« Fuck le Rassemblement (Pah, pah, ouais) », « ma gueule, on vote contre les porcs », « et baise la mère à Bardella (sic) », ainsi débute No Pasarán comme le transcrit Genius, où l’on peut retrouver les paroles complètes, déconseillées aux plus sensibles. Paru le lundi premier juillet 2024 entre le premier et le deuxième tour des élections législatives, le titre enregistré par vingt rappeurs a pour objectif de déverser sur toute la France une haine du Rassemblement national à l’aide d’expressions argotiques et de vocabulaire maghrébin.
Première diffusion le 6 juillet 2024
L’OJIM prend ses quartiers d’été : du dimanche 28 juillet au dimanche 25 août nous republions les articles les plus significatifs du premier semestre.
Des putes, du viol et de la came
Entre appels à la violence, menaces d’agression physique, de viol et de mort, apologie de la drogue, complotisme, propos discriminatoires, promotion de la criminalité et non-respect des institutions démocratiques, le morceau de près de dix minutes livre tout au long de ses vingt couplets le pire du rap sur fond de politique.
L’ensemble recèle une violence inouïe, en particulier envers les électeurs et les membres du Rassemblement national et de Reconquête! comme en témoignent ces extraits :
« Marine et Marion, les putes, un coup de bâton sur ces chiennes en rut (Vlan) » ; « faut faire les causes contre les fachos aç-comme » (ce qui signifie « il faut s’attaquer aux fascistes comme ça »).
Jordan Sheitan, t’es mort
Concrètement, le texte ne se contente pas de comporter plusieurs menaces de mort très explicites « Jordan, t’es mort, Jordan, t’es mort » mais dévoile des propos douteux voire complotistes comme le révèlent ces extraits :
« Quarante ans qu’on l’écrit, voilà, on en est là avec un seul candidat : Jordannuel Macronardella » ; « Fuck l’identitaire, jeunesse affiliée à dolf‑A » (comprendre Adolf Hitler) ; « Parce que ça reste le FN fondé par un Waffen-SS ».
En plus de dénoncer le RN de nazisme, les interprètes font un lien direct avec la franc-maçonnerie et le satanisme :
« C’est tous des francs-maçons » ; « Espèce de franc-maçon, tu te nourris du sang qu’tu consommes — Dans leurs ambassades, c’est le Sheitan [Diable en arabe] qui les passionne ».
Les rappeurs mettent également en avant des actions illégales, non sans fierté : « y a mon pote sous OQTF » ; « ça vend la frappe dans tous les bât’, ils pètent la cess et bectent la farine, c’était pour leurs narines » (que l’on peut comprendre comme « on vend de la drogue dans tous les bâtiments, ils fument du cannabis et consomment de la cocaïne ») ou encore « j’suis dans l’allée, j’revends c’qui fait planer ».
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CNews, pah, pah, pah, pah
Le titre s’attaque également aux médias, notamment CNews : « Le doigt en l’air pour les cistes-ra [racistes] (Ouais), CNews dans l’angle mort (Pah, pah, pah, pah) ».
Les paroles prennent une autre dimension étant donné les multiples délits et crimes commis par des membres du Nouveau Front Populaire, à commencer par Louis Boyard qui avait déclaré à plusieurs reprises avoir trafiqué de la drogue, comme ici sur le plateau de Touche Pas à Mon Poste avec Cyril Hanouna.
Parmi les irrévérencieux rappeurs, certains n’en sont pas à leur coup d’essai. On retrouve par exemple Akhenaton, membre du groupe IAM qui s’était déjà exprimé avec virulence au sujet d’Éric Zemmour, considérant qu’il était « invité sur France 2, pour vomir sur nous à répétition » comme le rappelle le portrait d’Éric Zemmour réalisé par l’OJIM.
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Retour fantasmé à la guerre civile espagnole
D’emblée, le morceau se pare d’une confusion intentionnellement outrageuse. Le titre, No pasarán, qui signifie littéralement « ils ne passeront pas » diffame directement le Rassemblement national à travers sa charge hautement symbolique. L’expression provient effectivement du contexte de la guerre civile espagnole, où le slogan « No pasarán » était utilisé par les républicains contre le fascisme dictatorial du général Franco.
« Ces mots sont devenus le cœur de la résistance madrilène à la dictature franquiste lorsque Dolores Ibárruri, connue sous le nom de “La Pasionaria” et l’une des fondatrices du parti communiste espagnol, les a prononcés dans un discours » selon Cristina Crespo Garay pour National Geographic Espagne.
L’Institut National de l’Audiovisuel rappelle que « ce slogan antifasciste fait partie des éléments verbaux classiques des mouvements de résistance. »
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Un hymne contreproductif ?
Bien que la stratégie initiale de convaincre le large public des vingt rappeurs — dont certains comme Zola, Kerchak ou Soso Maness bénéficient d’une popularité certaine auprès des jeunes — de voter pour le Nouveau Front Populaire soit clair, le morceau risque de desservir finalement l’union d’extrême gauche comme l’analyse Le Monde avec lucidité : malgré la présence de « quelques leaders de l’industrie du rap » et « quelques turbos de la jeune génération », « le ton est à la colère, les mots souvent excessifs voire insultants, les propos misogynes et complotistes, au risque de brouiller leur message. »
Message d’autant plus fragile qu’il provient d’une union difficile, incluant des partis aux valeurs aussi éloignées que Les Écologistes – Europe Écologie Les Verts et le Nouveau Parti Anticapitaliste de Philippe Poutou. « La route est donc encore longue avant une union digne de ce nom » analysait l’OJIM à la lumière des médias français.
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Les médias indulgents, du Parisien au HuffPost
Sur la scène médiatique, l’animosité des propos tenus par le collectif de rappeurs ne semble pas choquer outre mesure. Même si Le Parisien reconnaît que « les artistes ont choisi la manière forte et choquante pour prendre la parole », FranceInfo Culture considère que le morceau a tout simplement « été réalisé dans l’urgence, alors que le Rassemblement national est aux portes du pouvoir. »
La plupart des médias ont relayé le titre de rap comme une musique « sans filtre » pour Le HuffPost par exemple, mais engagée. Télérama le considère comme « un titre choral aux accents clairement antifascistes » avec pour objectif de « dire que “non, le RN n’est pas ‘cool’, même si Bardella fait des sourires sur TikTok” ».
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Libération soutient la « violence artistique »
Saisi d’emballement, le quotidien Libération y voit même « la fine fleur du rap français » qui compose « avec une variété d’angles assez enthousiasmante et représentative ». Et pour les « deux ou trois punchlines » qui « seront immanquablement extraites du contexte pour discréditer le projet dans sa globalité », aucun problème : « comme le rappelle Alkpote dans son couplet, il s’agit ici de “violence artistique” ». Le média continue de cette manière à faire de la lutte contre « l’extrême droite » sa priorité.
On retrouve ainsi une opposition presque systématique au RN, comme l’avait déjà dénoncé l’OJIM dans le cas précis de Franceinfo ou encore dans un article intitulé « Les cultureux contre le RN, les médias mobilisés pour préserver les subventions » qui avait détricoté les motivations du monde de la culture et des médias : « avec le Rassemblement national au pouvoir, […] on sait en tout cas que certains artistes très engagés perdraient une part substantielle de leurs subventions. »
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Le Figaro et Marianne condamnent
Toutefois, Le Figaro a joué son rôle de lanceur d’alerte :
« les rappeurs s’illustrent dans des paroles d’une grande violence et des insultes », « célébrant la Palestine “de la Seine au Jourdain” ».
CNews dans sa version écrite a également mesuré le danger du texte « antisémite, sexiste et incitant à la violence physique. »
Un peu plus surprenant, Marianne a lui aussi pris position contre ce « morceau indigeste et contre-productif », qualifié d’« antifascisme de bac à sable ».
Un univers mental toxique
Sans surprise, les personnalités visées n’ont pas manqué d’exprimer leur indignation, à commencer par Marine Le Pen et Jordan Bardella. Le HuffPost a partagé le ressenti de ce dernier qui, offensé, a posté sur X (ex-Twitter) « l’univers mental de l’extrême gauche est de plus en plus toxique ». L’imam Hassen Chalghoumi, partisan du dialogue inter-religieux entre juifs et musulmans qualifié de diable dans le clip – « Nique l’imam Chalgoumi et ceux qui suivent le Sheitan à tout prix » — s’est déclaré « abasourdi » pour Valeurs Actuelles.
« Je ne comprends pas pourquoi je me retrouve dans ce clip haineux, diffamatoire, qui me met une cible dans le dos ».
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Nemesis dénonce les appels au viol
Côté réseaux sociaux, le média en ligne breton « de réinformation » Breizh Info — dont on peut retrouver la présentation sur le site de l’OJIM — a directement interpellé l’Observatoire du Journalisme sur X, sous le choc : « Donc tous ces journaux qui passent leur vie à traquer la petite bête relaient une chanson qui appelle explicitement au meurtre. ».
L’association féministe Collectif Némésis, dirigée par Alice Cordier, « porte-parole des femmes oubliées », s’est elle aussi indignée du texte sur le réseau social Instagram :
« La liberté d’expression n’autorise pas la haine des femmes, les menaces de mort, les appels au viol, au terrorisme et au meurtre. Incroyable qu’aucune asso féministe ne dénonce ce morceau dégoulinant de sexisme et qu’aucune autorité ne s’en inquiète ! »
Les problèmes relevés par l’association prennent d’autant plus d’ampleur que certains candidats de La France Insoumise ou du Nouveau Front Populaire sont accusés de violences physiques et psychologiques contre des concurrents aux élections et leurs soutiens.
« Le rap français est-il encore capable de s’engager pour fédérer ? ».