Il était le premier à obtenir une interview de Poutine depuis le début de la guerre en Ukraine, et ses confrères occidentaux jaloux ne le lui ont pas pardonné. Pour tous les médias, l’interview fleuve de Vladimir Poutine par Tucker Carlson s’approcherait plus de la caisse de résonance que de la contestation journalistique.
Une interview qui permet à Poutine de répéter ses sempiternels messages
L’interview de Poutine par Carlson commence par un long retour sur l’histoire mêlée de la Russie et de l’Ukraine. 20 Minutes, rejoint sur ces termes par Capital et l’Obs, parle ainsi d’une « longue leçon d’histoire très subjective » et le Huffington Post accuse l’ancien animateur de Fox News d’avoir permis à Vladimir Poutine « de dérouler son roman historique russe sans la moindre contradiction ». Une vision partagée par CNN qui considère qu’il lui a laissé « le champ libre pour manipuler le public et raconter sa version de l’histoire ». Version d’ailleurs contestée par Euronews qui affirme que « l’histoire séculaire de l’Ukraine est un fait historique établi. »
Mais au fond, cette leçon d’histoire n’est peut-être pas ce qui a le plus choqué les médias occidentaux. Après tout, la plupart des événements évoqués, qu’il s’agisse de guerres ou de répartitions territoriales, sont vérifiables, et tout historien admet que l’histoire n’est jamais objective. En revanche, on ne pardonne pas à Tucker Carlson d’avoir laissé Vladimir Poutine dispenser ses messages habituels sur la non‑responsabilité de la Russie dans la guerre contre l’Ukraine « sans être le moins du monde contesté », comme l’écrit Le Monde. Ce dernier titre ainsi « Vladimir Poutine déroule sa vision d’une Russie provoquée par Kiev et les Occidentaux » et Le Point estime que « face à un Tucker Carlson attentif, le président russe a pu dérouler un discours légitimant l’agression de l’Ukraine. » Boulevard Voltaire quant à lui, confirme que l’entretien a « permis à Poutine, presque sans être interrompu, de dérouler sa communication stratégique. »
Le point de vue de l’OTAN répété partout
Enfin, certains médias récusent les affirmations de Vladimir Poutine, faisant en cela le travail qu’ils auraient voulu réalisé par Tucker Carlson. Euronews précise que « la Russie a déclenché la guerre en 2014, lorsqu’elle a annexé la Crimée », et « a ensuite commencé son invasion à grande échelle de l’Ukraine en février 2022. » Le Point revient sur les affirmations de Poutine qui considère que les extensions de l’OTAN ont violé des accords tacites, rappelant que ses propos ont été « démystifiés à de nombreuses reprises par les historiens et les spécialistes. » Vladimir Poutine a également rappelé l’applaudissement d’un ancien combattant SS ukrainien au Parlement canadien, en septembre 2023 et en présence du président Zelensky. Le Point considère ce fait comme « une erreur du président du Parlement, qui avait par la suite démissionné. » Enfin, il rappelle que la Pologne et la Lettonie « alertent sur la menace d’une invasion russe d’ici quelques années », même si Vladimir Poutine a nié tout intérêt russe pour ces pays.
Voir aussi : Liste des Young Leaders de la French American Foundation
Tucker Carlson, journaliste désavoué par la profession
Si la grande star de l’interview était Vladimir Poutine, Tucker Carlson est loin d’être un inconnu, et surtout il est loin d’être apprécié par la profession. « Sulfureux journaliste » pour Le Figaro, « chantre du complotisme américain » pour L’Express, Tucker Carlson ne pouvait que difficilement sortir gagnant de l’exercice. On lui reproche d’avoir été « conciliant » pour Le Point, et Boulevard Voltaire confirme que « Carlson, pourtant ordinairement pugnace, ne s’est pas comporté en journaliste. » Le Figaro considère lui aussi que « sa posture, souvent interloquée et dénuée de répartie face au chef du Kremlin, semble avoir porté préjudice à sa crédibilité. » « On a connu intervieweur plus pugnace », tacle Le Point.
Voir aussi : Le Point et la guerre russo-ukrainienne
Le Monde aligné sur CNN
La profession estime que son travail auprès de Vladimir Poutine n’a rien d’une interview. Le Monde parle d’une « opération de communication » et même d’une « véritable opération de promotion » et Boulevard Voltaire d’un « savant mélange de vrai et de faux, d’objectivité et de subjectivité, de poncifs et de révélations. » Pour CNN, le président russe s’est accordé une « victoire de propagande », et pour le Huffington Post : « Vladimir Poutine a profité de l’interview de Tucker Carlson pour s’adresser aux républicains américains. » Au reste, si l’on en croit L’Express, l’entretien faisait « déjà saliver les trumpistes. » Ces derniers « militent au Congrès pour l’arrêt des aides à l’Ukraine » et l’interview de Vladimir Poutine par un journaliste favorable à leur candidat était donc « une aubaine », toujours selon L’Express.
Bref, l’interview de Vladimir Poutine n’aurait convaincu personne. Ceux qui soutiennent Vladimir Poutine le soutiennent un peu plus, et ceux qui ne le soutenaient pas fustigent l’entretien, qui n’a d’ailleurs pas apporté grand-chose de nouveau. « Si l’ambition de Tucker Carlson était de faire entendre une parole jamais entendue, l’exercice est raté », raille Le Monde, rejoint par Le Figaro qui estime que « Vladimir Poutine n’a guère apporté d’éléments nouveaux dans cette interview de plus de deux heures. » Une déception qui sera difficilement pardonnée à Tucker Carlson, qui affirmait sur Fox News que « pas un seul journaliste étranger [n’avait] pris la peine d’interviewer » Vladimir Poutine. D’autant que cette affirmation peut être contestée : même si aucun n’a réussi, nombreux sont les journalistes qui ont essayé d’interviewer le président russe. Il ne resterait à Tucker Carlson qu’une réputation d’arrogant qui a réussi là où les autres ont échoué. L’Express l’accuse de se « gargariser » d’avoir financé son voyage sans aide gouvernementale, et de se « vanter » d’avoir obtenu un entretien finalement surcoté. Une « prise de guerre » pour reprendre les mots de L’Express. Mais l’hebdomadaire d’Alain Weill et Patrick Drahi – devenu une copie en français de l’anglais The Economist — oublie de mentionner que l’entretien a déjà été vu 200 millions de fois, une prise de guerre que beaucoup doivent envier secrètement.
Voir aussi : L’Express ou l’anti-journalisme