Quand on parle d’un milliardaire contrôlant des médias, on pense immédiatement à Vincent Bolloré. Il en est pourtant un autre, et il ne possède pas que des titres inconnus. Xavier Niel, qui possède notamment Le Monde, est à la tête d’un empire médiatique qui tente de contrôler et guider les opinions, donnant des consignes de vote, traînant parfois entreprises et personnes dans la boue et veillant à appliquer aux faits un prisme moral sous couvert d’analyse scientifique.
Pigasse, Bergé et Niel, le dernier triumvirat du Monde
Tout commence en 2010, lorsque Xavier Niel, Pierre Bergé et Matthieu Pigasse deviennent les principaux actionnaires du Monde. On se souvient que quinze ans plus tôt, en 1994, c’était un autre trio qui mettait la main sur le titre tant convoité, gage de sérieux et de neutralité. À l’époque, il s’agissait d’Alain Minc, Jean-Pierre Colombani et Edwy Plenel. Les années passent. Pierre Bergé meurt en 2017, Matthieu Pigasse s’associe à Daniel Kretinsky et Xavier Niel crée le fonds pour la presse indépendante, que Le Monde rejoindra en 2021.
Le fonds d’indépendance pour la presse est-il bien nommé ?
Le fonds d’indépendance pour la presse (FIP) contient Médiapart, depuis 2019, Libération, depuis 2020, et Le Monde, depuis 2021. Trois titres pour le moins à gauche donc. Les uns diront que c’est parce que la presse indépendante ne peut être que de gauche, la presse de droite étant par nature soumise à des intérêts allant à l’encontre de la déontologie journalistique. Les autres qu’il n’y a que la presse de gauche pour avoir l’arrogance de se réunir dans un « fonds d’indépendance pour la presse ». Les derniers constateront que Xavier Niel a finement nommé son fonds, et que ses trois titres peuvent se glorifier sans peine d’y appartenir. Il n’est pas si simple de prouver qu’un journal n’est pas indépendant.
Le FIP, première pierre de la dynastie Niel
Le fonds d’indépendance pour la presse est l’œuvre de Xavier Niel, et il a fait en sorte qu’il reste dans le giron de sa famille pour des générations… avec les titres qu’il possède. Le président du FIP est désigné par le fondateur, et peut changer à tout moment. Actuellement, c’est Jules Niel, le fils, qui est sur ce siège éjectable. Notons au passage qu’il n’avait que vingt ans lorsqu’il accéda à ce poste prestigieux, et que cela ne semble pas choquer outre mesure des médias pourtant prompts à fustiger les héritiers. Ajoutons que, lorsque Xavier Niel quittera ce monde, ses droits de fondateur seront transmis à ses ayant-droit. Julia Cagé, économiste des médias et présidente de la société des lecteurs du Monde, et Benoît Huet, avocat, notent dans une tribune diffusée par Arrêts sur Image en 2021, après avoir été refusée par Le Monde lui-même, que cette transmission aux héritiers est « assez inhabituelle dans un fonds de dotation » et surtout qu’elle « semble construite pour que la propriété du Monde demeure ad vitam aeternam entre les mains d’une seule famille. »
Voir aussi : Xavier Niel, portrait
Xavier Niel, une non-ingérence de façade ?
Xavier Niel a donc beau jeu d’affirmer que sa détention personnelle du Monde, via sa holding NJJ Médias, est négligeable. La réalité, c’est qu’il contrôle les médias du FIP via des personnes qu’il place à dessein aux postes de direction. Il forme ensuite ses ayant droits, ce qui lui permet de s’assurer que les lignes des médias qu’il possède ne changeront pas. Peut-être Xavier Niel a‑t-il fait de la non-ingérence son credo. Il est toujours difficile de prouver qu’un propriétaire de média impose sa ligne. Au reste, prouver que Vincent Bolloré le fait est également difficile. Simplement, peut-être certains titres n’ont-ils pas trop de scrupules à accuser les uns d’ingérence et les autres de soumission. On peut noter que Xavier Niel finance une partie de Causeur, sans pour autant en être l’actionnaire principal. Or, la ligne de Causeur n’a que peu en commun avec celle du Monde. Enfin, dans le groupe Le Monde se trouve un pôle indépendance, qui possède 25% du journal. Ce pôle est constitué de la rédaction et des lecteurs, ce qui doit permettre l’indépendance d’un média. Ce pôle remplit peut-être son rôle, bien qu’il possède une partie du groupe inférieur à celle du fonds d’indépendance pour la presse.
Xavier Niel, le contre-empire Bolloré ?
L’empire de Xavier Niel s’étend et en rappelle un autre, celui de Vincent Bolloré. Il ne manque au premier qu’une chose : un canal sur le domaine public audiovisuel français. On aura noté en effet que Xavier Niel ne possède que des journaux papiers et web, et aucune chaîne de télévision ou de radio. Une tare importante, à l’heure où les réseaux sociaux sont friands de vidéo et où les Français lisent de moins en moins. En 2023, les canaux 1 et 6 du domaine public étaient remis sur le marché, si l’on peut utiliser cette expression. Xavier Niel avait alors tenté de prendre la place de M6, sans succès. On comprend mieux l’acharnement de ses titres à l’encontre de CNews, qui remet sa place sur le domaine public en question en 2025. Puisque Xavier Niel n’a pas sa chaîne, Bolloré ne doit pas l’avoir non plus. Sans aller jusqu’à parler de conflit d’intérêt (quoique), on peut donc s’interroger sur les biais des journalistes du groupe Le Monde qui critiquent CNews pendant que l’ARCOM organise les auditions pour l’attribution des fréquences entre le printemps et l’été 2024 pour répartition dès 2025.
Voir aussi : Xavier Niel, infographie