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Polémique : Les hommes déconstruits

27 septembre 2024

Temps de lecture : 7 minutes
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Polémique : Les hommes déconstruits

Temps de lecture : 7 minutes

Les vautours idéologiques se repaissent des vapeurs du drame, attirés par la putréfaction morale. Les tragédies authentiques deviennent au gré de leur rapacité l’encens qui fait monter leurs prières. Il arrive que ces prières soient exaucées et que d’un ciel jusqu’alors inaccessible descende un nouveau décalogue. C’est ce qui est arrivé miraculeusement à l’occasion d’une tribune parue dans le journal Libération, qui prend prétexte d’une affaire sordide – le procès de Mazan en cours – pour publier une pétition d’ « hommes déconstruits » : feuille de route contre la domination masculine.

Les Nouvelles Tables de la Loi

En effet, Mor­gan N. Lucas, Moïse des temps post-mod­ernes, plénipo­ten­ti­aire divin, nous a apporté les tables de la loi du nou­v­el homme, l’ « homme décon­stru­it. » Mor­gan N. Lucas, à qui l’on doit ces dix com­man­de­ments est égale­ment l’au­teur d’un livre inti­t­ulé Ceci n’est pas un livre sur le genre aux édi­tions Les inso­lentes. Le nou­veau Moïse est dou­blé d’un nou­veau Mar­cel Duchamp, véri­ta­ble et mir­i­fique alliage d’ar­chaïsme et d’a­vant-garde. Une synthèse…

Stupidité vertueuse

L’iné­narrable rédac­teur de la péti­tion nous prévient : « Faisons tout ceci en silence, sans crier sur tous les toits, sans atten­dre des applaud­isse­ments ou des félic­i­ta­tions ». En silence, mais dans les colonnes de Libéra­tion tout de même ! Il est vrai qu’il ne sem­ble pas soucieux de logique et de pertinence.

Il com­mence par un aver­tisse­ment : «  Les femmes n’ont pas besoin de nous et encore moins en ce qui con­cerne la libéra­tion fémin­iste », pour finale­ment pub­li­er une péti­tion dont tous les sig­nataires sont des hommes… Il con­clut en ras­sur­ant les hommes dis­posés à se décon­stru­ire – quoi que veuille dire cette inep­tie — : « C’est un rôle qui devrait nous coûter, a min­i­ma, un peu de notre con­fort per­son­nel. » Quelle grotesque bouf­fon­ner­ie quand on songe au pre­mier des com­man­de­ments de cette « feuille de route » : « Arrê­tons de con­sid­ér­er que le corps des femmes est un corps à dis­po­si­tion. » S’il vous coûte « un peu de votre con­fort per­son­nel » de ne pas con­sid­ér­er les femmes comme des objets, c’est que vous êtes déjà bien enlisé dans la vilénie morale. Alors rédi­ger une feuille de route pour s’en abstenir en dit plus sur l’au­teur lui-même que sur « tous les hommes » !

Tout cela prête à rire, certes, mais n’ou­bliez pas que, comme le dit Karl Pop­per « la stu­pid­ité vertueuse fait incon­testable­ment plus de vic­times que la seule hostilité. »

Déconstruction, mon beau souci

La décon­struc­tion, passée des mains de Hei­deg­ger dans celles de Der­ri­da, puis – pas­sage de témoin inat­ten­du – dans celles de San­drine Rousseau est dev­enue ce for­mi­da­ble voca­ble abscons à force d’itéra­tions inex­pliquées, sésame qui ouvre toutes les portes et qui con­fère à celui qui s’en réclame une aura d’in­tel­lectuel en vogue, d’une grav­ité pom­pière, qui préserve de toute con­tes­ta­tion. En somme, le décon­struc­teur, le décon­stru­it, porte beau et en a con­science. Cette remar­que de Robert Musil selon laque­lle « si la bêtise ne ressem­blait pas à s’y mépren­dre au pro­grès, au tal­ent, à l’e­spoir ou au per­fec­tion­nement, per­son­ne ne voudrait être bête » reçoit une illus­tra­tion par­ti­c­ulière­ment frap­pante ici. C’est tout bon­nement le mot de passe de la cuistrerie con­tem­po­raine aux pro­priétés mag­iques. La quan­tité pléthorique de ses occur­rences a pour salaire et coro­laire l’ab­sence totale de clarté et d’in­tel­li­gi­bil­ité. C’est ain­si qu’on s’oc­troie à bon compte le pres­tige du vague et de l’indéter­miné « car, écrit Robert Musil, l’im­pré­ci­sion pos­sède un pou­voir d’a­gran­disse­ment et d’en­noblisse­ment. » Manœu­vre clas­sique de tout pres­tidig­i­ta­teur qui con­siste à impres­sion­ner le quidam avec des mots ron­flants pour mieux paral­yser son enten­de­ment, cette fac­ulté de dis­tinguer le vrai du faux dont on fait si peu de cas par les temps qui courent qui a élevé le non-sens au rang des Beaux-Arts.

Vertus magiques de la pétition

« La magie croit aux trans­for­ma­tions immé­di­ates par la ver­tu des for­mules, exacte­ment comme le social­isme » iro­ni­sait Gus­tave Flaubert et nous pou­vons croire que les sig­nataires ne croient pas moins aux ver­tus mag­iques d’une péti­tion. Nul doute qu’un vio­leur mul­ti­ré­cidi­viste reçoive un choc à cette lec­ture et qu’il s’en­gage sur le chemin de Damas d’une con­ver­sion à la décon­struc­tion. Par la ver­tu d’une péti­tion, je me suis sen­ti, moi-même, emporté vers une dialec­tique de la total­ité, vestibule d’une prise de con­science mystique.

Tous les hommes étaient déclarés coupables ou com­plices, peu ou prou, d’un sys­tème de dom­i­na­tion mas­cu­line qui com­mence avec le mansplain­ing pour débouch­er sur le viol dans une par­faite solu­tion de con­ti­nu­ité. Pourquoi devrais-je me sen­tir sol­idaire de salopards de la pire espèce me direz-vous ? C’est qu’il y a la bonne et la mau­vaise récupéra­tion comme il y a le bon et le mau­vais amal­game. On dirait pour un peu que l’in­jonc­tion fameuse « pas d’a­mal­game » s’est éven­tée au con­tact d’un vent fort et houleux : le wok­isme. Et c’est bien du vent, pas de doute là-dessus. La tri­bune est claire sur ce point, nous sommes tous coupables : « Dire « tous les hommes », c’est par­ler de vio­lences sys­témiques per­pétrées par tous les hommes, parce que tous les hommes, sans excep­tion, béné­fi­cient d’un sys­tème qui domine les femmes. Et puisque nous sommes tous le prob­lème, nous pou­vons tous faire par­tie de la solu­tion. » De quoi rap­pel­er le psaume du roi David : « Il n’y pas un seul homme qui soit juste »… C’est l’or­di­naire injonc­tion à la péni­tence comme geste rit­uel de cette nou­velle reli­gion sor­tie des cam­pus améri­cains – le wok­isme –, il est vrai large­ment inspirée par la trop fameuse pour notre pres­tige nation­al French The­o­ry ( Der­ri­da, Lacan, Fou­cault, etc…).

Sophisme et sursophisme

Il est vrai que cette entité mas­sive « sys­tème » en impose et nous sort de bien des embar­ras, ain­si que de sophismes pour­tant claire­ment iden­ti­fi­ables. De ce que tous les vio­leurs sont des hommes – affir­ma­tion fausse en soi mais admet­tons-le pour suiv­re ce type de raison­nement – il ne s’en­suit pas que tous les hommes sont des vio­leurs, même en puis­sance. Sophisme bien con­nu, faute logique évi­dente : il n’y a pas de con­ver­sion sim­ple d’une affir­ma­tive uni­verselle. C’est de la logique élé­men­taire mais qui s’en soucie encore puisque la logique est un out­il de dom­i­na­tion du sys­tème patri­ar­cal ? « Rap­pelez-vous tout sim­ple­ment, écrit Paul Valéry dans Mon­sieur Teste, qu’en­tre les hommes il n’ex­iste que deux rela­tions :  la logique ou la guerre. Deman­dez tou­jours des preuves, la preuve est la politesse élé­men­taire qu’on se doit. Si l’on refuse, sou­venez-vous que vous êtes attaqués, et qu’on va vous faire obéir par tous les moyens. Vous serez pris par la douceur ou par le charme de n’im­porte quoi, vous serez pas­sion­nés par la pas­sion d’un autre. »

Libérafion ?

Hier pro­mo­teur de l’éveil à la sex­u­al­ité de l’en­fant (pédophilie pour être clair) – péri­ode libéra­tion sex­uelle – aujour­d’hui con­temp­teur du patri­ar­cat – faut-il ajouter blanc pour être com­plet ? — nous pou­vons compter sur Libéra­tion pour nous ren­seign­er sur l’idéolo­gie qui a le vent en poupe. Si demain, ce qu’à Dieu ne plaise, vous trou­vez dans ses colonnes des recettes à base de viande humaine – le patron sera-t-il plus savoureux que le salarié, le décon­stru­it que le con­stru­it ? — c’est que la mode du can­ni­bal­isme a fini par percer. Entre-temps, vous aurez droit à quelques con­seils pra­tiques pour exé­cuter un impec­ca­ble anulin­gus. Tou­jours à la pointe ! De quoi met­tre au chô­mage le compte par­o­dique Libérafion… La satire n’a plus d’emploi quand les médias sont devenus une gigan­tesque farce.