L’Observatoire du Journalisme s’est entretenu avec John Cody, le directeur de la publication (« managing editor ») du site d’information Remix News dont la popularité grandissante a récemment poussé Facebook à réagir en le soumettant à une censure insidieuse mais très efficace, le shadow-banning. Remix News est un site anglophone basé en Hongrie. Il couvre l’actualité internationale, notamment européenne (avec en particulier un éclairage inégalé, en langue anglaise, sur l’Europe centrale), d’un point de vue conservateur. Comme l’explique John Cody, ce n’est pas la première fois – ni certainement la dernière – que Remix News (rmx.news), qui n’a pourtant jamais été poursuivi en justice pour ses publications, subit la censure de la Big Tech. Sur l’exemple du média Remix News, John Cody nous fait découvrir l’ampleur de la censure à l’œuvre dans le monde occidental aujourd’hui.
Quel type de média est le site web Remix News ?
Nous sommes un média anglophone basé en Hongrie. Au départ, nous nous concentrions principalement sur le groupe de Visegrád et sur les nouvelles en provenance de cette région, mais comme vous le savez, le groupe de Visegrád s’est en quelque sorte désintégré en tant que force idéologique cohérente. On peut se demander si cette force a jamais été cohérente, mais quoi qu’il en soit, nous avons aujourd’hui une couverture plus large des questions qui agitent l’Occident, et en particulier l’Europe. Remix News présente différents points de vue sur ces questions. Par exemple, nous présenterons le point de vue polonais sur la guerre entre l’Ukraine et la Russie, mais aussi le point de vue hongrois. Dans l’ensemble, nous nous concentrons sur des sujets tels que l’immigration, la censure et la politique européenne, ainsi que sur des sujets culturels et d’autres encore.
Quelle est votre portée? Quels sont vos meilleurs succès en termes de vues pour vos articles et vos vidéos ?
C’est une question légitime, même si je pense que de nombreux médias ne souhaitent pas divulguer tous leurs chiffres ou données.
En termes d’articles, nous avons des articles qui ont été consultés entre 100.000 et 250.000 fois. Il s’agit d’articles que nous considérons comme ayant un certain succès. Mais c’est par la vidéo que Remix News a vraiment excellé en termes de portée.
Avant d’être fermés sur TikTok, nous avions parfois des vidéos avec 4 millions de vues sur cette plateforme, et nous obtenions régulièrement entre 500 000 et un million de vues par vidéo. Nous avons connu un succès particulier sur Facebook. Nous avons enregistré 100 millions de vues au cours de l’année écoulée, ce qui représente une croissance considérable par rapport à l’année précédente, où nous avions enregistré environ 4 millions de vues. L’année écoulée a été exceptionnelle pour nous sur Facebook, et nous touchions des millions de personnes par semaine.
De quel type de vidéos s’agit-il ?
Il s’agit principalement de vidéos de courte durée. Le format d’un grand nombre de ces vidéos s’inspire en fait de médias de gauche, comme les Deutsche Welle Stories en Allemagne, qui sont de courtes vidéos publiées sur Facebook. Il s’agit en quelque sorte de raconter l’actualité par le biais d’un récit narratif émaillé d’entretiens ou de citations d’hommes politiques. Ces vidéos durent en général entre 1,5 et 4 minutes. Elles sont en quelque sorte faites sur mesure pour TikTok, Facebook et ce type de public. Il ne s’agit pas de documentaires de longue durée.
Quels sont les sujets habituellement abordés dans ces vidéos ?
Ils peuvent être très différents, mais en ce qui concerne Remix News, ils sont principalement axés sur l’Europe, bien que dans nos vidéos, nos sujets soient un peu plus internationaux que les articles que nous publions sur notre site web. Nos vidéos couvraient des sujets dans des pays comme l’Inde, l’Afghanistan et les États-Unis. Nous nous demandions souvent quelle histoire allait intéresser notre public avant de faire quelque chose avec une telle histoire. Cela pouvait aller des festivals folkloriques en Hongrie à la crise à la frontière entre le Mexique et les États-Unis, par exemple. Mais notre public était particulièrement intéressé par le conflit en Ukraine et le thème de l’immigration.
Ces sujets ont vraiment trouvé un écho. Et je pense que la raison en est que, sur Facebook et TikTok, l’algorithme ne permet pas vraiment à ces sujets de circuler librement. Avant d’être censurés, nous attirions vraiment beaucoup de gens avec ces deux sujets. Les gens s’y intéressent, surtout à l’immigration. En ce qui concerne l’Ukraine, nous présentions également le point de vue hongrois, ce qui était nouveau pour de nombreuses personnes sur ces plateformes. Les gens s’intéressent à ce que Viktor Orbán, par exemple, a à dire sur le conflit en Ukraine, car beaucoup n’ont jamais réellement entendu son avis sur cette question. Un avis qui est tout à fait unique sur la scène européenne.
Le 30 octobre, vous avez informé vos lecteurs que Remix News avait fait l’objet d’un acte de shadow-banning de la part de Facebook, justement après avoir atteint un très grand nombre de vues, comme vous venez de le dire. Êtes-vous toujours censuré sur Facebook? Ce shadow-banning vous vise-t-il encore ?
Oui. L’un des aspects exceptionnels de ce bannissement subreptice est que nous avons fait appel de la décision initiale contre notre profil et que nous n’avons jamais reçu de réponse. Jusqu’à présent, nous avions toujours reçu des réponses à nos recours et Facebook lui-même affirme répondre dans les quatre jours. Mais cette fois, ils ne nous ont même pas répondu et cela fait maintenant largement plus de deux mois que cela dure. La première attaque était en fait une sorte de diffamation, de calomnie, de leur part, car ils prétendaient que nous faisions la promotion d’un groupe haineux. Ils ne veulent pas nous dire à quelle vidéo ils faisaient référence, mais nous n’avons jamais fait la promotion de groupes haineux. En fait, nous nous sommes toujours efforcés de respecter les règles sur Facebook.
Et après cela, ils nous accusé de faire du spam. Nous ne faisons pas de spam nous-mêmes et nous ne coordonnons aucun spam. Nous ne savons pas non plus de quoi ils parlent, car ils se contentent de faire référence à un message que nous avons publié sans nous dire de quel message il s’agit. C’est donc pour nous une situation très étrange, kafkaïenne, même.
Avez-vous malgré tout une idée de ce qui a pu motiver ces attaques ?
Je pense que la vidéo à laquelle ils font référence est une vidéo que nous avions réalisée sur des Britanniques qui protestaient contre des péniches pour loger des migrants. Il y avait ces hôtels flottants pour migrants qu’ils avaient installés en Grande-Bretagne. Et je tiens à préciser que dans cette vidéo, avec toutes les personnes interviewées, nous avions utilisé des images de l’Associated Press. Toutes ces personnes avaient été interviewées par l’Associated Press et donnaient leur avis sur ces barges à migrants. La source des images et des interviews ne provient pas d’une personne marginale ou déséquilibrée. Ce ne sont que des personnes qui donnent leur avis. Elles disent qu’elles ne veulent pas de ces péniches à migrants dans leur ville ou sur leur île.
Nous utilisons beaucoup d’images d’actualité sous licence provenant d’autres médias légitimes, et dans ce cas-là nous soulignions simplement que des manifestations avaient lieu contre ces péniches pour migrants, et qu’une grande partie du public britannique en a assez de cette situation. Aucun des propos tenus n’était haineux. Le message général de ces Britanniques est qu’ils comprennent que ces personnes veulent être quelque part, mais qu’ils n’ont pas les ressources nécessaires pour les accueillir.
Il n’y avait donc rien de haineux dans ce qui était dit, mais Facebook veut nous censurer, alors ils vont toujours trouver une raison de nous censurer. Nous sommes tout simplement devenus trop gros. Trop de gens regardaient nos vidéos, trop de gens interagissaient avec nous et aimaient notre page, et Facebook cherchait une raison de nous censurer. En fin de compte, peu importe la vidéo ou la raison invoquée, car je pense qu’ils avaient un objectif clair et qu’ils ont simplement trouvé une raison quelconque pour s’en prendre à nous.
Comment cela vous a‑t-il affecté ?
C’est justement là la partie insidieuse de ce shadow-banning et je crois qu’il en est justement un peu question dans les Twitter files. Il s’agit d’une censure furtive pour vous faire taire sans faire de bruit. Les gens diront que vous n’êtes pas banni de la plateforme, que vous y êtes toujours présent. Néanmoins les censeurs peuvent décider du nombre de personnes que vous pouvez atteindre, et pour moi, la réalité c’est que vous êtes de fait banni de la plateforme.
Nous sommes passés de 2 à 3 millions de vues par semaine à quelques milliers de vues seulement. Ils ne font voir nos vidéos qu’aux personnes qui nous suivent et ce seulement à une fraction minuscule de ces personnes. Et ils ne laissent pas ces vidéos se propager au-delà de ce cercle. Nous sommes donc enfermés dans une sorte de purgatoire. Je pense que ce shadow-banning est une forme de censure très intelligente de leur part. Cela permet de vous maintenir dans des limbes où vous existez sans exister vraiment. Il est donc un peu plus difficile de rallier les personnes hostiles à la censure parce que ces personnes se disent que vous n’avez pas été complètement banni.
Pourtant, la réalité est que, à toutes fins utiles, nous sommes bien bannis de Facebook. Nous ne touchons plus grand monde et c’est une chose qui est arrivée à beaucoup d’autres, malheureusement.
Quel est l’impact sur le nombre de lecteurs du site Remix News ?
Environ 15 à 20 % de notre trafic nous venait de Facebook, ce qui fait une différence considérable. Remix News est un petit organe de presse et si nous sommes toujours petits, c’est en partie parce que nous avons été tellement censurés. Je pourrais donner la liste des plateformes sur lesquelles nous avons été censurés, mais elle commence à être assez longue.
Peut-être pourriez-vous simplement nous donner les noms de vos plus gros censeurs ?
Nous avons été bannis de Twitter pendant deux ans. Après la reprise de Twitter par Elon Musk, nous avons été autorisés à revenir sur cette plateforme, mais, pour une raison que nous ignorons, notre nombre de suiveurs a chuté de moitié une fois que nous avons été réintégrés. Une partie de ces comptes perdus de suiveurs avait certainement été supprimée ou avait disparu. Nous avons été bannis de Google AdSense. Nous avons été bannis de Taboola, une autre plateforme publicitaire numérique, après avoir gagné quelque chose comme 150 ou 200 euros. Nous avons été bannis sur TikTok. Nous avions des millions de vues. Nous avons été suspendus plusieurs fois et maintenant nous y faisons aussi l’objet d’un shadow-banning. Sur YouTube, certaines de nos vidéos étaient visionnées entre 100.000 et 150.000 fois. Cela s’est complètement tari. Et maintenant, il y a donc Facebook.
Je dirais qu’en termes d’organes de presse Internet, nous sommes une des publications les plus censurées du monde occidental. De nombreuses personnes ont été complètement bannies et ont été plus durement touchées que nous à bien des égards. Mais pour ce qui est d’une publication comme la nôtre avec des journalistes qui interviewent des hommes politiques européens importants, et avec les ressources nécessaires pour publier des vidéos et couvrir l’actualité tous les jours, notre situation est tout à fait exceptionnelle. Notre liberté d’expression et notre capacité à travailler dans un environnement d’information ont été complètement censurées et mises à l’index.
La censure qui nous vise est telle que nous avons presque l’impression d’être surveillés par une sorte d’entité ou d’organisation. Si vous regardez ce qui nous est arrivé sur Taboola, par exemple, nous n’y avons pratiquement rien gagné et il s’agit d’une plateforme publicitaire de second rang. Mais quelqu’un a su que nous avions gagné 150 euros grâce à eux et nous a fait bannir. Ils n’ont pas répondu à nos courriels alors que nous avions signé un contrat. Quelqu’un savait donc que nous gagnions un peu d’argent grâce à cette plateforme publicitaire numérique et a réussi à nous en faire retirer.
Et c’est la même histoire partout. Chaque fois que nous mettions en ligne une vidéo sur TikTok, nous étions touchés dans les minutes qui suivaient. Quelqu’un nous signalait immédiatement et nous étions placés dans une sorte de file d’attente pour être passés en revue. Je pense que nous sommes une menace pour « l’establishment », et ils n’aiment pas qu’une narration différente ou un média divergent puisse attirer du public. Il est sûr que Remix News représente une menace sérieuse à cet égard.
Comment se fait-il que TikTok, une entreprise de la Chine communiste, soit du même côté que la Big Tech américaine ?
Je pourrais explorer différentes théories, mais la branche privée américaine de TikTok affirme qu’elle est indépendante de la Chine. On peut spéculer sur la véracité de cette affirmation, mais je pense qu’il y a une part de vérité, car le Congrès et le gouvernement américain exercent une énorme pression pour que la Chine reste à l’écart de la plateforme TikTok qui fonctionne aux États-Unis. Je crois donc que la Chine est très prudente quant à son implication dans TikTok.
Et toutes les très grosses plateformes de médias sociaux, à quelques exceptions notables près, sont essentiellement composées de personnes qui veulent censurer lourdement les sites comme Remix News. Leurs motivations sont très opaques.
Le média Remix News a‑t-il déjà été condamné par un tribunal pour incitation à la haine, diffamation ou autre chose de ce genre ?
Non, nous n’avons jamais été poursuivis en justice et nous n’avons jamais vraiment eu de polémique de ce genre. Il n’y a pas non plus eu d’enquête de police nous visant concernant un soutien supposé de notre part à des groupes haineux. Tout cela n’a aucun sens. On nous assène toutes ces accusations absurdes. Quand Twitter nous a bannis, ils nous ont dit que nous coordonnions des activités de spam. C’était un mensonge. Ils ne font qu’inventer des accusations et ce n’est pas le cas juste avec Remix News. Cela se produit un peu partout, principalement à l’encontre de particuliers, et il n’y a malheureusement jusqu’ici pas eu grand-chose de fait pour lutter contre ce phénomène.
En tant que média, avez-vous désormais le sentiment de pouvoir utiliser votre liberté de la presse sur X (anciennement Twitter) ?
Je dirais que, en ce qui concerne le contenu produit par Remix News, je ne crois pas qu’il y ait beaucoup de choses qui puissent être censurées sur X. Il y a des rumeurs et même des preuves de censure sur X sous la direction d’Elon Musk. La part de responsabilité de ce dernier est sujette à spéculation. Des groupes extérieurs exercent toujours une forte pression pour censurer sur X, mais, parmi les grandes plateformes, c’est celle qui semble la plus ouverte à l’heure actuelle.
Mais vous savez, avec la répression de l’UE et la pression exercée par divers groupes d’intérêt, la question est de savoir combien de temps cela pourra durer. Elon Musk est néanmoins un homme qui ne se laisse pas facilement bousculer. C’est l’un des hommes les plus riches du monde et il jouit d’une popularité incroyable. Il est donc plus difficile de censurer X correctement. En tout cas, pour l’instant, en tant que Remix News, j’ai l’impression que nous pouvons publier ce que nous voulons sur X, oui.
Mais nous avons perdu deux ans de suiveurs à cause de la censure et nous avons beaucoup de mal à attirer les gens sur cette plateforme parce que nous n’y sommes pas très connus.
Avez-vous un plan pour contrer la censure de Facebook et des autres ?
J’aimerais que nous traduisions ces entités devant les tribunaux hongrois. J’aimerais en faire une affaire judiciaire. Cela va-t-il se produire? Ce n’est pas encore clair. Les procédures judiciaires peuvent être longues et épuisantes, et elles nécessitent des ressources.
Ce qui est intéressant dans la mondialisation, c’est que Remix News, par exemple, peut être censuré sur diverses plates-formes aux États-Unis. Mais un tribunal en Hongrie, en Pologne ou ailleurs peut déclarer qu’un média comme le nôtre doit avoir sa place dans l’espace public, c’est-à-dire en l’occurrence sur les médias sociaux, et que si cela ne lui est pas accordé, c’est une violation fondamentale de la liberté de cette publication et des principes de liberté de la presse, et les coupables doivent en subir les conséquences légales. Remix News pourrait créer un précédent pour d’autres organes d’information. En ce qui concerne notre action extrajudiciaire, nous cherchons simplement d’autres canaux et personnalités pour soulever la question, si possible en faisant référence à Remix News. Mais beaucoup de gens et de médias ont été censurés. Je comprends bien que nous sommes dans un océan de censure et que Remix est l’un des médias qui se débattent dans l’eau en ce moment.
Quoi qu’il en soit, nous allons certainement explorer d’autres options, sur X et sur Rumble, par exemple. Et nous espérons développer notre newsletter. Nous devons simplement continuer à aller de l’avant. C’est tout ce que l’on peut faire pour publier la vérité et publier les nouvelles en général.