« Déportation » et « expulsion » sont les termes centraux de la campagne de désinformation actuelle menée par le haut du panier des médias politiques dans la lutte contre une opposition gênante, de plus en plus clairement désignée comme ennemi. La stratégie de cadrage utilisée dans ce but a été rendue involontairement publique il y a cinq ans.
Le zoo comme métaphore de la démocratie
« Je n’aime pas que les animaux soient enfermés », remarque une connaissance de voyage de l’auteur de ces lignes, passant avec lui devant le célèbre Loro Parque, au nord de Tenerife, les nombreux perroquets en cage hurlant vers eux. N’a-t-elle pas lu, écrit en grosses lettres sur le mur blanc de l’endroit, l’une des principales attractions touristiques de l’île de vacances espagnole : « 50 años de amor a los animales y a la naturaleza » (« 50 ans d’amour des animaux et de la nature ») ? Les exploitants de ce mélange de zoo et de parc d’attractions aiment aussi se qualifier d’« ambassadeurs des animaux ». « Cherchez l’erreur », a peut-être pensé la jeune femme.
C’est aussi ce à quoi devraient réfléchir tant de personnes attirées dans la rue pour soit-disant défendre la démocratie. Parce que les slogans du Loro Parque sont un exemple particulièrement frappant de l’habileté avec laquelle, sous prétexte de combat contre la droite, les grands médias politiques attaquent en fait la démocratie. Une technique qui exige une vigilance particulière car elle égare tant de personnes : celle du cadrage.
Un « Manuel de cadrage » destiné à un usage interne uniquement
Ce que l’on entend par là, c’est le cadre que ceux qui sont habilités à le faire donnent à un sujet de discussion particulier. La métaphore vient de l’idée selon laquelle un tableau, présenté dans un cadre laid, peut perdre toute sa beauté. Et inversement : un cadre magnifique peut détourner l’attention du contenu réel du tableau, à tel point que c’est le cadre qui reste en mémoire et non le tableau.
Le terme est connu d’un public plus large depuis 2019, grâce à une fuite. Le site d’information (sur les droits et la culture numériques, la surveillance des masses… n.d.t.) netzpolitik.org avait alors rendu public le « Manuel de cadrage » de quatre-vingt-dix pages de l’ARD (chaîne nationale de radio et télévision de droit public, n.d.t.), en réalité destiné à un usage strictement interne. Son auteur, la linguiste Elisabeth Wehling, y donnait suite à son ouvrage publié en 2016, « Politisches Framing: Wie eine Nation sich ihr Denken einredet – und daraus Politik macht / Cadrage politique : comment une nation se persuade de penser – et en fait de la politique. »
Le ministère de la vérité de votre cerveau
Le titre rappelle un peu le best-seller de Kurt Krömer « Vous ne devez pas croire tout ce que vous pensez ». Une devise sans aucun doute utile quand on s’occupe de cadrage. Une idée centrale de Wehling est la suivante : « Chaque fois que nous entendons des mots basés sur des expériences directes avec le monde, notre cerveau simule les expériences physiques et les impressions sensorielles stockées correspondantes » , créant un contexte linguistique. Selon Wehling ce contexte linguistique est perçu par le public comme un acteur moral, comme le cerveau présidentiel de la société. Avec George Orwell, on pourrait aussi parler d’un ministère de la vérité de la société civile.
Aucune conséquence politique
Lorsque l’affaire a été révélée, en février 2019, l’ARD qualifiait la concurrence du Spiegel (hebdomadaire généraliste de tendance centre gauche, lu dans toute l’Allemagne, n.d.t.) de tentative « maladroite » de « déterminer le discours public ». Le Handelsblatt (quotidien spécialisé traitant les questions économiques, n.d.t.) parlait d’une « compréhension grossière de la démocratie » et d’un « manuel de manipulation ».
Bien entendu, ces révélations n’ont eu aucunes conséquences politiques : d’où auraient-elles pu venir, d’ailleurs ? La réputation des chaînes nationales ARD et ZDF, comme autorités morales intègres, perdure grâce au passé. Ce qui est bien utile dans le débat toujours brûlant sur les redevances de diffusion, désormais appelées « contributions » (un cadrage, cela aussi) et assure en sus l’existence de l’ensemble de la boutique. Mais bien plus encore — et c’est désormais évident : usant des bonnes formulations et d’une autorité d’honnêtes gardiens de la vérité, les professionnels des médias publics peuvent devenir des acteurs politiques – et voici donc le « journalisme d’attitude », qui franchit sans complexes la frontière et se lance dans l’activisme politique.
L’offensive sur le genre, lancée en contournant tous les processus démocratiques de formation d’opinion et éclos dans des cercles d’extrême gauche complètement « tapés », est l’avorton évident de ce type de journalisme.
Les impressions sensorielles doivent être éveillées
Ce qui paraît innovant chez Wehling, n’est évidemment, en réalité, que du vieux vin dans de nouvelles bouteilles. L’art du « cadrage » est aussi vieux que le débat sociopolitique. Le philosophe grec Aristote (384–322 av. J.-C.) s’est consacré à l’art de la persuasion dans sa « Rhetorike techne ». La théorie des actes de langage, une sous-discipline de la linguistique, s’intéresse également depuis longtemps au fait qu’en plus du sens réel du mot, la dénotation et la connotation, c’est-à-dire les images et les associations que déclenche l’audition d’un mot chez le destinataire, jouent également un rôle central dans l’action linguistique.
Remigration = Auschwitz
Revenons au manuel de l’ARD : il s’agit de réveiller les « expériences physiques et impressions sensorielles stockées » dans la tête du destinataire. Et cela nous amène directement au sujet. Parce que le cadrage, grâce à l’emploi de termes tels que « expulsion » et « déportation » utilisés insidieusement par la presse dans certains reportages est, grâce au « Manuel de cadrage », rendu évident : aussi consciemment que l’auteur de cet article cadre son discours lorsqu’il écrit « utilisés insidieusement », les médias tentent consciemment de « recadrer » le terme de « remigration » et, utilisant certains contre-termes, choisissent d’évoquer des images de nettoyage ethnique comme le génocide arménien, mais surtout bien sûr, des images d’Auschwitz. Tâche particulièrement aisée, ces images étant solidement ancrées dans la mémoire collective des Allemands et pouvant être facilement rappelées.
Barrage contre l’AfD
Atteignant un point culminant spectaculaire ce mois-ci avec le barrage quotidien contre l’AfD, ce journalisme, souvent devenu activisme, se développe depuis longtemps. Même les médias publics, tenus pourtant à la diversité des opinions, adoptent les narratifs de gauche et pro-gouvernementaux sans aucun esprit critique, au lieu de les exposer pour leurs arguments cousus de fils blanc — alors qu’ ils l’ont fait avec tant de diligence pendant le mandat de Donald Trump.
Particulièrement frappante est la répétition démonstrative de la formule d’auto-désignation comme « partis démocrates », du cartel des partis, de la Gauche à la CDU/CSU. Tant que le pouvoir judiciaire n’aura pas statué sur l’hostilité de l’AfD à l’égard de la démocratie, tout journaliste honnête devrait écrire : « les partis qui se disent démocrates pour se démarquer de l’AfD ». Le cadrage est clair : faire apparaître les partis établis dans un cadre rutilant qui les fait irradier comme un phare de la démocratie, afin que personne ne remarque la falsification maladroite que cache ce cadre.
Source : Junge Freiheit, 30/01/2024. Traduction : AC