Le 5 juillet, la Commission européenne rendait son quatrième rapport sur l’État de droit dans les pays membres de l’Union européenne. Ce rapport de trente-cinq pages, accompagné de recommandations pour chaque État membre, se structure en quatre piliers : les systèmes de justice nationaux, les cadres de lutte contre la corruption, le pluralisme des médias et d’autres questions institutionnelles en lien avec l’équilibre des pouvoirs. Un document incontournable pour comprendre la conception que Bruxelles se fait de la presse.
Jean Quatremer furax
L’illustre correspondant de presse à Bruxelles Jean Quatremer a tenu à faire montre de son agacement au moment de la publication de ce rapport. Ayant plus de connaissances linguistiques que Jean Quatremer, les équipes de l’Ojim ont pu se pencher en détail sur ce document publié seulement en anglais.
A l’heure des logiciels de traduction et de l’IA, la Commission européenne toujours incapable de traduire une page en anglais de cuisine alors que ce paquet est en préparation depuis plusieurs mois. Grosse fatigue à l’égard de tant d’incompétence surpayée https://t.co/tJ6kEikMGG
— Jean Quatremer (@quatremer) July 5, 2023
La France, mauvais élève
L’an passé, la Commission avait recommandé à la France de faire des progrès en matière de « transparence de la propriété des médias, en particulier en ce qui concerne les structures d’actionnariat complexes, en s’appuyant sur les garanties juridiques existantes. »
Elle constate aujourd’hui que rien n’a été fait en ce sens et adresse aux autorités françaises mot pour mot la même recommandation qu’en 2022. Que la situation n’ait pas changé en termes de concentration et de transparence, c’est une évidence. D’ailleurs, le gouvernement français semble le reconnaître en frisant le style humoristique dans son document envoyé à la Commission sur les mesures prises depuis 2022 :
« Des réflexions ont été engagées au niveau national concernant le sujet de la concentration et de la transparence de l’actionnariat des médias ; elles se poursuivent en tenant compte de la proposition de législation sur la liberté des médias qui aborde aussi ces thématiques. »
Où sont les campagnes de presse internationales contre la France de Macron ?
La lecture de ce rapport permet de comprendre qu’il existe selon la Commission des problèmes de liberté de la presse dans quasiment tous les pays de l’Union européenne. Il n’y a guère pourtant que deux États qui fassent l’objet d’une cabale permanente de la part des institutions européenne : la Hongrie et la Pologne, qui sont sous le coup d’une procédure prévue par l’article 7 du Traité sur l’UE pour violation des valeurs communes.
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Lorsqu’on est bénéficiaire au budget et qui plus est politiquement incorrect, les reproches de la Commission se transforment en campagne de dénigrement orchestrée par les médias de grand chemin internationaux. Il y aurait pourtant assez de matière pour en faire de même avec d’autres pays de l’UE. À titre d’exemples, la Roumanie et la Bulgarie sont rangées par la Commission dans la même catégorie que la Pologne et la Hongrie, celles des pays où le risque sur la liberté de la presse serait « très élevé ». Le moins que l’on puisse dire, c’est que Bucarest et Sofia ne font absolument pas l’objet de la même attention que Budapest et Varsovie.
Une méthodologie orientée
Cette classification opérée par la Commission est en soi problématique. Elle provient de l’outil « Media Pluralism Monitor », une « source d’information importante » pour la confection du rapport annuel sur l’État de droit. Voici comment il est présenté par les rédacteurs du rapport :
« Il s’agit d’un outil scientifique holistique qui documente la santé des cadres médiatiques, en détaillant les menaces qui pèsent sur le pluralisme et la liberté des médias dans les États membres et dans certains pays candidats. Il est cofinancé par l’UE et est réalisée, de manière indépendante et régulière, par le Centre pour le pluralisme et la liberté des médias, depuis 2013–2014. »
Cet outil est donc développé par l’European Centre for Press and Media Freedom, un think-thank que finance la Commission européenne et qui avait été lancé avec l’appui de Martin Schulz (Socialistes et démocrates), Elmar Brok (Parti populaire européen) et Alexander Graf Lambsdorff (ALDE, Alliance des libéraux-démocrates). Qu’attendre d’une organisation financièrement dépendante de la Commission européenne sinon qu’elle donne une caution pseudo-scientifique à l’agenda politique de Bruxelles ?
D’autres organisation suspectes
Pour classer les pays membres de l’UE, la Commission s’est aussi appuyée sur l’index de liberté de la presse établi par Reporters sans frontières, dont la méthodologie est également critiquable sous bien des aspects, alors que l’indépendance de cette ONG n’est que légende.
Et que dire des autres organisations consultées pour la rédaction de ce rapport annuel ? On retrouve la crème des suspects habituels : Transparency International, Amnesty International, Human Rights Watch, Netherlands Helsinki Committee, Open Society European Policy Institute, etc. Un véritable festival de fausse objectivité et de vraie malhonnêteté que s’attelle à démasquer l’Ojim depuis plus d’une décennie.
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Un deux poids deux mesures permanent
Le problème n’est pas tant au niveau du contenu du rapport, mais se pose en raison du battage politico-médiatique biaisé sur lequel il débouche. Alors que de nombreux États membres sont pointés du doigt dans le rapport, certes timidement, seules la Hongrie et la Pologne font l’objet d’une chasse aux sorcières.
L’Union Européenne a ceci d’intéressant qu’elle se caractérise par une nombre croissant de cas de violations de ses propres règles. Ainsi, en rendant des rapports peinant à dissimuler un biais politique et clairement destiné à jeter l’opprobre sur quelques pays en particulier, la Commission se met en délicatesse par rapport à l’article 4 alinéa 2 du Traité sur l’UE selon lequel « L’Union respecte l’égalité des États membres devant les traités ainsi que leur identité nationale, inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles, y compris en ce qui concerne l’autonomie locale et régionale. »
Peu importent les résultats d’élections dans les États membres, les dispositions et les traditions constitutionnelles, l’héritage historique et culturel (expliquant par exemple la spécificité d’un marché des médias), etc. La Commission veut faire table rase de cela pour tout lisser selon ses propres critères.
Une opération de chantage ?
L’Ojim l’évoquait déjà en janvier à propos du Media Freedom Act : la Commission européenne est en train de franchir un nouveau cap, elle multiplie les critères pseudo-objectifs (emballés dans le concept d’État de droit) pour faire chanter politiquement et financièrement certains États membres. En Hongrie et en Pologne, cette évolution est bien connue et les forces pro-gouvernementales n’hésitent pas à nommer crûment les choses.
Attila Kovács, en charge des études européennes au Centre pour les droits fondamentaux à Budapest, a qualifié cette édition 2023 du rapport sur l’État de droit de manœuvre consistant à vouloir faire plier la Hongrie, pays dans le collimateur de Bruxelles en raison de ses positions sur le lobby LBGT, la guerre russo-ukrainienne et l’immigration illégale. Selon Kovács, Bruxelles ne parvient toujours pas à sortir de l’idée selon laquelle seule une presse libérale peut être qualifiée d’indépendante. Le reste étant invariablement rangé dans le camp du Mal.