Ojim.fr
PUBLICATIONS
Yann Barthès, Dilcrah, Netflix, Frontex, Bellingcat... Découvrez les publications papier et numériques de l'Observatoire du journalisme.
→ En savoir plus
PUBLICATIONS
Yann Barthès, Dilcrah, Netflix, Frontex, Bellingcat... Découvrez les publications papier et numériques de l'Observatoire du journalisme.
→ En savoir plus
Pologne : après leur putsch contre les médias publics, les libéraux pro-UE s’attaquent à l’autorité de surveillance

25 juin 2024

Temps de lecture : 7 minutes
Accueil | Veille médias | Pologne : après leur putsch contre les médias publics, les libéraux pro-UE s’attaquent à l’autorité de surveillance

Pologne : après leur putsch contre les médias publics, les libéraux pro-UE s’attaquent à l’autorité de surveillance

Temps de lecture : 7 minutes

Les libéraux pro-UE et leurs alliés de gauche et d’extrême gauche qui gouvernent aujourd’hui en Pologne s’étaient fait remarquer dès leur retour aux affaires en décembre 2023 par la manière dont ils avaient repris le contrôle des médias publics : en violant ouvertement la loi et en s’appuyant sur des agences de sécurité privées recrutées pour l’occasion afin d’expulser par la force les dirigeants légitimes de la télévision publique et d’installer à leur place de nouveaux dirigeants.

Imbroglio juridique

Pour sor­tir de l’imbroglio juridique dans lequel ils avaient plongé les médias publics, le gou­verne­ment de Don­ald Tusk avait ensuite mis les médias publics en liq­ui­da­tion, en s’appuyant sur le code des sociétés com­mer­ciales, arguant que le prési­dent de la République Andrzej Duda avait annon­cé qu’il met­trait son veto à la loi de finance­ment des médias publics pro­posée par la nou­velle majorité. Duda expli­quait alors qu’il ne pou­vait pas sign­er cette loi dans une sit­u­a­tion où les médias publics étaient entre les mains de gens sans légitim­ité légale pour les diriger.

Dans un pre­mier temps, les tri­bunaux ont refusé d’inscrire la liq­ui­da­tion des médias publics au Reg­istre judi­ci­aire nation­al (KRS, l’équivalent de notre Reg­istre du Com­merce et des Sociétés), avant qu’un tri­bunal de Varso­vie accepte finale­ment en avril de valid­er cette inscrip­tion. Le min­istre de la Cul­ture, Barłomiej Sienkiewicz, a alors tri­om­phé en ces ter­mes sur X :

« La dis­pute sur la légitim­ité de la liq­ui­da­tion de l’abom­i­na­tion qu’é­tait la télévi­sion du PiS est ter­minée. Je remer­cie tous ceux qui y ont con­tribué, et à ceux qui ont défendu cette patholo­gie, je n’ai qu’une chose à dire : le rouleau com­presseur ne dis­cute pas avec l’as­phalte de la direc­tion à pren­dre. »

Le ministre de la Culture de Donald Tusk évacué

Sienkiewicz a ensuite démis­sion­né de ses fonc­tions pour se porter can­di­dat aux élec­tions européennes, et l’opposition con­ser­va­trice y voit une opéra­tion d’évacuation (qui con­cerne aus­si plusieurs autres min­istres, dont celui de l’Intérieur, quelques mois seule­ment après la for­ma­tion du gou­verne­ment de Don­ald Tusk) pour lui assur­er l’immunité par­lemen­taire bruxelloise.

La télévision publique devenue libérale libertaire à 100%

« L’abomination qu’était la télévi­sion du PiS » n’est plus en effet : les médias publics polon­ais ont fait l’objet de grandes purges et s’ils relaient un dis­cours pro-gou­verne­ment et anti-oppo­si­tion comme c’était le cas sous le PiS, les rôles sont désor­mais inver­sés. Sur le plan idéologique aus­si, ces médias sont aujourd’hui à fond dans le camp gau­cho-libéral, comme l’illustre très bien la déci­sion récente de TVP Poz­nań, chaîne régionale de la télévi­sion publique, de met­tre en place une émis­sion pro­mou­vant l’idéologie du genre et l’agenda du lob­by LGBT. Une émis­sion con­fiée à Stonewall, une organ­i­sa­tion LGBT d’extrême gauche, et dont la pre­mière édi­tion a mis en scène un drag queen venu expli­quer aux téléspec­ta­teurs qu’il y avait en fait plein de drag queens en Pologne, et que c’était une forme d’expression artis­tique homo­sex­uelle absol­u­ment épatante.

Le Con­seil nation­al de la télévi­sion et de la radio, ou KRRiT, organe con­sti­tu­tion­nel indépen­dant chargé de super­vis­er les médias, a passé en revue le prin­ci­pal ser­vice d’information de la télévi­sion publique, « 19.30 » (pour 19h30, l’heure des nou­velles du soir sur TVP1, la pre­mière chaîne de la télévi­sion publique). Résul­tat : 13 pages d’observations cri­tiques pub­liées en avril.

Un exemple d’observation

« Dans les édi­tions observées du ser­vice de 19 h 30 en décem­bre 2023, con­traire­ment aux ser­vices d’in­for­ma­tion Fak­ty (TVN) et surtout Wydarzenia (Pol­sat) et Dzisi­aj (TV Repub­li­ka), il n’y a pas eu de cou­ver­ture de la prise de con­trôle des médias publics par le min­istère de la cul­ture et les per­son­nes désignées par le min­istre. Les actions illé­gales que l’op­po­si­tion reproche à la coali­tion au pou­voir n’ont pas été mon­trées. »

Le car­ac­tère sélec­tif et ori­en­té des infor­ma­tions de la télévi­sion publique (qui n’est pas nou­veau : c’était pareil sous le PiS et égale­ment sous les précé­dents gou­verne­ments de Don­ald Tusk) est par­ti­c­ulière­ment frap­pant durant les derniers jours de la cam­pagne des élec­tions européennes, avec le scan­dale de l’arrestation de trois sol­dats arrêtés par la gen­darmerie pour des tirs de som­ma­tion en direc­tion d’un groupe de migrants agres­sifs (per­son­ne n’a été blessé dans l’incident) à la fron­tière avec la Biélorussie. Au même moment, les Polon­ais appre­naient le décès d’un jeune sol­dat de 21 ans qui avait été attaqué à l’arme blanche par un migrant dans la même zone. Face à cet événe­ment comme face à d’autres, les médias publics repren­nent le nar­ratif déployé par le gou­verne­ment pour se défendre et cherchent mal­adroite­ment à reporter les respon­s­abil­ités sur le précé­dent gou­verne­ment du PiS.

Voir aus­si : TV Repub­li­ka, dernière chaîne d’info con­ser­va­trice en Pologne, attaquée de toutes parts

L’autorité indépendante de contrôle mise en accusation

Quant au KRRiT, l’autorité indépen­dante des médias, la majorité gau­cho-libérale veut traduire son prési­dent devant le Tri­bunal d’État, l’instance chargée de juger les min­istres et cer­tains hauts fonc­tion­naires en cas de faits par­ti­c­ulière­ment graves dans l’exercice de leurs fonc­tions. Un tri­bunal dont les juges sont élus à la majorité sim­ple par la Diète (la cham­bre basse du par­lement polon­ais), et qui est donc aujourd’hui entre les mains de cette même majorité.

Dans la demande de Tri­bunal d’Etat pour Maciej Świrs­ki, le prési­dent du KRRiT, soumise en mai à la Diète par le min­istre Sienkiewicz, il est reproché au chef de l’autorité des médias son refus de vers­er l’argent de la rede­vance aux médias publics. Depuis le début de l’année, cet argent est en effet ver­sé sur un compte de dépôt judi­ci­aire. Le KRRiT, par une réso­lu­tion du 7 févri­er 2024, a en effet mis en place un mécan­isme per­me­t­tant aux entre­pris­es de médias publics en liq­ui­da­tion de percevoir le pro­duit de la rede­vance, mais unique­ment sur déci­sion d’un juge, en rai­son des gros doutes sur la légitim­ité de la direc­tion actuelle de ces médias.

« Le prési­dent du KRRiT, qui est tenu par cette réso­lu­tion, a trans­féré les fonds provenant du pro­duit de la rede­vance à cha­cune des sociétés [des médias publics] sur des comptes de dépôt détenus par le min­istre des Finances pour les tri­bunaux com­pé­tents pour cha­cune des­dites sociétés. Sur ces comptes, ces sociétés peu­vent, à leur demande et après déci­sion de jus­tice, retir­er les sommes déposées. Tout cela se fait con­for­mé­ment à la régle­men­ta­tion et dans le respect de l’or­dre juridique de la République de Pologne », a écrit Maciej Świrs­ki dans un com­mu­niqué daté du 23 mars.

Le 16 mai, le Par­quet, dont le gou­verne­ment de Don­ald Tusk a pris le con­trôle avec des méth­odes assez sim­i­laires à celles util­isée pour s’emparer des médias publics, a ouvert une enquête con­tre le prési­dent du KRRiT à ce titre.

Difficultés financières

Mais en atten­dant, les médias publics polon­ais sont en grande dif­fi­culté finan­cière. Fin mai, les antennes régionales de la radio publique lançaient une cam­pagne d’appels émis plusieurs fois par jour où il est dit : « Le manque d’argent est en train de nous tuer. Depuis le début de l’an­née, le Con­seil nation­al de la radio et de la télévi­sion de Maciej Świrs­ki ne reverse pas aux radios régionales la rede­vance due. C’est votre argent, grâce auquel la mis­sion du ser­vice pub­lic est réal­isée ! Le Con­seil nation­al de la radiod­if­fu­sion nuit aux sta­tions de radio et aux audi­teurs ! Sans cet argent, nous ne serons plus là… pour vous ! »

Il sem­blerait donc que ce putsch inédit des libéraux pro-UE polon­ais sur leurs médias publics soit tombé sur un os. Mais ils ont quand même des raisons de se réjouir : dans le classe­ment mon­di­al de la lib­erté de la presse pub­lié chaque année par Reporters sans fron­tières (la police de la pen­sée des médias), la Pologne a gag­né dix places entre 2023 et 2024, pas­sant de la 57e place mon­di­ale à la 47e place. Le jour où le gou­verne­ment français fer­mera CNews ou en pren­dra le con­trôle par la force, sans doute la France, aujourd’hui 21e, grimpera-t-elle aus­si d’une dizaine de places dans le classe­ment de RSF.

Voir aus­si : Un dossier sur RSF et un appel à nos lecteurs

Vidéos à la une

Derniers portraits ajoutés