« Je n’ai toujours aucune information précise ni sur les raisons, ni sur l’autorité qui a décidé de faire fermer le site guineematin.com »
« La presse guinéenne n’est plus libre ». C’est ce que constate avec véhémence Nouhou Baldé, administrateur et fondateur du site Guinée Matin, qui s’est prêté aux questions du correspondant Afrique de l’Observatoire du journalisme. Il explique le calvaire des journalistes guinéens qui n’ont plus droit à la parole depuis l’arrivée de la junte militaire guinéenne. Ce qui, à ses yeux constitue un mal profond. Entretien.
OJIM : Quel est le problème de la junte militaire guinéenne avec la presse ?
Nouhou Balde : Je pense que le CNRD a été surpris par la détermination des journalistes guinéens à se battre pour leur liberté et leur totale indépendance. Il est important de savoir qu’après son coup d’État, le CNRD a fait assez de gestes en faveur des journalistes. Tout d’abord, nous étions sous Covid 19 et une décision exceptionnelle a été publiée pour lever les restrictions, notamment liées à la libre circulation des journalistes. Ensuite, des confrères ont été nommés à des postes de responsabilité, la subvention allouée à la presse a été rehaussée (sur le papier), une maison de la presse a été promise et un bâtiment a été mis à disposition en attendant la construction de la MDP, etc. Des promesses et des actes exceptionnellement favorables à la presse. Mais, parallèlement, des actes et décisions qui jurent avec les droits civiques et politiques ont aussi été posés « contre » des responsables politiques et de la société civile.
Précision importante, il n’y a pas de média aligné ou politiquement engagé en Guinée. Donc, à mon avis, la junte a pensé qu’en aidant les journalistes, ils lui resteraient fidèles « quoi qu’il arrive ». Or, lorsque les dignitaires du régime Alpha Condé ont été victimes d’injustice, les journalistes qui étaient pourtant très sévères contre leur gestion, ont commencé à s’indigner et à dénoncer ce qu’ils subissaient. Et les critiques contre les nouveaux dirigeants du pays ont été encore plus sévères lorsqu’ils ont commencé à persécuter les responsables de l’ancienne opposition (au régime Alpha Condé) qu’ils soient leaders politiques (comme Cellou Dalein Diallo et Sidya Touré) ou sociaux, particulièrement du Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC). Je pense que la junte militaire guinéenne ne s’attendait pas à une telle solidarité de la presse privée du pays. À mon avis, le CNRD croyait qu’en nommant certains et accordant des avantages à d’autres, il aurait le soutien « indéfectible » de la presse guinéenne qui fermerait les yeux sur les atteintes aux droits et libertés des autres composantes de la société guinéenne.
Bref, la presse privée était devenue l’unique voix dissonante que le régime militaire a décidé d’étouffer pour continuer à diriger sans être critiqué. Puisque même si d’autres médias continuent leurs activités, le personnel cumulé des radios et télévisions privées dont on a retiré les agréments (FIM, Espace et Djoma) constitue plus de la moitié des journalistes privés en activité qui sont ainsi mis au chômage.
OJIM : Quelles sont les raisons de la fermeture du site d’informations Guinée Matin ?
Nahou Balde : Sincèrement, je n’ai toujours aucune information précise ni sur les raisons, ni sur l’autorité qui a décidé de faire fermer le site guineematin.com. Je sais que nous sommes parmi les médias les plus critiques du pays et que moi-même, fondateur et administrateur du site, je suis critique surtout dans les émissions de débat chaque fois que je participe aux émissions des radios et télévisions. Mais, je n’ai reçu aucune plainte. Au contraire, avec notre association professionnelle (Association Guinéenne de la Presse en Ligne « AGUIPEL »), on a écrit à la Guinéenne de la large bande (Guilab) qui gère l’accès à internet en Guinée, à la Haute Autorité de la Communication (HAC) qui a elle-même écrit à l’Autorité de régulation des postes et télécommunications (ARPT) sans qu’on ait d’explications. Il y a plusieurs démarches, plusieurs revendications, y compris une manifestation de rue du syndicat de la presse privée de Guinée à Kaloum, sans qu’on sache réellement qui a ordonné la censure du site, ni les raisons. Bref, le site a été restreint par la junte pendant 3 mois et libéré sans qu’on nous en donne la moindre raison.
OJIM : Avec la fermeture des médias guinéens, peut-on dire que la presse guinéenne est assassinée ?
Nouhou Balde : Je ne dis pas que la presse est assassinée. Mais, il est évident que la presse guinéenne n’est plus libre. Les entreprises de presse sont éliminées de l’espace médiatique et des centaines de journalistes mis au chômage.
OJIM : Pourquoi les journalistes ne sont pas en sécurité ?
Nouhou Balde : Aucun défenseur des droits et des libertés n’est en sécurité en Guinée. Les leaders politiques et sociaux forcés de vivre en exil ou bien en prison. Des leaders sociaux sont exilés ou kidnappés. Ceux qui continuent d’exercer actuellement en Guinée s’autocensurent quotidiennement pour échapper à la chape de plomb instaurée par la junte militaire et qui plane sur les Guinéens.
OJIM : N’est-il pas risqué d’être un journaliste dans un régime de transition militaire ?
Nouhou Balde : Nous nous rendons compte qu’il est effectivement très risqué de travailler en tant que journaliste indépendant sous une junte militaire. Nous qui avions commencé à rêver à l’arrivée du CNRD avons vite compris que nous étions au contraire beaucoup plus libres sous les régimes précédents. Jamais, on n’avait atteint un tel recul de nos droits et libertés dans notre cher pays. Jamais !