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BHL Souverain Pontife

20 septembre 2024

Temps de lecture : 8 minutes
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BHL Souverain Pontife

Temps de lecture : 8 minutes

Habemus Papam ! Vous n’avez pas vu la fumée blanche se perdre dans l’azur franco-allemand ? Certes, la mode est à déboulonner les statues, mais nous pourrions également en ériger. Arte, évitant un tel tapage, et en toute discrétion, a modifié ses statuts afin de pouvoir maintenir à sa tête Bernard-Henri Lévy. Ce dernier, entame ainsi son huitième mandat comme président du conseil de surveillance de la chaîne. Vous reprendrez bien un peu de Bernard-Henri Lévy ? Bernard-Henry Lévy, 75 ans, est président du conseil de surveillance d’Arte, depuis 31 ans soit dit en passant. En quoi ça vous concerne ? Cette chaîne ne doit, c’est vrai, son financement à l’argent public qu’à hauteur de 95%. Autant dire des broutilles…

Entropie spirituelle

Nous vivons une époque où tout s’évente vite, se dilue, se perd. Une époque d’en­tropie spir­ituelle, une époque « méta­physique­ment épuisée » aurait ajouté Spen­gler. À cela un remède est sim­ple. Les défail­lances, ver­sa­til­ités, turpi­tudes et doutes des hommes peu­vent trou­ver leur refuge et remède dans l’in­fail­li­bil­ité d’un homme, fût-il sou­verain pon­tife d’après la mort de Dieu, selon le mot de Niet­zsche. Vous pensez que j’ex­agère sans doute. Ce sim­ple fait vous fera réfléchir : mon­sieur Lévy a pré­ten­du que des stig­mates sont apparus sur son corps, les stig­mates du Christ tout bon­nement, à l’ex­em­ple de Padre Pio, qui doit être flat­té – de là où son âme nous sur­plombe — d’un lien con­frater­nel si sublime.

L’anec­dote a été con­fiée au micro de Christophe Bar­bi­er pour L’Ex­press le 8 févri­er 2010. Bar­bi­er qui sug­gère à Bernard-Hen­ri Lévy qu’un tel événe­ment doit chang­er un homme, le ren­dre mys­tique, croy­ant à tout le moins, s’en­tend rétor­quer pour toute réponse : « non ». Puis un développe­ment ver­beux, une log­or­rhée sur l’essence de l’homme qui réside non dans la chair, les mus­cles et autres pro­priétés sec­ondaires, mais dans le sig­nifi­ant. L’homme est fait de mots, et ces mains du philosophe qui saig­nent, ce sont des mots qui saig­nent. Au regard de ces révéla­tions, je suis ten­té de cor­riger : Habe­mus Chris­tum con­vient sans doute davan­tage que le trop mod­este Habe­mus Papam.

Voir aus­si : Arte, info­gra­phie

BHL « des lueurs plus qu’humaines », alchimiques ?

« Il y a de la chimie qui est passée par là » com­men­tait Arielle Dom­basle à pro­pos de son mari, plongeant dans ce regard habité, chargé de lueurs « plus qu’hu­maines » pour par­ler à la manière de Descartes. L’alchimie de Bernard-Hen­ry Lévy est mille fois plus intéres­sante. Son corps, son âme – il en a une ! -, son esprit – tortueux et lyrique – sont à class­er par­mi les mon­u­ments qui font hon­neur au pat­ri­moine français, sinon mon­di­al, lui-même appar­tenant sans fausse pudeur aux élites mon­di­al­isées, dila­tant son être dans toutes les direc­tions qu’indique la rose des vents. Bernard-Hen­ri Lévy se situe dans les inter­stices du monde. Indéchiffrable, insi­tu­able, il vogue quelque part entre Fran­cis Hus­ter et Louis Althuss­er, entre Michel Druck­er et Karl Pop­per, à qui nous devons, entre autres, la notion de « société ouverte ».

Un peu de Stefan Zweig

Il me fait, par­fois, penser à Walther Rathenau qui s’échi­nait à vouloir jeter un pont entre la mys­tique et les affaires, por­traituré par Ste­fan Zweig, dans Le monde d’hi­er dans des ter­mes qui pour­raient s’ap­pli­quer, avec les trans­po­si­tions néces­saires et sur cer­tains points seule­ment – que je vous laisse le soin d’i­den­ti­fi­er — à Bernard-Hen­ri Lévy :

« Toute son exis­tence n’é­tait qu’un seul con­flit de con­tra­dic­tions tou­jours nou­velles. Il avait hérité de son père toute la puis­sance imag­in­able, et cepen­dant il ne voulait pas être son héri­ti­er, il était com­merçant et voulait sen­tir en artiste, il pos­sé­dait des mil­lions et jouait avec des idées social­istes, il était très juif d’e­sprit et coque­tait avec le Christ. Il pen­sait en inter­na­tion­al­iste et divin­i­sait le prus­sian­isme, il rêvait une démoc­ra­tie pop­u­laire et il se sen­tait tou­jours très hon­oré d’être invité et inter­rogé par l’empereur Guil­laume, dont il péné­trait avec beau­coup de clair­voy­ance les faib­less­es et les van­ités, sans par­venir à se ren­dre maître de sa pro­pre vanité. »

« Une certaine idée de la France », mais vomissante

Comme de Gaulle – le rap­proche­ment est certes auda­cieux – Bernard-Hen­ri Lévy s’est fait une cer­taine idée de la France. Elle ne lui évoque pas, sans doute, « la madone aux fresques des murs » que la Prov­i­dence a créée pour « des suc­cès achevés ou des mal­heurs exem­plaires ». Le philosophe en a hor­reur et, l’ex­am­i­nant, elle le dégoûte, c’est pourquoi il s’en purge. Léon Bloy, reprenant un con­seil de Bar­bey d’Au­re­vil­ly : « Il faut se vom­ir » com­plé­tait par un char­mant « sur les autres ». Bernard-Hen­ri Lévy a la nausée instinc­tive, il sait sur quoi vom­ir comme un vir­tu­ose de l’im­pro­vi­sa­tion sait quelle note frapper :

« Je ne dirais pas, nous con­fie-t-il, que j’ai pris plaisir à cette descente aux abîmes de l’idéolo­gie française. J’ai eu peine, par­fois, à réprimer une nausée face à ce que j’y décou­vrais et aux vapeurs qu’il m’y fal­lait respirer. »

Idéologie française quand tu nous tiens…

Dans sa pré­face à la sec­onde édi­tion (jan­vi­er 1981) de L’idéolo­gie française, Bernard-Hen­ry Lévy expose son pro­jet, sa thèse :

« Le prob­lème, à la lim­ite, ce n’é­tait même pas l’an­tisémitisme comme tel ; ce n’é­tait pas l’énon­cé de la thèse et, pour ain­si dire, le pas­sage à l’acte ; c’é­tait, en amont de l’énon­cé, dans ce secret noc­turne des textes où se fomentent les actes de pen­sées, l’i­den­ti­fi­ca­tion d’une matrice, à la fois philosophique et lit­téraire, dont la plu­part des élé­ments se per­pétuent jusqu’au­jour­d’hui et qu’il suf­fit de syn­thé­tis­er pour qu’ap­pa­raisse, sinon le pire, du moins son site : culte des racines et dégoût de l’e­sprit cos­mopo­lite, haine des idées et des intel­lectuels dans les nuées, anti-améri­can­isme pri­maire et refus des « nations abstraites », nos­tal­gie de la « pureté per­due » ou de la « bonne com­mu­nauté » — telles étaient les pièces de la machiner­ie qui, lorsqu’elle tourne à plein régime et lorsqu’elle vient, aus­si, au con­tact de l’événe­ment, des­sine la forme française du délire, et l’accouche. »

Et de con­clure – prêtez atten­tion à cette impayable forfaiture-boursouflure ! :

« L’idéolo­gie française était un livre, non d’his­toire mais de philoso­phie. C’é­tait un livre qui, lorsqu’il dis­ait « pétain­isme », entendait une caté­gorie, non du temps, mais de la pensée. »

Filousophe or not filousophe ?

Je con­nais des mau­vais­es langues qui dénient à Bernard-Hen­ry Lévy la qual­ité de philosophe sous pré­texte qu’il n’a inven­té aucun con­cept de toute sa vie. Nous voyons ici à quel point ces cri­tiques se four­voient. C’est à lui qu’on doit l’élé­va­tion à la hau­teur d’une caté­gorie philosophique le con­cept de « pétain­isme » qui n’a plus besoin d’être référé à une réal­ité pré­cise. De quoi ras­sur­er notre cher député Del­ogu qui n’au­ra plus à se sen­tir ignare sur cette ques­tion. L’ig­no­rance his­torique est per­mise puisqu’il s’ag­it d’une caté­gorie de l’e­sprit, désor­mais applic­a­ble à tant de réal­ités divers­es et rétroac­tives qui plus est. Nous appren­drons qu’elle s’ap­plique même à Charles Péguy. Salir la mémoire et l’œuvre de Péguy, tué le 5 sep­tem­bre 1914, c’est-à-dire tout au début de la pre­mière guerre mon­di­ale, dans un livre qui traite du fas­cisme et du pétain­isme, donc de phénomènes bien postérieurs à sa mort héroïque sur le champ d’hon­neur, c’est un exer­ci­ce con­ceptuel qui exige une rare maîtrise de la logique et une absence d’in­hi­bi­tion morale presque complète.

Bernard-Hen­ri Lévy nous a ren­du cet immor­tel ser­vice de nous appren­dre à renier, voire haïr notre patrie, sans fard ni com­plexe. Met­tre une claque à sa grand-mère est devenu une activ­ité philosophique comme une autre, une prax­is salu­bre de défas­ci­sa­tion, de dénaz­i­fi­ca­tion. Pourquoi ne pas le récom­penser ? À défaut de déter­rer nos ancêtres pour les bal­ancer à la fos­se com­mune, nous pou­vons au moins mod­i­fi­er les statuts d’une chaîne. C’est même le min­i­mum. Lui élever une stat­ue sug­gérez-vous ? C’est à l’examen.

Confondre pour salir

Jacques Mar­i­tain dans Les degrés du savoir, s’employait à « dis­tinguer pour unir », Bernard-Hen­ri Lévy, plus aguer­ri, s’évertue à con­fon­dre pour salir. Voici com­ment il s’y prend, en évo­quant la fig­ure trou­ble de Mitterrand :

« Nous avons eu un prési­dent de la République qui a pu revendi­quer à la fois, et sans con­tra­dic­tion, son passé de pétain­iste et de résis­tant : je l’ig­no­rais à l’époque – mais quelle leçon ! Quelle improb­a­ble, mais implaca­ble, illus­tra­tion de ma thèse ! »

En somme, ce qu’il fal­lait démon­tr­er : résis­tants, col­la­bos, tous les mêmes, parce que tous salauds. Oh, n’allez pas croire que « salaud » est une insulte, c’est une caté­gorie philosophique, sar­tri­enne par sur­croît. Nous avons eu vent du fait que Bernard-Hen­ri Lévy détes­tait les slo­gans pop­ulistes du type « tous pour­ris » à des­ti­na­tion des élites, qu’elles soient poli­tiques, médi­a­tiques ou finan­cières. « Tous des salauds » à des­ti­na­tion du peu­ple français sem­ble le trou­bler beau­coup moins. Pour don­ner bonne mesure à cette œuvre de dia­boli­sa­tion qui fera des émules, le chapitre 2 s’in­ti­t­ule tran­quille­ment « La patrie du nation­al-social­isme ». Oui, vous ne rêvez pas, il par­le bien de la France. Mais quand on vous dit que ce n’est pas une étude his­torique mais une thèse philosophique, qui peut, par là-même s’au­toris­er toutes les dis­tor­sions, toutes les fan­taisies qui sont du goût de l’au­teur et qui peu­vent servir son pro­pos, fût-il absurde et insul­tant par-dessus le marché… Arte, plate­forme cul­turelle européenne, vous le voyez, a fait le bon choix…

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