Cinquante ans et toutes ses dents, les revues intellectuelles de cette longévité ne sont pas nombreuses. Esprit, fondée en 1932 par Emmanuel Mounier, a plus d’ancienneté mais n’est plus que l’ombre de l’ombre d’elle-même. Les Temps modernes, la revue de Sartre et Simone de Beauvoir, fondée en 1945 n’a pas survécu à la disparition de son dernier directeur Claude Lanzmann en 2018. Commentaire fondée en 1978 par Raymond Aron demeure confidentielle et n’est pas distribuée en kiosque. La Revue des deux mondes lancée en 1929 vogue vers son centenaire mais n’est que la danseuse de son nouveau propriétaire, Marc Ladreit de Lacharrière.
Du bulletin du Grece à la présence en kiosque
Éléments a démarré modestement comme bulletin interne du Grece le Groupe de recherches et d’études pour la civilisation européenne entre 1968 et 1973 (21 numéros). C’est en septembre 1973 que la revue devient un organe d’information grand public sous l’impulsion de Jean-Claude Valla (disparu en 2007) et de Michel Marmin.
Le journal – outre les éditoriaux d’Alain de Benoist signés Robert de Herte — accueille alors les signatures de Jean Rostand, Pierre Fresnay, Jean Cau et bien d’autres. 1980 voit naître la diffusion en kiosque avec Pierre Vial, c’est l’époque « Nouvelle droite » où l’on retrouve les articles de Guillaume Faye. La période 1987/2000 est moins favorable, la revue quitte parfois les kiosques, paraît sporadiquement. C’est en 2009 qu’une nouvelle équipe, avec entre autres François Bousquet et Pascal Eysseric, reprend la revue, établit la parution sous forme bimestrielle (6 numéros par an plus des hors- série) avec une pagination copieuse qui dépasse les cent dix pages et toujours sans subvention ni publicité.
Une capacité transverse
Michel d’Urance qui fut rédacteur en chef de 2006 à 2008 parle d’une « éditorialité dissidente » comme d’une extra-territorialité des idées et d’un « précipité de rébellion vitale et de non-conformisme statistique ». Une lecture qui ne peut que rebuter les lecteurs militants et attirer les esprits curieux.
Et il y a de la matière dans ce numéro anniversaire. De la mise au point de l’historien Jean-Marc Berlière sur le délicat sujet Vichy a‑t-il protégé les juifs français ? en passant par les aventures duellistes et africaines de Bernard Lugan, une explication (enfin !) de l’attirance des hétérosexuels pour les lesbiennes ou une approche de l’humour chez le rat et un éclairage du politologue Marco Tarchi sur les ambiguïtés de la politique de Georgia Meloni, il y en a pour les curieux.
Sans parler d’un inédit de Julien Freund, d’une critique positive du nationalisme corse, de la géopolitique du communautarisme au Levant, du marketing de la dissidence ou des onze dates qui ont changé le monde, de moins 3000 (la domestication du cheval) à 1976 (le regroupement familial, prélude au grand remplacement).
Les amateurs de littérature pourront se réjouir avec « Jean Dutourd, immortel Français » et les amoureux de Charlotte Rampling et de Jane Birkin (nous préférons la première) en savoir plus sur ces « Jumelles contraires ». Un numéro copieux, riche, trop riche diront certains, mais comme disait ma grand-mère mieux vaut faire envie que pitié. Bon anniversaire !