On s’attendrait, face aux résultats du Rassemblement national et de Reconquête! qui totalisent près de 40% des voix, à entendre des appels au barrage républicain et des alertes sur le bruit des bottes à longueur d’articles. Il n’en est rien. Les différents titres de presse se contentent d’évoquer les résultats sobrement. Au moins dans un premier temps…
Une dénonciation pour le moment timide du vote extrême-droite
La Croix a bien invité Valérie Igounet (voir infra), spécialiste de l’extrême droite et du négationnisme, pour évoquer la victoire de Jordan Bardella, et titré l’interview « Il n’y a plus aucun frein au vote d’extrême droite ». Mais en-dehors de cette tribune, on ne trouve guère que des mentions sobres et au demeurant peu contestables. France info parle d’un « raz-de-marée » et reconnaît le RN comme le « grand vainqueur ». Ce titre recourt, comme La Croix, à l’invitation de spécialistes probablement peu favorables au Rassemblement national : Jean-Yves Camus, qui regrette que l’on soit « l’un des rares pays en Europe où la droite conservatrice est à ce point marginalisée ». L’article parle ainsi d’une droite « cannibalisée par le RN » et on peut le comprendre. Le parti recueille plus de 33% des voix, contre 7% pour les LR et 5,5% pour Reconquête!.
Autrement dit, à eux deux, la droite traditionnelle et l’outsider recueillent tout juste le tiers des voix du Rassemblement national. Le Parisien évoque également une « défaite cinglante » du camp présidentiel. Le seul titre plus prudent est La Dépêche, pour qui le RN arrive « assez largement » en tête des votes.
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Un Français sur deux fasciste ? La presse n’ose pas
Le problème des journalistes est peut-être qu’avec un Rassemblement national à 33%, majoritaire dans presque toutes les communes et dans tous les départements à l’exception de la Seine-Saint-Denis, de Paris, des Hauts-de-Seine, du Val-de-Marne et de la Martinique, publier des articles criant au fascisme risque d’être assez peu vendeur. Quel électeur cliquerait sur un article pour y lire à quel point il est infréquentable ? Pour remplir malgré tout leur rôle de bâtisseur de barrage républicain, les médias ont deux solutions : inviter des spécialistes qui parleront à leur place, ou recourir au reportage.
C’est ainsi que Centre Presse Aveyron écrit sur Najac, « l’un des seuls villages à résister au RN ». Le mot est choisi en référence peu subtile au nazisme, et l’on file la métaphore, puisque « face à la marée bleu marine », « Najac fait de la résistance ». Ce pauvre village est un « petit point rouge noyé dans un océan bleu marine ». Là-bas, c’est LFI qui l’emporte avec 72 voix, tandis que le PS-Place publique en recueille 69. Et le RN ? 70. La résistance est donc toute symbolique.
BFMTV joue la carte du vote russe, mais c’est une paire de 2
BFMTV a utilisé une technique un peu différente pour inquiéter les Français : le vote russe, avec un reportage sur les Français vivant en Russie. Ils ont voté à 66% pour les listes de Jordan Bardella, François Asselineau et Marion Maréchal. À défaut du bruit des bottes, on alerte sur la cinquième colonne. BFMTV doit toutefois reconnaître assez rapidement une « abstention massive », avec plus de 83% d’abstention.
Ce n’est pas que les listes dites d’extrême-droite aient spécialement convaincu, c’est plutôt que les autres ne l’ont pas fait. À Moscou, sur près de 2 500 inscrits, la liste du Rassemblement national recueille 98 voix. À Saint-Pétersbourg, 51 personnes sur 223 ont voté : 10 pour Marion Maréchal, 9 pour François Asselineau, 8 pour Jordan Bardella. Le vote russe est donc presque anecdotique, et ce fait se retrouvait déjà à la présidentielle de 2022, alors que la guerre en Ukraine était bien plus présente dans les esprits et dans le débat politique français. On comptait alors 66% d’abstention, plus de deux fois plus qu’au niveau national.
La défaite de Renaissance évoquée à bas bruit
Ecœurés par la défaite d’un parti qu’ils auront pourtant tout fait pour protéger, à coups d’allocutions présidentielles et d’incrustations de Premier ministre, certains médias tentent par tous les moyens de relativiser la défaite cinglante du camp présidentiel. Le Figaro précise ainsi les départements où Valérie Hayer a obtenu « ses meilleurs scores » : l’ouest, les Hauts-de-Seine et « son fief de Mayenne ».
Quels sont ces scores si impressionnants ? 18%, 19,6% et 24%, soit toujours moins que le score total du Rassemblement national. Le Parisien, qui affirme que Renaissance « sauve les meubles », est bien obligé de reconnaître que « si la liste de la majorité présidentielle arrive en tête avec 19,55 % des suffrages, elle perd près de 14 points par rapport aux élections européennes de 2019. » Une victoire toute relative donc, et même plus proche de la défaite, surtout quand on constate que le PS, en deuxième position dans ce département, n’est qu’à 3 points de la première place. Les Hauts-de-Seine, seul département à placer Renaissance en tête, font ainsi figure de village d’Astérix centriste, avec un Rassemblement national en quatrième position (13,16% des voix).
La formule du barrage républicain a fait long feu, en tout cas dans un premier temps. À force d’organiser, à coups de débats et de sondages, un duel entre Macron et Le Pen, les médias se retrouvent avec une victoire écrasante du Rassemblement national, et doivent maintenant faire avec. Comment traiteront-ils les élections législatives à venir, avec la moitié de l’électorat prête, non pas à faire barrage à l’extrême-droite, mais à faire barrage à Emmanuel Macron ? A suivre…