Mercredi 13 mars 2024, les députés du Parlement européen ont définitivement adopté, par 464 voix pour, 92 contre et 65 abstentions, une loi protégeant les journalistes et les médias de l’Union européenne contre les ingérences politiques et économiques. Si cette loi est explicitement conçue contre certains pays conservateurs peu appréciés de l’Union Européenne, notamment la Hongrie, elle contient des articles intéressants, qui pourraient permettre une meilleure lecture des médias dans leur ensemble.
Une loi partiale ?
À la lecture non-exhaustive des discours qui ont accompagné le vote de la loi européenne de protection des journalistes et de la liberté de la presse, on sourit légèrement. Lors du débat en assemblée plénière, Sabine Verheyen, députée allemande du groupe PPE, dont font notamment partie les LR, et rapporteur de la commission de la culture et de l’éducation, affirmait que « La liberté de la presse est menacée dans le monde entier, y compris en Europe : en témoignent les menaces à la liberté de la presse en Hongrie. » Ramona Strugariu, députée roumaine de Renew et rapporteur de la commission des libertés civiles, déclarait, elle, que « Ce règlement est une réponse à Orbán, Fico, Janša, Poutine et à tous ceux qui veulent transformer les médias en outils de propagande ou diffuser des fausses nouvelles et déstabiliser nos démocraties. »
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Ce que l’on reproche à la Hongrie
En Hongrie, le président Viktor Orbán est régulièrement accusé d’ingérences dans les médias. Reporters sans frontières, qui a prouvé sa neutralité au début de l’année avec un rapport sur l’indépendance de CNews, affirme que « le Premier ministre Viktor Orbán a construit un véritable empire médiatique soumis aux ordres de son parti. » Est-ce à dire que les seuls médias à avoir voix au chapitre sont ceux qui le soutiennent ? Non, les médias indépendants existent et même « détiennent d’importantes positions sur le marché », mais « ils sont exposés à des pressions politiques, économiques et réglementaires. » Les finances publiques des médias seraient asséchées par une « attribution discriminatoire de la publicité de l’État au profit des médias pro-gouvernementaux », ce qui permettrait ensuite à des « oligarques proches du Fidesz, le parti au pouvoir », de racheter les titres. De son côté, le gouvernement Orbán accuse les médias d’être financés par la fondation Soros. Une accusation qui n’a rien de rocambolesque, le milliardaire étant d’origine hongroise et foncièrement opposé à Orbán. RSF alias Rapporteurs sans Frontières, conclut en notant que « les reporters hongrois ne font pas l’objet – ou rarement – de violences physiques ou d’interpellations injustifiées », mais qu’ils ont été arbitrairement surveillés par le logiciel Pegasus.
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Sur ce dernier point, la loi nouvellement adoptée prévoit une limitation de l’usage des logiciels espions selon les critères suivants, « au cas par cas et sous réserve de l’autorisation d’une autorité judiciaire chargée d’enquêter sur les infractions graves passibles d’une peine privative de liberté. Même dans ces cas, les personnes concernées auront le droit d’être informées une fois la surveillance réalisée et pourront la contester devant les tribunaux. »
Et si les pays non-conservateurs balayaient devant leur porte ?
Vu le plébiscite qu’a recueilli la loi, on peut supposer que tous les députés estimaient qu’il fallait, enfin, que soient libérés les médias hongrois. Ils pourraient pourtant être surpris. La loi stipule que « les fonds publics destinés aux médias ou aux plateformes en ligne devront être alloués selon des critères publics, proportionnés et non discriminatoires. Les informations sur les dépenses publicitaires d’État seront rendues publiques, y compris le montant total annuel et le montant par média. » Est-ce la fin de la rente de journaux comme L’Humanité ou Libération, perfusés aux subventions publiques qu’ils reçoivent malgré des tirages très faibles ? Les aides directes à la presse, que comptabilise et diffuse le gouvernement, permettent ainsi à L’Humanité de recevoir 40 centimes par exemplaire vendu. À titre de comparaison, en 2022, Valeurs Actuelles recevait 0,07 centimes.
La censure sur les réseaux sociaux, de l’histoire ancienne ?
La loi européenne sur la liberté des médias s’attaque également à la censure sur les réseaux sociaux. Ainsi, « les médias devront être informés de l’intention de la plateforme de supprimer ou de restreindre leur contenu et disposeront de 24 heures pour réagir. La plateforme ne pourra supprimer ou restreindre le contenu, s’il n’est toujours pas conforme à ses conditions, qu’après la réponse (ou l’absence de réponse) du média concerné. » Il faut reconnaître que la disposition a de quoi surprendre. X (ex-Twitter) a été largement critiqué pour avoir laissé diffuser ce que l’on appelle les fausses nouvelles. Inversement, à l’époque de l’élection américaine de 2016, puis lors de la crise sanitaire, les plateformes étaient accusées de censurer les publications pro-Trump ou les remises en cause des vaccins. Des pratiques qui ne seraient plus aussi simples avec la nouvelle loi, votée pourtant par des personnes que l’on ne saurait soupçonner d’être trumpistes ou antivaxx.
Le financement des médias surveillé : la fin des ingérences étrangères ?
La loi prévoit également que « les médias devront également rendre compte des fonds provenant de la publicité publique et des aides financières d’État qu’ils perçoivent, y compris de pays tiers. » Étant donné qu’il n’est pas précisé que les médias doivent être publics, cela pourrait permettre aux États, et même aux citoyens, de surveiller les médias potentiellement sous contrôle étranger, y compris américain. Restent aux gouvernements et aux citoyens à respecter les devoirs que cette loi impose, mais aussi à utiliser les droits qu’elle procure. Car l’indépendance des médias est aussi garantie par la vigilance de leurs usagers. Un concept que maîtrise la gauche, d’une façon qui confine à la mauvaise foi, et que la droite semble parfois avoir oublié.