Dans un contexte politique tendu en Allemagne alors que les partis considérés comme populistes gagnent du terrain à droite et à gauche, la revue Compact a été interdite au motif de ce que l’on nommerait en France une incitation à la haine.
Compact, 40.000 exemplaires par mois
Accusé d’attiser la « haine contre les personnes juives et les personnes issues de l’immigration », le magazine allemand Compact a été interdit par le ministre fédéral de l’Intérieur, Nancy Faeser.
Cette dernière s’est félicitée dans une vidéo postée sur ses réseaux sociaux : « Notre interdiction est un coup dur porté à la scène de l’extrême droite. ».
Zum Verbot der rechtsextremistischen „COMPACT-Magazin GmbH“ sagt Ministerin Nancy Faeser: „Unser Verbot ist ein harter Schlag gegen die rechtsextremistische Szene.“ pic.twitter.com/6WzwR0b18K
— Bundesministerium des Innern und für Heimat (@BMI_Bund) July 16, 2024
Cette membre du SPD (parti social-démocrate, gauche allemande) estime que la revue agissait « de manière indescriptible contre les Juifs, contre les musulmans et contre notre démocratie ».
L’arsenal lourd a été déployé pour l’occasion avec des perquisitions dans les locaux du journal et la confiscation du matériel. Fondé en 2010, Compact revendique 40 000 ventes par mois.
Voir aussi : En Allemagne : Nancy Faeser, ministre de l’Intérieur et antifa (1/2)
Un positionnement international qui dérange
Son rédacteur en chef Jürgen Elsässer, 67 ans avait pu prendre des positions originales de ce côté de l’échiquier politique en se félicitant par exemple de l’élection de Mahmoud Ahmadinejad en 2019.
Très critique des États-Unis et de leur politique au Proche-Orient, il est également un soutien des manifestations en faveur de la paix en Ukraine.
C’est probablement plus du côté de ses prises de position internationales qu’il convient d’envisager la censure allemande. Favorable à Moscou et critique vis-à-vis de l’OTAN, le journal soutient également les nationalistes allemands de l’AfD sur qui s’abat une dure répression depuis plusieurs mois. Arrivée en deuxième position derrière la droite (CDU) mais devant le SPD aux élections européennes de juin 2024, la droite patriote et souverainiste allemande voit ses membres et ses soutiens traqués.
Le journal était cependant déjà visé avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie puisqu’en 2021 les services de renseignements intérieurs allemands avaient déjà classé la société qui détient le journal comme « extrémiste assuré, nationaliste et hostile aux minorités ». La ligne du journal s’apparente en réalité à celle de ce que l’on nomme la nouvelle droite allemande et qui est inspirée du mouvement völkisch qui préexiste largement au national-socialisme. C’est ici le spectre du III Reich qui est injustement agité comme une menace, prétexte à l’interdiction.
Comme pour un cellule terroriste islamiste
Le site de Compact a été rapidement mis hors-ligne et le matériel de la rédaction embarqué par une équipe d’agents de la « Polizei » cagoulés comme lors d’une perquisition chez un dealer ou dans une cellule terroriste islamiste. Pas de kalachnikov ou de drapeaux douteux ici mais des tables, des chaises et des ordinateurs.
Dans sa vidéo explicative de cette mesure, le ministre de l’Intérieur se félicite que cette interdiction « montre que nous agissons également contre les incendiaires intellectuels qui attisent un climat de haine et de violence à l’égard des personnes en fuite et des migrants et qui veulent venir à bout de notre État démocratique ». Une justification qui fleure bon le délit d’opinion dans un pays qui n’a pourtant connu que des attentats islamistes au cours des dix dernières années. Si une tentative de coup d’État provenant d’une « cellule d’extrême droite » aurait été déjouée par les autorités fédérales en 2022, aucun passage à l’acte n’a été constaté.
Des émules en France ?
Reste désormais à savoir si la censure allemande peut faire des émules en France. La loi contre les ingérences dont la mise en application devrait avoir lieu avant l’été 2025 donnera les moyens d’un plus grand contrôle de l’État sur des hypothétiques interférences étrangères dans les médias et pourrait servir d’outil pour réduire au silence des médias qui ne seraient pas alignés sur les positions otaniennes — si le conflit en Ukraine venait à s’intensifier ou simplement à se poursuivre.
Dans la recomposition médiatique, opérée avec l’apparition des médias alternatifs essentiellement en ligne, au cours des dix dernières années et désormais avec le groupe Bolloré qui contrebalance l’influence toujours dominante de la galaxie progressiste dans les médias, les ingrédients d’une censure pourraient être réunis ; d’autant qu’en matière de censure, le corporatisme a tendance à s’effacer sérieusement lorsque le journaliste penche un peu à droite.
Voir aussi : Le syndicat des journalistes allemands pour la censure