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Élections européennes : victoire pour le Rassemblement national, gueule de bois pour les journalistes

12 juin 2024

Temps de lecture : 5 minutes
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Élections européennes : victoire pour le Rassemblement national, gueule de bois pour les journalistes

Temps de lecture : 5 minutes

On s’attendrait, face aux résultats du Rassemblement national et de Reconquête! qui totalisent près de 40% des voix, à entendre des appels au barrage républicain et des alertes sur le bruit des bottes à longueur d’articles. Il n’en est rien. Les différents titres de presse se contentent d’évoquer les résultats sobrement. Au moins dans un premier temps…

Une dénonciation pour le moment timide du vote extrême-droite

La Croix a bien invité Valérie Igounet (voir infra), spé­cial­iste de l’extrême droite et du néga­tion­nisme, pour évo­quer la vic­toire de Jor­dan Bardel­la, et titré l’interview « Il n’y a plus aucun frein au vote d’extrême droite ». Mais en-dehors de cette tri­bune, on ne trou­ve guère que des men­tions sobres et au demeu­rant peu con­testa­bles. France info par­le d’un « raz-de-marée » et recon­naît le RN comme le « grand vain­queur ». Ce titre recourt, comme La Croix, à l’invitation de spé­cial­istes prob­a­ble­ment peu favor­ables au Rassem­ble­ment nation­al : Jean-Yves Camus, qui regrette que l’on soit « l’un des rares pays en Europe où la droite con­ser­va­trice est à ce point mar­gin­al­isée ». L’article par­le ain­si d’une droite « can­ni­bal­isée par le RN » et on peut le com­pren­dre. Le par­ti recueille plus de 33% des voix, con­tre 7% pour les LR et 5,5% pour Reconquête!.

Autrement dit, à eux deux, la droite tra­di­tion­nelle et l’out­sider recueil­lent tout juste le tiers des voix du Rassem­ble­ment nation­al. Le Parisien évoque égale­ment une « défaite cinglante » du camp prési­den­tiel. Le seul titre plus pru­dent est La Dépêche, pour qui le RN arrive « assez large­ment » en tête des votes.

Voir aus­si : Quand France Télévi­sion abrite une chercheuse très poli­tique… et voleuse à ses heures

Un Français sur deux fasciste ? La presse n’ose pas

Le prob­lème des jour­nal­istes est peut-être qu’avec un Rassem­ble­ment nation­al à 33%, majori­taire dans presque toutes les com­munes et dans tous les départe­ments à l’exception de la Seine-Saint-Denis, de Paris, des Hauts-de-Seine, du Val-de-Marne et de la Mar­tinique, pub­li­er des arti­cles cri­ant au fas­cisme risque d’être assez peu vendeur. Quel électeur cli­querait sur un arti­cle pour y lire à quel point il est infréquentable ? Pour rem­plir mal­gré tout leur rôle de bâtis­seur de bar­rage répub­li­cain, les médias ont deux solu­tions : inviter des spé­cial­istes qui par­leront à leur place, ou recourir au reportage.

C’est ain­si que Cen­tre Presse Avey­ron écrit sur Najac, « l’un des seuls vil­lages à résis­ter au RN ». Le mot est choisi en référence peu sub­tile au nazisme, et l’on file la métaphore, puisque « face à la marée bleu marine », « Najac fait de la résis­tance ». Ce pau­vre vil­lage est un « petit point rouge noyé dans un océan bleu marine ». Là-bas, c’est LFI qui l’emporte avec 72 voix, tan­dis que le PS-Place publique en recueille 69. Et le RN ? 70. La résis­tance est donc toute symbolique.

BFMTV joue la carte du vote russe, mais c’est une paire de 2

BFMTV a util­isé une tech­nique un peu dif­férente pour inquiéter les Français : le vote russe, avec un reportage sur les Français vivant en Russie. Ils ont voté à 66% pour les listes de Jor­dan Bardel­la, François Asse­lin­eau et Mar­i­on Maréchal. À défaut du bruit des bottes, on alerte sur la cinquième colonne. BFMTV doit toute­fois recon­naître assez rapi­de­ment une « absten­tion mas­sive », avec plus de 83% d’abstention.

Ce n’est pas que les listes dites d’extrême-droite aient spé­ciale­ment con­va­in­cu, c’est plutôt que les autres ne l’ont pas fait. À Moscou, sur près de 2 500 inscrits, la liste du Rassem­ble­ment nation­al recueille 98 voix. À Saint-Péters­bourg, 51 per­son­nes sur 223 ont voté : 10 pour Mar­i­on Maréchal, 9 pour François Asse­lin­eau, 8 pour Jor­dan Bardel­la. Le vote russe est donc presque anec­do­tique, et ce fait se retrou­vait déjà à la prési­den­tielle de 2022, alors que la guerre en Ukraine était bien plus présente dans les esprits et dans le débat poli­tique français. On comp­tait alors 66% d’abstention, plus de deux fois plus qu’au niveau national.

La défaite de Renaissance évoquée à bas bruit

Ecœurés par la défaite d’un par­ti qu’ils auront pour­tant tout fait pour pro­téger, à coups d’allocutions prési­den­tielles et d’incrustations de Pre­mier min­istre, cer­tains médias ten­tent par tous les moyens de rel­a­tivis­er la défaite cinglante du camp prési­den­tiel. Le Figaro pré­cise ain­si les départe­ments où Valérie Hay­er a obtenu « ses meilleurs scores » : l’ouest, les Hauts-de-Seine et « son fief de Mayenne ».

Quels sont ces scores si impres­sion­nants ? 18%, 19,6% et 24%, soit tou­jours moins que le score total du Rassem­ble­ment nation­al. Le Parisien, qui affirme que Renais­sance « sauve les meubles », est bien obligé de recon­naître que « si la liste de la majorité prési­den­tielle arrive en tête avec 19,55 % des suf­frages, elle perd près de 14 points par rap­port aux élec­tions européennes de 2019. » Une vic­toire toute rel­a­tive donc, et même plus proche de la défaite, surtout quand on con­state que le PS, en deux­ième posi­tion dans ce départe­ment, n’est qu’à 3 points de la pre­mière place. Les Hauts-de-Seine, seul départe­ment à plac­er Renais­sance en tête, font ain­si fig­ure de vil­lage d’Astérix cen­triste, avec un Rassem­ble­ment nation­al en qua­trième posi­tion (13,16% des voix).

La for­mule du bar­rage répub­li­cain a fait long feu, en tout cas dans un pre­mier temps. À force d’organiser, à coups de débats et de sondages, un duel entre Macron et Le Pen, les médias se retrou­vent avec une vic­toire écras­ante du Rassem­ble­ment nation­al, et doivent main­tenant faire avec. Com­ment traiteront-ils les élec­tions lég­isla­tives à venir, avec la moitié de l’électorat prête, non pas à faire bar­rage à l’extrême-droite, mais à faire bar­rage à Emmanuel Macron ? A suivre…

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