Le rapport Jost pour RSF sur CNews, transmis au Conseil d’État à quelques mois de la réattribution des fréquences du service public, continue à défrayer la chronique. Ce rapport se plaint du manque de pluralisme de la chaîne. François Jost et son rapport sont-ils donc des modèles de pluralisme, ou plutôt, en l’occurrence, d’objectivité ?
Première diffusion le 23 février 2024
L’OJIM prend ses quartiers d’été : du dimanche 28 juillet au dimanche 25 août nous republions les articles les plus significatifs du premier semestre.
François Jost, le classificateur qui ne veut pas être classé
François Jost est l’auteur du rapport qui a mis le feu aux poudres. Ecrit il y a deux ans à la demande de Reporters sans Frontières, ce dernier examine le pluralisme sur CNews. Pourquoi CNews ? « Moi j’ai fait ce qu’on m’a demandé », élude François Jost sur Sud Radio vendredi 16 février. Reste à imaginer qu’il aurait fait le même travail pour toute autre chaîne moins honnie de certaines élites. D’ailleurs, il le dit à Matthieu Bock-Côté, « son rapport n’est pas une opinion que l’on discute, mais une analyse objective » (sic). Raison pour laquelle il a refusé de venir défendre son rapport sur CNews, dans une émission qui garantit pourtant l’égalité de temps de parole entre Mathieu Bock-Côté et son invité. Autrement dit, une émission qui respecte… le pluralisme. Quant à dire que son rapport est une analyse objective et que, partant, elle ne se discute pas, cette affirmation est curieuse quand les scientifiques eux-mêmes savent que leur matière ne peut avancer que parce qu’on la discute. Et pour ce qui est d’analyser objectivement un objet aussi difficile qu’un média audiovisuel, il faut être curieusement étranger à toute idée de biais cognitif pour s’en croire capable.
Refus du débat
François Jost voudrait donc se poser en exemple d’objectivité et de neutralité. Une image qui ne tient guère face à l’épreuve des faits. Il affirmait ainsi sur Sud Radio qu’il refuserait d’aller sur CNews si on l’y invitait (on a vu que les actes ont suivi les paroles). Il refuse néanmoins de tirer des conclusions de cette déclaration, des plaintes régulières de CNews, qui affirme inviter des personnes, notamment Jean-Luc Mélenchon, qui ne veulent pas venir sur ses plateaux, et enfin des prises de positions publiques de certaines personnalités qui se glorifient de ne pas se rendre sur la chaîne. « Là-dessus j’ai rien à dire », affirme-t-il. C’est dommage, car alors il devient facile de faire fermer une chaîne : il suffit à l’ensemble des personnalités d’une partie du spectre politique de refuser de venir sur des plateaux, pour ensuite crier à un manque de pluralisme.
« Humaniste », vraiment ?
François Jost salue pourtant cette demande de pluralisme parmi les chroniqueurs et les invités. Comment se situe-t-il, lui demande-t-on sur Sud Radio ? « Comme un humaniste, c’est ma tendance. » Peut-être, mais ce n’était pas la question, en tout cas pas celle qu’il souhaite voir posée. Pour faire respecter le pluralisme, il y a trois pistes : « déclaratif, on va demander aux gens où est-ce que vous vous situez, à mon avis elle est pas bonne. La deuxième consiste à regarder, cette personne appartient à un think-tank, a participé à un meeting d’extrême-droite. La troisième c’est de regarder comment cette personne dans la société se classe. » Et de citer Valeurs Actuelles, qui fait consensus comme étant un journal d’extrême-droite. Apparemment, François Jost n’envisage pas qu’un journal puisse être d’extrême-droite sans pour autant avoir exclusivement des journalistes de cette mouvance. Et d’indiquer citer – sans rire – que Le Monde lui sert de boussole pour établir les catégories politiques infréquentables.
Un rapport honnête ?
Dans son rapport, François Jost s’applique à prouver que CNews est une chaîne d’opinion, et non une chaîne d’information. Il en veut pour preuve son slogan « Venez avec vos convictions, vous vous ferez une opinion. » Il est curieux qu’un sémiologue n’ait pas compris la différence faite entre les termes, « la conviction », étayée par des faits dispensés et analysés par CNews, devenant une « opinion ». L’enquête a été menée sur cinq jours, en examinant trois tranches du programme, le matin, à midi et le soir. Étaient étudiés le volume des séquences d’information en comparaison avec celui des débats, ainsi que la sélection des informations et leur hiérarchie, en comparaison avec BFMTV, le principal concurrent de la chaîne. On suppose donc que cette dernière chaîne est considérée comme neutre, et là se trouve déjà une faute. A moins que François Jost n’ait fait le même travail d’enquête sur BFMTV, on ne voit pas bien pourquoi il la proclame neutre et pouvant servir de référence. François Jost examine également la place de l’animateur dans les débats, le pluralisme des invités, et enfin la subjectivité des discours, comme si un discours n’était pas par essence subjectif.
Il ne faut pas relier les faits entre eux !
Ce qui gène principalement François Jost, c’est que, si l’on s’en tient à son rapport, CNews a l’habitude de relier les faits entre eux. L’affaire Nordhal Lelandais est reliée à la peine de perpétuité réelle proposée par Eric Zemmour, les agressions dans un HLM d’Aubervilliers permettent d’enchaîner sur le grand oral de la sécurité. François Jost conclut : « L’enchaînement des informations sur CNews exemplifie une thèse (la dégradation de la sécurité sous Macron) par des cas concrets (les agressions à Aubervilliers, le procès de Nordhal Lelandais) et aboutit à des conséquences comme la proposition d’Éric Zemmour sur la « perpétuité réelle ». » A côté de cela, BFMTV recense des informations brutes, sans lien apparents les unes avec les autres : port du masque, télétravail, ORPEA, Nordhal Lelandais, Chandeleur. On ne sait comment elle traite ces informations.
François Jost regrette que la sémantique soit utilisée pour « construire une continuité entre les différentes séquences de la grille. » Pour lui « la chaine crée un monde où l’information est sélectionnée en fonction de ses propres valeurs, portées par des chroniqueurs qui interviennent pour dire ce qu’il faut penser des informations. » On en conclut que, pour lui, les autres chaînes télévisuelles ne versent pas dans cette faute, ce qui laisse pensif. Le journalisme est pourtant affaire de choix, donc de subjectivité : choix de son sujet, donc écartement des autres, choix d’un angle, choix d’un fait pour l’illustrer. Personne, et surtout pas les journalistes eux-mêmes, ne peut imaginer qu’un média ne sélectionne pas l’information. Quant à la subjectivité d’un discours, il est franchement étonnant qu’un sémiologue s’en étonne. Les mots ont un sens, et une portée. François Jost semble porté par le désir à tout prix de mettre ses connaissances à profit pour tuer CNews, et donc une bonne partie d’un discours médiatique qui ne lui convient pas. C’est de bonne guerre, et on ne saurait lui en vouloir. Mais la moindre des choses, dans ce cas, serait d’avoir le courage de l’assumer, sans se cacher derrière une demande de pluralisme de façade consacré par une loi.
Voir aussi : CNews : l’intenable casse-tête créé par le Conseil d’État en matière de pluralisme