Le 25 janvier 2024, la Commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale interrogeait plusieurs chercheurs sur la perception des Français à l’égard des médias et de l’information, dans le cadre des États généraux de l’information.
De sondages en sondages, le constat est sans appel : les Français n’ont plus confiance en leurs médias. « Ce phénomène ancien semble s’amplifier », a souligné en préambule la présidente de la Commission Isabelle Rauch, avant de rappeler qu’un sondage du CEVIPOF avait indiqué que seuls « 28 % [avaient] très confiance ou confiance dans les médias, contre 69 % n’ayant pas confiance » et que le 37ème baromètre des médias de La Croix rappelait que « 54 % disaient qu’il faut se méfier des médias sur les grands sujets d’actualité ». Différents acteurs des médias étaient interrogés dans ce cadre pour répondre à la question des causes de la défiance dans les médias.
Défiance médiatique, défense politique
Pour Bruno Cautrès, chercheur CNRS au Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF), « la confiance dans les médias doit être pris dans le spectre plus général de la confiance dans les acteurs du politique ». Selon lui, la décorrélation entre le politique et le médiatique ne peut être opérée. Une observation cautionnée par le directeur délégué de Harris Interactive, Jean-Daniel Lévy, qui a déclaré : « il y a une suspicion de tout acteur prenant la parole dans l’espace public, qui apparaît insincère. Soit parce qu’il aurait des intérêts cachés dans ses déclarations, soit parce que sous couvert d’expertise il dispense ses opinions ». Celui-ci a néanmoins indiqué que les Français avaient un point de vue paradoxal sur les émetteurs de ces informations ; ils seraient ainsi méfiants à l’égard des émetteurs mais non des journalistes, qui seraient perçus comme des personnes mues par une « bonne volonté » mais « empêchés » de mener exhaustivement leur travail par les « systèmes » dans lesquels ils sont intégrés.
L’info en continu : une cause de la défiance ?
C’est aussi parce qu’ils ont l’impression de « voir toujours les mêmes têtes », a renchéri Bruno Cautrès, que « les mêmes mots reviennent, que les mêmes sujets sont exploités », que les Français exprimeraient leur défiance à l’égard de leurs médias. Une information confirmée par Laure Salvaing, directrice générale des études de Verian (ancien SOFRES – Kantar), qui indique qu’il existe une « fatigue informationnelle », causée par deux raisons principales : la redondance des sujets traités (à l’instar de « la mort de Nahel » et « la guerre en Ukraine » dont les Français interrogés par son institut ont déclaré avoir trop entendu parler) et l’absence de mise en avant d’autres sujets (dont la « fin de vie », les « violences faites aux femmes » et les difficultés à dialoguer avec l’administration).
La nature de l’information semble également être un sujet d’inquiétude des Français : Lévy a ainsi souligné que les Français avaient des difficultés « à savoir si les informations reçues sont vraies ou fausses. [Ils se demandent : ] n’y‑a-t-il pas une course à l’audience qui au nom de l’idée de faire progresser l’audimat, tenir l’antenne et faire l’évènement » engendrerait un troncage de l’information ? S’il ne semble pas exister un gouffre abyssal entre la confiance accordée aux médias publics par rapport aux médias privés, tous ont reconnu qu’il existait une défiance plus grande des Français à l’égard des réseaux sociaux. Les différentes personnes auditionnées ont également reconnu que les JT de 20H de deux grandes chaînes de télévision, regardés par 10 millions de Français, restaient les plus grands « influenceurs » de l’information.
Enseignement et félicitations du jury
Tous étaient également unanimes pour saluer les différentes initiatives visant à enseigner l’appréhension de l’information médiatique. Bruno Cautrès a ainsi salué la création de nouveaux métiers relatifs à cet apprentissage (les « fact checkeurs »). Tous se sont également félicités de l’intérêt des Français pour l’information. Ainsi, le DG d’Harris interactive s’est dit, non sans une pointe de condescendance, « surpris » de « la réception [accordée par] nos compatriotes » à des « grands sujets d’actualité » et non les seules « rubriques de chats écrasés ». De même, Laure Salvaing s’est montrée « assez positive sur l’état de la société française en matière d’actualité et d’information », soulignant que 70 % des Français se disaient intéressés par l’actualité. Cette dernière a également conclu son intervention liminaire en soulignant que la défiance générale des Français était, avec 57 % de Français méfiants de ce que disaient les médias, « bien là. […] La France a des avis plus négatifs sur tout ce qui est institutionnel par rapport aux autres pays. Les Français attendent beaucoup de leurs élus et l’État ».