Qui a gagné le débat entre Gabriel Attal et Jordan Bardella ? Pour Renaissance, le Premier ministre est vainqueur. Pour le Rassemblement national, c’est Jordan Bardella. Pour les commentateurs politiques, cela dépend. De quoi ? De la forme, du fond, mais aussi de ce qu’en disent les Français. Un sondage paru juste après le débat donne Jordan Bardella vainqueur. La presse de droite ou assimilée se saisit de cette occasion.
Un sondage commandé par Le Figaro
Les sondages font-ils l’opinion ou la reflètent-ils ? La question est ouverte, mais cela n’empêche pas les médias de recourir régulièrement à ce type de source, censée montrer l’avis d’un panel large et représentatif de la population. On pourrait ergoter des heures sur le sens d’un sondage qui considère que certaines catégories pensent la même chose pour éviter d’interroger l’ensemble de la population, ou demander à partir de combien de sondés une enquête peut être considérée comme fiable. Cent, cinq cents, mille, deux mille ? Toujours est-il qu’au lendemain du fameux débat, Le Figaro sortait les résultats d’un sondage commandé auprès d’Odoxa-Backbone. Ce sondage testait les « Français exposés au débat » et leur avis sur la personne la plus convaincante, dans l’ensemble et sur différents sujets. On notera que l’expression « Français exposés au débat » permet de rassembler de nombreuses personnes, y compris ceux qui n’ont vu que les extraits diffusés par leur champion, biais cognitif s’il en est. Le débat a été suivi par 3,6 millions de téléspectateurs, soit 18% de part d’audience.
Selon le sondage, Bardella plus convaincant qu’Attal
D’après le sondage diffusé par Le Figaro, 51% des Français ont trouvé Jordan Bardella plus convaincant, ce qui permet au journal d’évoquer une victoire remportée « d’une courte tête » et au Journal du Dimanche de parler d’un « léger avantage au candidat du RN ». Au reste, ce résultat va avec les sondages concernant les votes aux élections européennes, où Jordan Bardella récolte régulièrement plus de 30% des voix. 40% des sondés ont déclaré que le débat avait renforcé leur souhait de voter pour Jordan Bardella.
Le débat a‑t-il changé quelque chose ?
On peut néanmoins se demander si le débat a changé quoi que ce soit aux opinions des Français. Qui regarde un débat pour savoir pour qui voter, et surtout, qui est convaincu par un débat qui relève plus d’une confrontation mise en scène que d’un débat d’idées constructif ? Pour L’Opinion, le débat entre Jordan Bardella et Gabriel Attal a été « technocratique à certains moments » au point que l’on peut « se demander ce que les téléspectateurs ont saisi ». Or, il n’est pas vraiment nécessaire de comprendre pour être convaincu, surtout si on l’était déjà. L’Opinion estime d’ailleurs que ce débat, c’est plutôt Gabriel Attal qui l’a gagné. Seulement, comme il s’agit d’un exercice « “techno” et sans envolées », cette victoire ne s’est pas retrouvée dans l’opinion des Français. Alors que l’on attendait un match de boxe, « le face-à‑face fut au contraire bien tenu, sérieux et technique », regrette L’Opinion. Pas de spectacle donc, comme le confirme La Croix qui parle d’un « débat animé » et « d’échanges de bonne tenue », et pas de réel impact du débat dans les sondages, si l’on estime du moins qu’il était destiné à changer la donne, et relancer une campagne moribonde pour la liste Renaissance, talonnée par le Parti socialiste.
Jordan Bardella et Gabriel Attal, les nouveaux gendres idéaux de la politique ?
Des techniciens en costume policés et peu agressifs, voilà en somme ce que certains médias retiennent du débat. Est-ce là la politique de demain ? C’est ce que semble penser Franz-Olivier Giesbert, journaliste et auteur d’ Histoire intime de la Ve République, Tome 3 Tragédie française, invité sur Europe 1 pour analyser le débat. Pour lui, les deux débatteurs représentent « la politique de demain », « une nouvelle génération » qui sera « là dans 20 ans. »
Ce débat est-il la projection d’une réalité certaine ou celle du débat politique que certains médias veulent créer ? Le 23 mai, les Français ne pouvaient se défendre d’un certain malaise. Pourquoi un Premier ministre débattait-il avec une tête de liste, en pleine campagne électorale ? Parce que Jordan Bardella sera à Matignon si Marine Le Pen est à l’Élysée ? Parce que Valérie Hayer se montre incapable de rassembler les foules ? Parce que le gouvernement veut garder aux élections cet air de duel Macron-Le Pen que la scène électorale a pris en 2017, puis conservé en 2021 ? Du côté des autres partis, on regrette un débat qui polarise l’une des rares élections qui n’a pas besoin de l’être : aux élections européennes, il n’y a qu’un seul tour, et les sièges sont répartis proportionnellement entre tous les partis ayant obtenu au moins 5% des voix. Pas de vote utile donc, les électeurs n’ont pas besoin de voter à contre-cœur pour un candidat qui ne leur convient pas simplement parce qu’il a plus de chances d’accéder au second tour. Un débat finalement pour pas grand-chose ?
Voir aussi : Débat Attal – Bardella : la presse de gauche unanime pour consacrer le vainqueur