Souvenez-vous, c’était le 16 octobre 2020, il y a bientôt trois ans et nous avons presque oublié. Ce jour-là Samuel Paty, professeur d’histoire géographie au collège du bois d’aulne de Conflans-Sainte-Honorine était assassiné puis décapité par le Tchétchène Aboullakh Abouyezi Anzorov, arrivé en France comme réfugié en 2010. Un récit exemplaire et glaçant sous plume alerte et la signature de Stéphane Simon qui se lit comme un thriller effrayant. Suivons en abrégé son enquête jour par jour.
5 octobre
Samuel Paty donne un cours d’éducation civique et morale. Au collège ce sont les professeurs d’histoire géographie qui donnent ce cours. Il le donne à la quatrième 5, sur le thème de la liberté d’expression et parmi de nombreux sujets aborde celui de la tuerie de Charlie hebdo en montrant rapidement quatre des caricatures publiées par le journal. Par mesure de précaution, il indique que certaines images peuvent être choquantes et invite les plus sensibles à quitter la classe quelques minutes, ce que font cinq élèves. Pas de commentaires particuliers.
6 octobre
La principale de l’école reçoit la mère de Yasmina de quatrième cinq. Yasmina se plaint auprès de sa mère, que Samuel Paty aurait demandé aux élèves musulmans de sortir du cours au moment des caricatures, ce qui est faux, la principale enregistre et rassure.
7 octobre
Interventions des parents de Zora, quatrième 5 aussi ; comme Yasmina et sur le même registre que celle-ci, elle dénonce Samuel Paty. Zora est connue comme un élément perturbateur, absences répétées, incivilités, insultes, et est sous le coup d’une expulsion temporaire de deux jours du collège. Le père de Zora, Brahim Chnina, ancien repris de justice devenu islamiste, envoie un message Facebook de dénonciation en donnant le patronyme de Samuel Paty et l’adresse du collège. Seul problème, Zora n’a pas pu assister au cours l’ayant séché toute la journée, elle a été renseignée par Yasmina et tente de justifier son exclusion de deux jours comme une sanction islamophobe.
8 octobre
Le matin, la mère de Zora est reçue par la principale et dénonce le comportement « scandaleux et islamophobe » de Samuel Paty. Zora (qui n’a pas assisté au cours, rappelons-le) est « perturbée et souffre », d’ailleurs le père de Zora viendra en témoigner promet-elle. Dans l’après-midi le père Brahim Chnina, exige d’être reçu par la principale, il est accompagné d’un fichier S Abdelhakim Sefreioui, que la directrice prend pour un membre de la famille. En fin de journée Brahim Chnina dépose une plainte pour discrimination contre Samuel Paty et diffuse une vidéo de 2 minutes où il attaque le professeur et qui sera très largement reprise.
9 octobre
Courageusement, certains des enseignants du collège, mis au courant des vidéos et des menaces des parents de Zora, prennent leurs distances. Une collègue considère que « Samuel a merdé » et veut envoyer une lettre de plainte à l’académie, ce qu’elle ne fera pas sur les réserves d’un autre professeur.
Intervention du « référent laïcité » de l’académie qui, soucieux de ménager la chèvre islamiste et le chou de la liberté d’expression, abandonne Samuel Paty en rase campagne. Il considère que le professeur a une « appréciation inexacte de la laïcité et de la neutralité », il a commis « une erreur » de bonne foi certes mais une erreur, il a été « maladroit » et a « froissé les élèves ». Le cirque des parents de Zora connaît une vraie réussite académique et médiatique.
10 et 11 octobre
C’est le week-end. De nombreux messages de solidarité avec Zora et ses parents sont repris par une partie de la communauté musulmane ; le ton va de la simple réprobation à la menace affirmée. Moins solidaire, une professeur de français du collège se démarque de son collègue « Je ne soutiens pas notre collègue ». Entre référent laïcité qui le désavoue et certains professeurs, Samuel Paty doit se sentir un peu seul.
12 octobre
C’est connu, la peur est communicative. Le lundi, deux autres professeurs du collège condamnent Samuel Paty et son comportement inadapté.
13 octobre
C’est le jour où Chnina et Anzarov échangent des appels téléphoniques, dont la teneur demeure incertaine.
14 octobre
Samuel Paty porte plainte contre Brahim Chnina. La principale du collège reçoit de nombreux messages en colère, appels téléphoniques furieux de parents d’élèves musulmans et d’autres.
15 octobre
Anzarov veut se procurer une arme, il alerte deux amis : Azim, tchétchène comme lui et Naïm, franco-algérien, pour l’aider à en trouver. Il achète un couteau qui sera l’arme du crime, veut un revolver, n’en trouve pas et se contentera d’un pistolet à air comprimé. Il est déjà en possession d’un couteau Laguiole de grande taille qu’il utilisera pour décapiter sa victime.
16 octobre
Naïm dépose Anzarov à proximité du collège sans connaître ses intentions (?). Anzarov, qui connaît le nom de Samuel Paty mais pas son visage, donne 300 euros à des collégiens pour qu’ils le désignent, ce qu’ils font. À 16h52, Anzarov poignarde puis décapite Samuel Paty qui rentrait à son domicile à pied. À 16h55 il envoie des photos sur Snapchat et Instagram. Menaçant, il est abattu par la police.
Conclusion
Que reste‑t’il de Samuel Paty ? Décoré à titre posthume de la Légion d’honneur, tout comme le « référent laïcité » qui a été promu de son côté inspecteur d’académie et est bien vivant. Un récit journalistique exemplaire (nombreuses sources, toutes avec leurs références) qui donne à penser et à agir, nourri de très nombreuses notes en bas de pages, un récit comme on souhaiterait en voir plus souvent, mais sur d’autres sujets moins macabres.
Stéphane Simon, Les derniers jours de Samuel Paty, Enquête sur une tragédie qui aurait pu être évitée, Plon, 2023, 236p, 21€
Illustration : capture d’écran C dans l’air, Stéphane Simon — Enquête : les derniers jours de Samuel Paty, 13 avril 2023