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François Jost, le militant qui demande du pluralisme à sens unique

10 août 2024

Temps de lecture : 6 minutes
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François Jost, le militant qui demande du pluralisme à sens unique

Temps de lecture : 6 minutes

Le rapport Jost pour RSF sur CNews, transmis au Conseil d’État à quelques mois de la réattribution des fréquences du service public, continue à défrayer la chronique. Ce rapport se plaint du manque de pluralisme de la chaîne. François Jost et son rapport sont-ils donc des modèles de pluralisme, ou plutôt, en l’occurrence, d’objectivité ?

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François Jost, le classificateur qui ne veut pas être classé

François Jost est l’auteur du rap­port qui a mis le feu aux poudres. Ecrit il y a deux ans à la demande de Reporters sans Fron­tières, ce dernier exam­ine le plu­ral­isme sur CNews. Pourquoi CNews ? « Moi j’ai fait ce qu’on m’a demandé », élude François Jost sur Sud Radio ven­dre­di 16 févri­er. Reste à imag­in­er qu’il aurait fait le même tra­vail pour toute autre chaîne moins hon­nie de cer­taines élites. D’ailleurs, il le dit à Matthieu Bock-Côté, « son rap­port n’est pas une opin­ion que l’on dis­cute, mais une analyse objec­tive » (sic). Rai­son pour laque­lle il a refusé de venir défendre son rap­port sur CNews, dans une émis­sion qui garan­tit pour­tant l’égalité de temps de parole entre Math­ieu Bock-Côté et son invité. Autrement dit, une émis­sion qui respecte… le plu­ral­isme. Quant à dire que son rap­port est une analyse objec­tive et que, par­tant, elle ne se dis­cute pas, cette affir­ma­tion est curieuse quand les sci­en­tifiques eux-mêmes savent que leur matière ne peut avancer que parce qu’on la dis­cute. Et pour ce qui est d’analyser objec­tive­ment un objet aus­si dif­fi­cile qu’un média audio­vi­suel, il faut être curieuse­ment étranger à toute idée de biais cog­ni­tif pour s’en croire capable.

Refus du débat

François Jost voudrait donc se pos­er en exem­ple d’objectivité et de neu­tral­ité. Une image qui ne tient guère face à l’épreuve des faits. Il affir­mait ain­si sur Sud Radio qu’il refuserait d’aller sur CNews si on l’y invi­tait (on a vu que les actes ont suivi les paroles). Il refuse néan­moins de tir­er des con­clu­sions de cette déc­la­ra­tion, des plaintes régulières de CNews, qui affirme inviter des per­son­nes, notam­ment Jean-Luc Mélen­chon, qui ne veu­lent pas venir sur ses plateaux, et enfin des pris­es de posi­tions publiques de cer­taines per­son­nal­ités qui se glo­ri­fient de ne pas se ren­dre sur la chaîne. « Là-dessus j’ai rien à dire », affirme-t-il. C’est dom­mage, car alors il devient facile de faire fer­mer une chaîne : il suf­fit à l’ensemble des per­son­nal­ités d’une par­tie du spec­tre poli­tique de refuser de venir sur des plateaux, pour ensuite crier à un manque de pluralisme.

« Humaniste », vraiment ?

François Jost salue pour­tant cette demande de plu­ral­isme par­mi les chroniqueurs et les invités. Com­ment se situe-t-il, lui demande-t-on sur Sud Radio ? « Comme un human­iste, c’est ma ten­dance. » Peut-être, mais ce n’était pas la ques­tion, en tout cas pas celle qu’il souhaite voir posée. Pour faire respecter le plu­ral­isme, il y a trois pistes : « déclaratif, on va deman­der aux gens où est-ce que vous vous situez, à mon avis elle est pas bonne. La deux­ième con­siste à regarder, cette per­son­ne appar­tient à un think-tank, a par­ticipé à un meet­ing d’extrême-droite. La troisième c’est de regarder com­ment cette per­son­ne dans la société se classe. » Et de citer Valeurs Actuelles, qui fait con­sen­sus comme étant un jour­nal d’extrême-droite. Apparem­ment, François Jost n’envisage pas qu’un jour­nal puisse être d’extrême-droite sans pour autant avoir exclu­sive­ment des jour­nal­istes de cette mou­vance. Et d’indiquer citer – sans rire – que Le Monde lui sert de bous­sole pour établir les caté­gories poli­tiques infréquentables.

Un rapport honnête ?

Dans son rap­port, François Jost s’applique à prou­ver que CNews est une chaîne d’opinion, et non une chaîne d’information. Il en veut pour preuve son slo­gan « Venez avec vos con­vic­tions, vous vous fer­ez une opin­ion. » Il est curieux qu’un sémi­o­logue n’ait pas com­pris la dif­férence faite entre les ter­mes, « la con­vic­tion », étayée par des faits dis­pen­sés et analysés par CNews, devenant une « opin­ion ». L’enquête a été menée sur cinq jours, en exam­i­nant trois tranch­es du pro­gramme, le matin, à midi et le soir. Étaient étudiés le vol­ume des séquences d’information en com­para­i­son avec celui des débats, ain­si que la sélec­tion des infor­ma­tions et leur hiérar­chie, en com­para­i­son avec BFMTV, le prin­ci­pal con­cur­rent de la chaîne. On sup­pose donc que cette dernière chaîne est con­sid­érée comme neu­tre, et là se trou­ve déjà une faute. A moins que François Jost n’ait fait le même tra­vail d’enquête sur BFMTV, on ne voit pas bien pourquoi il la proclame neu­tre et pou­vant servir de référence. François Jost exam­ine égale­ment la place de l’animateur dans les débats, le plu­ral­isme des invités, et enfin la sub­jec­tiv­ité des dis­cours, comme si un dis­cours n’était pas par essence subjectif.

Il ne faut pas relier les faits entre eux !

Ce qui gène prin­ci­pale­ment François Jost, c’est que, si l’on s’en tient à son rap­port, CNews a l’habitude de reli­er les faits entre eux. L’affaire Nord­hal Lelandais est reliée à la peine de per­pé­tu­ité réelle pro­posée par Eric Zem­mour, les agres­sions dans un HLM d’Aubervilliers per­me­t­tent d’enchaîner sur le grand oral de la sécu­rité. François Jost con­clut : « L’enchaînement des infor­ma­tions sur CNews exem­pli­fie une thèse (la dégra­da­tion de la sécu­rité sous Macron) par des cas con­crets (les agres­sions à Aubervil­liers, le procès de Nord­hal Lelandais) et aboutit à des con­séquences comme la propo­si­tion d’Éric Zem­mour sur la « per­pé­tu­ité réelle ». » A côté de cela, BFMTV recense des infor­ma­tions brutes, sans lien appar­ents les unes avec les autres : port du masque, télé­tra­vail, ORPEA, Nord­hal Lelandais, Chan­deleur. On ne sait com­ment elle traite ces informations.

François Jost regrette que la séman­tique soit util­isée pour « con­stru­ire une con­ti­nu­ité entre les dif­férentes séquences de la grille. » Pour lui « la chaine crée un monde où l’information est sélec­tion­née en fonc­tion de ses pro­pres valeurs, portées par des chroniqueurs qui inter­vi­en­nent pour dire ce qu’il faut penser des infor­ma­tions. » On en con­clut que, pour lui, les autres chaînes télévi­suelles ne versent pas dans cette faute, ce qui laisse pen­sif. Le jour­nal­isme est pour­tant affaire de choix, donc de sub­jec­tiv­ité : choix de son sujet, donc écarte­ment des autres, choix d’un angle, choix d’un fait pour l’illustrer. Per­son­ne, et surtout pas les jour­nal­istes eux-mêmes, ne peut imag­in­er qu’un média ne sélec­tionne pas l’information. Quant à la sub­jec­tiv­ité d’un dis­cours, il est franche­ment éton­nant qu’un sémi­o­logue s’en étonne. Les mots ont un sens, et une portée. François Jost sem­ble porté par le désir à tout prix de met­tre ses con­nais­sances à prof­it pour tuer CNews, et donc une bonne par­tie d’un dis­cours médi­a­tique qui ne lui con­vient pas. C’est de bonne guerre, et on ne saurait lui en vouloir. Mais la moin­dre des choses, dans ce cas, serait d’avoir le courage de l’assumer, sans se cacher der­rière une demande de plu­ral­isme de façade con­sacré par une loi.

Voir aus­si : CNews : l’intenable casse-tête créé par le Con­seil d’État en matière de pluralisme

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