Lorsqu’en début d’année 2023 France 2 avait annoncé préparer un Complément d’enquête sur Cyril Hanouna, l’émission était attendue de pied ferme par les téléspectateurs. Hélas, ce qui était annoncé comme un pavé dans la marre a surtout eu l’effet d’un pétard mouillé. En 1h10, aucun scoop, aucune interview majeure et de nombreux enfonçages de portes ouvertes ont meublé ce nouveau numéro de Complément d’enquête.
Vidéo canine
Dès l’introduction, le ton est donné. Moins de cinq minutes et Hanouna est qualifié de « bouffon devenu roi » suivi, vidéo à l’appui, de ce moment où l’actuel animateur de C8 avait léché l’anus d’un chien. Une petite pique zoophile envoyée, qui sonne comme le début d’une mise en pièces de celui qui a été baptisé le « Parrain du PAF » par Complément d’enquête.
De l’art du placement des chroniqueurs
Le premier sujet traité par les enquêteurs analyse, de manière assez superficielle, Touche pas à mon poste en évoquant le placement des chroniqueurs sur le plateau. Pour appuyer cela, l’équipe de France 2 aurait contacté un « pilier » de l’émission, interviewé par téléphone, avec une voix masquée. Un témoignage intéressant, mais invérifiable. Un élément qui va se retrouver à plusieurs reprises au cours de l’émission.
Quoi qu’il en soit, ce « pilier » explique à l’animatrice la chose suivante : la table importante sur le plateau de TPMP c’est celle de droite. Elle est composée de Valérie Benaïm, importante car elle est une « rieuse » qui donne une résonance aux blagues d’Hanouna. Et également du « copilote » de ce dernier, qui tient ses fiches, avec les éventuelles corrections, et auquel se réfère Hanouna s’il oublie son conducteur. La place la plus éloignée du présentateur sur cette table est tenue par « la potiche », une femme, dont le but est d’être jolie afin de meubler les plans larges. Une information vérifiable car rappelons que cette place a été tenue, notamment, par Kelly Vedovelli, Delphine Wespiser, ou encore, depuis décembre 2023, par Polska, une influenceuse davantage connue pour son OnlyFan que pour ses avis concernant l’actualité médiatique.
Toujours selon cette source, la table de gauche contient les chroniqueurs moins importants, moins populaires. S’y trouvent Gilles Verdez, Danielle Moreau, Moundir ou encore Guillaume Genton.
Un dispositif qui n’a rien de nouveau
Si cette description du plateau est vérifiable, ces informations n’ont rien de sensationnel. Quiconque prend le temps de regarder cette émission durant quelques semaines observera par lui-même cette disposition, il n’y a pas besoin d’un « pilier ». Par ailleurs, toutes les émissions télévisées ont cette mise en scène du plateau. Prenons l’exemple d’On n’est pas couché ; le duo de chroniqueurs stars était toujours placé sur les places les plus proches de l’animateur sur la table de gauche, les invités étaient toujours en face et l’animateur au centre.
Cette mise en scène est consubstantielle à la télévision qui est un petit théâtre. Voilà, donc, une première porte ouverte enfoncée par Complément d’enquête.
De la « darka » et des pleurs
Toujours sur l’émission, les enquêteurs ont obtenu le témoignage de Valérie Benaïm, chroniqueuse indéboulonnable de l’émission. Elle affirme que « cette émission c’est Cyril de A à Z » et que « Pour la rigolade, Cyril peut aller très loin ». Là encore, il n’a pas fallu attendre Valérie Benaïm pour constater cela. Les spectateurs dotés d’une bonne mémoire ont encore en tête cette séquence, du mois d’avril 2016, où Cyril Hanouna avait vidé un plat de pâtes dans le slip de Matthieu Delormeau, sans parler des humiliations répétées infligées aux chroniqueurs sous le couvercle de la « darka » (terme hanounien pour désigner la rigolade).
Dans la même veine, Hanouna est décrit comme un patron parfois exigeant et dur. Il peut écarter un chroniqueur de l’émission pour une prestation de mauvaise qualité et ferait « vivre un enfer » à ses équipes. Pour appuyer cela, l’équipe de Complément d’enquête a contacté certains collaborateurs. Sur 32 personnes, 15 pointent du doigt des conditions de travail difficiles. Certains mots reviennent tels que : « Terreur », « Peur », « Gourou » ou encore « Pleurs ». Se distille cette idée d’un chef de bande qui peut punir ses subordonnées s’il ne les juge pas à la hauteur. Si cette situation peut choquer, elle était connue avant l’enquête de France 2. En dix ans d’émission, les polémiques ont été nombreuses. Seconde porte ouverte enfoncée par France 2.
Le gendarme ARCOM plus vigilant qu’ailleurs
Parlant des polémiques, France 2 donne des chiffres intéressants concernant les condamnations par l’ARCOM envers Touche pas à mon poste. Le total de ces condamnations s’élève à 7,5 millions d’euros, pour des motifs tels qu’injure envers Anne Hidalgo (300 000 €), rappel à l’ordre après avoir laissé Gérard Fauré évoqué la théorie de l’adrénochrome (500 000 €), ainsi qu’une amende record de 3 millions suite à la polémique concernant Louis Boyard.
Toujours s’agissant des polémiques, Complément d’enquête est revenue plus en détail sur l’affaire des membres de la BRAV‑M. Pour rappel, le 31 mars 2023, en pleines manifestations contre la réforme des retraites, Cyril Hanouna avait fait sensation en annonçant recevoir sur son plateau quatre membres de la BRAV‑M. Problème, aucun d’entre eux n’en fait en réalité partie. Seul l’un d’eux en avait fait partie par le passé. Il s’agissait d’un montage afin de booster les audiences. Autre problème, après l’émission, l’IGPN se saisit du dossier et, contrairement à ce qui avait été promis aux quatre policiers, leurs cartes sont données avec nom, prénom et adresse. Complément d’enquête interroge par téléphone et sans le prévenir Lionel Stan, directeur général de la société de production de Touche pas à mon poste, H2O. Il indique alors avoir transmis les cartes sur réquisition du procureur dans le cadre de l’enquête de l’IGPN. Dès lors il s’agit d’une obligation légale. Un élément dont se sert France 2 pour montrer le manque de fiabilité concernant la parole des équipes d’Hanouna quant au secret des sources afin de, nous le comprenons en fin d’émission, dissuader les éventuels volontaires pour aller témoigner dans l’enquête que Cardoze et Hanouna préparent sur Complément d’enquête.
Voir aussi : CSA/ARCOM contre Hanouna, la censure avant tout
Petits bateaux qui vont sur l’eau
L’un des autres angles d’attaque du documentaire est la fortune d’Hanouna, qui dispose de plusieurs yachts. Sur ce volet, Complément d’enquête explique que l’animateur de C8 emploie ses bateaux en les louant, afin d’obtenir une rentrée d’argent. Celle-ci lui permettrait de tirer sept millions de bénéfices, un montant à peu près équivalent aux amendes infligées par l’ARCOM. Par ailleurs, l’optimisation fiscale est employée par Hanouna, en mettant la location des bateaux sous la responsabilité d’une société basée à Guernesey, afin de ne pas payer de taxe sur son personnel qui, dès lors, ne cotise pas pour sa retraite. En conséquence, l’animateur est aux prud’hommes avec certains de ses anciens employés.
Pratiques du « 9 cube »
Enfin, l’un des derniers aspects, évoqué de manière trop légère par cette émission, c’est l’entourage et les pratiques parfois très limites d’Hanouna. Pour illustrer cela, l’émission a pris deux exemples : ceux de Julien Cazarre et Michaël Zazoun.
Concernant Julien Cazarre, l’affaire a débuté par un simple refus de l’animateur de Canal + de devenir chroniqueur dans l’émission de Cyril Hanouna. Un refus pris comme un affront par le parrain du PAF, qui a commencé une campagne de harcèlement contre Cazarre en l’appelant à de nombreuses reprises en l’insultant « comme un mec du 93 ». Des pratiques douteuses qui poussent Cazarre à porter plainte, tandis que Canal tente de le convaincre de retirer cette plainte.
Autre affaire, celle qui concerne Michaël Zazoun, un ancien animateur sur Virgin Radio, au même moment qu’Hanouna. En 2014, Zazoun est victime de propos homophobes de la part de Cyril Hanouna. En réponse, Zazoun publie un texte où il dénonce les propos et agissements de Cyril Hanouna. Face à cela, l’ex-animateur de Virgin ne reçoit pas moins de 32 coups de téléphone, dont certains émanant directement de la mère de Cyril Hanouna. Des pratiques en écho avec une phrase que Booba va sortir au cours de son interview face à Tristan Waleckx, sur laquelle nous allons revenir. Dans celui-ci, Booba affirme ne pas avoir peur d’Hanouna directement mais de « son entourage capable de coups fourrés. » Waleckx n’a pas rebondi là-dessus. De quels coups fourrés parle Booba ? Quel est cet entourage ? Est-il composé de gens comme Marco Mouly, escroc à la taxe carbone régulièrement invité par Hanouna ? Est-il proche du grand banditisme comme certains l’affirment ? Voilà un sujet qu’il aurait fallu s’approprier. Un sujet d’autant plus intéressant si l’on visionne cette séquence du mois de mai 2023 où Delormeau, s’exprimant à propos de l’affaire Palmade, fanfaronne : « le premier qui m’emmerde, me fait chanter, je lui envoie lui [Hanouna] et ses dogs. » Il poursuit : « y a pas de police, rien de tout ça […] On retrouvera la personne dans la Seine ».
Des menaces à peine voilées, dont le ton rappelle Scarface, proférées à une heure de grande écoute sur le plateau de la plus grosse émission du PAF. Beaucoup de questions : qui sont ces dogs ? Pourquoi préférer Hanouna à la police ? Qu’insinue Delormeau en disant que la personne en question finira dans la Seine ?
Retour du point Godwin
Loin de se pencher sur ce sujet brûlant, France 2 préfère conclure en interviewant Booba, afin de placer une homélie anti extrême droite comme nous en avons l’habitude. Waleckx, n’ayant pas peur du ridicule, demande : « Donne-t-il trop la parole à l’extrême droite ? » ou encore « Vous pensez qu’Hitler et Mussolini seraient invités sur TPMP ? ». Des questions caricaturales qui symbolisent bien cette enquête : un condensé d’enfonçages de portes ouvertes qui passe à côté des sujets importants.
Depuis la diffusion, Mediapart a annoncé préparer une enquête sur Hanouna, on craint le pire…