Suite de notre dossier.
Wokipédia, ceux qui dénoncent les biais idéologiques : le cas français
Sept contributeurs bannis pour avoir modifié la page d’Éric Zemmour
L’un des principes des contributions sur Wikipédia est la « neutralité de point de vue ». Les modifications des fiches sont signées, et même publiques, pour peu que l’on consulte l’historique des versions. Alors pourquoi les fiches à charge existent-elles ? Que font les modérateurs, ou les administrateurs ? La réponse est simple : ils se concentrent sur les contributeurs de droite. En février 2022, en pleine campagne présidentielle, sept contributeurs ont été banni car accusés de militer pour Éric Zemmour en influençant les contenus, principalement les pages du candidat, de Reconquête et du Grand remplacement.
Il faut dire que la page Wikipédia d’Éric Zemmour est à charge : alors que la plupart des personnalités politiques, de Nathalie Arthaud à Nicolas Dupont-Aignan en passant par Emmanuel Macron et Valérie Pécresse, sont qualifiés d’hommes ou de femmes politiques français, Éric Zemmour, lui, est un « homme politique français d’extrême-droite ».
Un contributeur « de référence » banni
L’un d’entre eux avait pour pseudonyme « Cheep ». Sur Wikipédia depuis plus de quinze ans, il avait fourni près de 170 000 contributions et était le 64e plus gros contributeurs français. Capucine-Marin Dubroca-Voisin, présidente de Wikimédia France, le considère comme un « compte de référence ». Ses modifications sont considérées comme vérifiées automatiquement, ce qui témoigne de sa fiabilité.
Sa principale faute était d’avoir descendu la mention « classé à l’extrême-droite » dans la page d’Éric Zemmour et de l’avoir remplacée par la suivante : « Classé à l’extrême droite en France par la plupart des médias français ou au sein de la « droite hors les murs » par des historiens et politologues ». Cette expression longue et précise avait été jugée partisane par les administrateurs. En décembre 2021, Cheep avait voulu retirer les informations concernant une polémique sur l’utilisation d’images non autorisées dans le clip d’entrée en campagne d’Éric Zemmour.
Enfin, il avait ajouté une photo de Pétain et Laval et une légende expliquant que leur « responsabilité dans la Shoah en France est sujette à débat ». La Fondation Wikimédia, en plus de bannir les contributeurs incriminés, avait publié un communiqué rappelant les valeurs de Wikipédia, qui ne serait « pas une tribune de propagande ou de promotion » et qui rappelait l’importance de la neutralité de point de vue. Tout comme RSF, sur le compte duquel l’Observatoire du Journalisme a récemment publié une enquête, il semble que la droite soit la seule à ne pas pouvoir être neutre.
Des modifications politiques fréquentes
Lors du bannissement des contributeurs, Le Parisien avait précisé qu’il « est fréquent que des militants politiques de tous bords essayent d’apporter des modifications à des pages, qui sont en général aussitôt corrigées par la communauté Wikipédia. » Arrêts sur Images avait d’ailleurs révélé quelques semaines plus tôt que la page de Marlène Schiappa avait été écrite au quart par l’un de ses conseillers. BFMTV précise quant à lui que Wikipédia reste vigilant et corrige aussitôt les modifications « tendancieuses » venant de « militants politiques de tous bords ». La fondation Wikimédia reconnaissait elle-même que la plateforme avait déjà connu des tentatives de manipulation par des entités politiques, y compris dans le cadre d’une élection présidentielle. Cependant, pour Éric Zemmour, l’enjeu était de taille : en 2021, sa page était la plus consultée en France, avec 5,2 millions de vues.
Elon Musk contre Wikipédia
Pourquoi autant d’appels aux dons ?
Depuis quelques années, l’image de neutralité de Wikipédia est ainsi sérieusement écornée. Dernière affaire en date, la croisade d’Elon Musk contre la plateforme. Fin 2023, le milliardaire, qui a racheté Twitter et l’a rebaptisé X quelques mois auparavant, interroge leur gestion financière. Pour lui, les besoins ne peuvent pas être faramineux, car « on pourrait littéralement copier l’intégralité du texte sur un téléphone ». L’affirmation n’est pas totalement exacte : sur un téléphone tient la version anglaise du site (22 Go), sans les illustrations diverses. Tout compris, l’encyclopédie pèse près de 430 To, plus la bande passante qui permet de proposer à tous les internautes de bonnes conditions de navigation.
Quoi qu’il en soit, le perpétuel appel aux dons intrigue Elon Musk.
L’attaque est cependant lancée, et c’est à ce moment que naît l’expression « Dickipedia », qui deviendra « Wokipedia », en référence à l’idéologie woke que Wikipédia est soupçonnée de répandre. Cela vaudra au milliardaire d’être décrit par Wikipédia comme un « théoricien conspirationniste d’extrême-droite », une modification retirée en novembre 2023.
Depuis, Elon Musk interpelle régulièrement Jimmy Wales, qui dirige Wikipédia, sur X (ex-Twitter). Un réseau qui offre, depuis son rachat, la quasi-assurance de ne pas être censuré, et qui de plus est public. Qu’importe si Jimmy Wales ne répond pas, les interrogations d’Elon Musk sont publiques, et largement lues.
Les médias ont choisi leur camp
Si l’on ne suit pas Elon Musk sur X, on peut être informé de son combat contre Wikipédia par les médias classiques, où Elon Musk n’ est pas, c’est le moins que l’on puisse dire, en odeur de sainteté. Il est rappelé à longueur de lignes que Wikipédia est un site « participatif », « gratuit et communautaire » qui « fait tout pour œuvrer contre la désinformation de manière participative », tandis qu’Elon Musk est un « milliardaire » « aux propos souvent jugés réactionnaires » qui « a une nouvelle cible ». On voudrait écrire un remake de Robin des Bois que l’on ne s’y prendrait pas autrement.
Au reste, si Wikipédia était woke, les médias n’y verraient pas grand mal. Le terme désigne, selon Le Parisien, « un état d’alerte face à l’oppression pesant sur les personnes issues de minorités, qu’elles soient sexuelles, religieuses ou encore ethniques ». On voit mal comment les non‑wokes pourraient se regarder dans la glace après cette définition.
Ajoutons que les médias précisent que X est « souvent considéré par les États comme faisant de plus en plus le jeu du complotisme ». Il ne reste plus qu’à rappeler les sanctions de la Commission européenne, en évitant de se demander de quel côté politique elle penche. Car les Etats sont encore moins objectifs que les journalistes.
Wikipédia n’a pas besoin d’argent. La gauche, oui
D’après Samantha Lien, porte-parole de la fondation Wikimédia, dans Le Parisien, Wikipédia fonctionne uniquement grâce aux dons, ce qui rend son modèle financier précaire et instable. Le site dispose donc d’une réserve qui correspond à environ un an de fonctionnement. Circulez, Elon Musk, il n’y a rien à voir ? Oui, sauf que… En 2023, le tiers du budget concerne les frais de fonctionnement et de gestion et 9% va à la recherche de fonds et à la communication.
Le reste est plus intriguant : 21% à l’aide et au soutien de la communauté, 20% pour « sensibiliser et former aux projets Wikimédia », 12% pour « diversifier la participation aux projets Wikimédia » et enfin 9% pour « valoriser, défendre et promouvoir le mouvement Wikimédia en France ». Non seulement les postes de dépenses sont étranges, mais en plus ils sont en augmentation. Les dépenses sont passées de 10 millions de dollars en 2010 à 112 millions en 2020, alors que l’hébergement du site coûte de moins en moins cher – 2,4 millions en 2021. On se souvient à ce stade que, selon Larry Sanger, le glissement idéologique de Wikipédia date de 2009.
Conclusion : Wikipédia n’est pas David, mais Goliath
Elon Musk attaque Wikipédia, et celui qui attaque semble toujours moins fréquentable que celui qui se défend. Pourtant, on aurait tort de décerner la palme de l’opprimé trop vite. Wikipédia est très loin d’être seul : il a l’ensemble du monde médiatique derrière lui, sans oublier la galaxie d’organismes de gauche qui s’entraident en faisant circuler les dons, dans un système opaque qui trompe efficacement les donateurs.
Aujourd’hui, les organismes de la gauche libérale libertaire se multiplient et peuvent compter sur la générosité de ceux que leurs bons sentiments aveuglent, de ceux qui veulent s’acheter une conscience, et enfin de ceux qui comprennent parfaitement l’agenda de gauche et l’applaudissent chaleureusement.
À côté de cela, les associations de droite essaient de survivre sans être assimilées au diable et X (ex-Twitter) bataille contre la Commission européenne, qui regrette le temps où l’on pouvait censurer à loisir. Alors que Wikipédia tourne avec de nombreux contributeurs faussement neutres et véritablement militants de gauche, du moins en ce qui concerne les pages liées à l’actualité politique et culturelle, X permet à chacun de diffuser des informations à un large public. Si l’on rencontre fatalement certaines « fake news », le nouveau fonctionnement de X/Twitter permet aussi, grâce aux notes de la communauté, de rétablir les choses, ce qui ne plaît guère à certaines personnalités habituées à ce que leurs convictions pèsent plus lourd que les connaissances scientifiques. Il est peu probable que Wikipédia chute de son piédestal.
Il reste à espérer qu’il ne devienne pas, avec les médias mainstream, l’unique moyen d’information du Français moyen comme des autres Européens.