le paraphrasant, l’article de Médiapart. Bizarrement, ce n’est qu’à 15h30 le lendemain, moins de vingt-quatre heures avant notre colloque, que nous sommes informés. En France, il y a ce qu’on appelle un référé liberté qu’on peut déposer auprès du tribunal administratif. Nous en avons déposé deux, le samedi à 18h et à 19h ; le tribunal administratif nous a répondu le lundi matin en disant qu’ils ont été déposés trop tard…
Avec cette interdiction pour laquelle nous avons, de fait, été privés de toute possibilité de recours, le préfet de police n’a bien sûr fait qu’appliquer les ordres du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. Le motif de l’interdiction : les propos qui pourraient être tenus à notre colloque à en fonction de l’appartenance ou de la non-appartenance de certaines catégories de population en fonction de la race, de la religion, de l’origine ou de la sexualité etc. etc.
Cela veut dire que la France est entrée dans une justice préventive où on juge par avance ce que les gens pourraient penser. C’est un renversement complet de l’État de droit et notamment de la loi sur la presse de 1881 qui protégeait non seulement la liberté de liberté de la presse, mais aussi la liberté d’expression. Aujourd’hui en France, on estime que vous pourriez dire quelque chose, en disant que votre pensée n’est sans doute pas très bonne, qu’elle n’est pas dans les normes de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen – c’est exactement ce que nous a dit la préfecture de police dans son interdiction – et que donc on préfère vous interdire.
C’est une chose unique et c’est très inquiétant pour l’avenir des libertés publiques mais aussi pour les libertés privées parce ce n’est plus seulement la liberté d’expression mais la liberté d’opinion qui est en cause. Depuis, nous avons déposé trois recours par l’intermédiaire de notre avocat : un contre le tribunal administratif, qui aurait dû juger plus tôt notre référé liberté, un deuxième devant le Conseil d’État pour abroger la circulaire Darmanin qui est la base juridique de l’interdiction, et un troisième contre le préfet de police pour discrimination politique au titre de la loi Pleven.
En même temps, le Conseil d’état, en France, est assez soumis au pouvoir exécutif puisque ses juges sont récompensés par des postes dans les ministères quand ils ont bien jugé.
Je crains que ce ne soit exact, mais je pense qu’il faut quand même marquer notre position auprès du Conseil d’État et du préfet. Cette bataille, nous ne la livrons pas uniquement pour nous, mais pour tout le monde. On pourrait imaginer demain qu’un parti politique d’opposition comme le Rassemblement national, Reconquête ou la France Insoumise tienne un meeting et que ce meeting soit interdit en disant que des propos pourraient y être tenus qui pourraient être contraires à la Déclaration des droits de l’homme et des citoyens ou contraires à la République.
On peut même imaginer, je suppose, une dissolution comme pour Génération Identitaire qui, finalement, n’avait rien commis d’illégal.
On peut maintenant tout imaginer. La logique de cette interdiction n’est pas du tout juridique mais politique. Le président Macron n’a plus de majorité claire à l’Assemblée nationale. Il ne sait plus très bien quoi faire. On voit qu’il y a une flambée de l’insécurité et des agressions. Il y a eu l’affaire d’Annecy tout récemment, avec des enfants agressés au couteau par un réfugié syrien, mais c’est tous les jours qu’il y a des viols, des attaques, des cambriolages, etc. Le bilan sur le plan de la sécurité est une catastrophe absolue et le président Macron a d’ailleurs parlé de décivilisation, ce qui est quand même intéressant et révélateur. Sur le plan de l’immigration, c’est un déferlement absolu.
Et comme le bilan du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, est nul, il fait de la communication en tapant deux coups à droite, et un coup à gauche, comme avec la dissolution du mouvement gauchiste, écologiste, Soulèvements de la terre. Au fond, c’est l’extrême-centre qui ne fait rien pour la sécurité, rien pour l’immigration sauvage, mais qui cherche à montrer aux Français qu’il lutte contre les méchants d’extrême gauche et d’extrême droite pour dire : « Dormez braves gens, vous êtes protégés ». Et pour cela on assigne à volonté les gens à l’extrême droite ou à l’extrême gauche.
Au fond, cela cache une certaine inquiétude des autorités. Si cette inquiétude se renforce, on pourrait imaginer que la répression va se renforcer encore. Je crois il y a un raidissement des autorités dû à un affaiblissement et à une grande inquiétude : est-ce qu’Emmanuel Macron pourra aller jusqu’au bout de son mandat ?
Après l’interdiction de votre colloque en France, vous êtes allé participer à une autre réunion de l’Iliade, mais en Italie, je crois.
En effet, mais ce n’était pas un colloque mais une présentation de l’Institut Iliade organisée dans une librairie.
Cela peut-il être une solution pour l’avenir d’aller organiser des événements de l’Institut Iliade dans des pays européens plus libres que la France ?
Ce serait vraiment à la dernière extrémité, mais pourquoi pas ? La liberté d’expression me paraît effectivement beaucoup plus grande en Espagne et en Italie, deux pays que je connais bien. Cela vaut aussi pour le Portugal, j’en suis certain, mais pour l’Allemagne, je ne suis pas sûr. On pourrait imaginer tenir à l’étranger un colloque qui soit filmé puis mis sur internet. Mais cela voudrait dire que la situation est vraiment dramatique si nous sommes obligés d’aller à l’étranger pour pouvoir nous exprimer librement. Ce n’est pas inenvisageable, mais c’est vraiment en dernier recours que nous ferions cela. On pourrait aussi le faire en Pologne, en Hongrie ou en République tchèque, par exemple, ou ailleurs en Europe centrale, où il y a plus de liberté. Mais ce serait quand même une défaite.