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Coup de projecteur sur la restitution officielle des États généraux de l’information 2024. Cinquième partie

6 octobre 2024

Temps de lecture : 18 minutes
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Coup de projecteur sur la restitution officielle des États généraux de l’information 2024. Cinquième partie

Temps de lecture : 18 minutes

Coup de projecteur sur la restitution officielle des États généraux de l’information 2024. Cinquième partie : « Souveraineté et lutte contre les ingérences étrangères ».

Ce cinquième article propose une analyse synthétique du rapport établi sur le thème « Souveraineté et lutte contre les ingérences étrangères » par le groupe de travail présidé par Arancha Gonzalez, doyenne de l’École des Affaires internationales de Sciences Po Paris.

Un constat alarmiste qui souligne l’existence d’une situation d’urgence

Après avoir pré­cisé les notions en jeu (sou­veraineté et ingérence) et délim­ité le périmètre de ses inves­ti­ga­tions, le groupe de tra­vail a établi un con­stat faisant appa­raître les dif­férences de nature des men­aces comme des moti­va­tions qui sin­gu­larisent les actions d’ingérence et de manip­u­la­tion de l’information du XXIe siè­cle en regard de celles qui ont tou­jours existé au cours de l’histoire ; et ce en prenant notam­ment appui sur d’autres études menées soit au niveau nation­al (notam­ment dans le cadre de la com­mis­sion Bron­ner dont les recom­man­da­tions ont en par­tie inspiré le groupe de tra­vail), soit au niveau inter­na­tion­al dans le cadre notam­ment de l’OCDE et de l’Union européenne, soit dans le cadre d’instances mil­i­taires et de sécu­rité, s’agissant des men­aces de ce type sus­cep­ti­bles de porter atteinte à la sécu­rité nationale, dans un con­texte de crispa­tion des rela­tions inter­na­tionales et de mul­ti­pli­ca­tions des con­flits armés de nature hybride, et dans celui résul­tant des évo­lu­tions tech­nologiques — et notam­ment celles liées aux poten­tial­ités offertes par l’intelligence arti­fi­cielle, généra­tive ou pas, dont on ne maîtrise pas encore toutes les impli­ca­tions pra­tiques ou ontologiques, qui les ren­dent encore plus prég­nantes et beau­coup plus com­plex­es à juguler.

Menaces protéiformes

Les men­aces sont pro­téi­formes et recou­vrent plusieurs réal­ités : les attaques cyber visant à pirater des don­nées et les utilis­er par­fois dans un but de manip­u­la­tion des opin­ions ; le phénomène de pré-posi­tion­nement dans des sys­tèmes infor­ma­tiques cri­tiques afin d’espionner les proces­sus de prise de déci­sion des acteurs publics ou privés par­ti­c­ulière­ment impor­tants (affaire Pega­sus, par exem­ple) ; les actions des agents d’influence inter­venant dans le secteur du lob­by­ing et ceux par­tic­i­pant aux cam­pagnes de désta­bil­i­sa­tion en ligne visant à décrédi­bilis­er des can­di­dats lors d’élections, à ébran­ler des insti­tu­tions ou à vider de leur sens des principes répub­li­cains. Ces actions com­bi­nent ain­si des modes opéra­toires en ligne et hors ligne, directs et indi­rects, licites et illicites, trans­par­ents et opaques pour dif­fuser des con­tenus plus ou moins fab­riqués, plus ou moins ampli­fiés arti­fi­cielle­ment et plus ou moins préjudiciables.

Une méthodologie parfois douteuse

Pour traiter de cette plu­ral­ité de men­aces, la ques­tion de la méthodolo­gie s’est posée d’emblée, car il existe un con­tin­u­um en la matière, ce qui rend l’analyse comme le juste équili­bre à trou­ver entre des objec­tifs antag­o­niques plus complexes.

Si la France s’est saisie de cette ques­tion de manière volon­tariste à la fois par la loi[i] et en se dotant d’un sys­tème organique et insti­tu­tion­nel com­plexe (SGDSN, ANSSI, Vig­inum, Com­man­de­ment de la cyberdéfense, etc.), mais qui a le mérite de cou­vrir l’ensemble du spec­tre de la men­ace (préven­tion, antic­i­pa­tion, détec­tion, remé­di­a­tion), son arse­nal présente néan­moins des lacunes qui nuisent à l’efficacité de l’action. L’Union européenne s’affirmant désor­mais comme pio­nnière dans la régu­la­tion de la tech­nolo­gie, ain­si que face aux ingérences dans l’espace infor­ma­tion­nel (Dig­i­tal Ser­vices Act, Dig­i­tal Mar­ket Act, Data Gov­er­nance Act, Data Act, AI Act, etc.), il ressort que c’est à cette échelle que les règles de pro­tec­tion et de régu­la­tion trou­vent le mieux à s’appliquer dans un con­texte où les grandes plate­formes non européennes se mon­trent réti­centes à se soumet­tre à des lég­is­la­tions nationales, alors même que les États-Unis ont renon­cé à exercer un lead­er­ship en matière de trans­parence et de report­ing de leur part.

Onze recommandations opérationnelles qui requièrent une mise en œuvre rapide

Face à cet état d’urgence infor­ma­tion­nelle, plusieurs prob­lé­ma­tiques liées entre elles et s’articulant sur 10 ensem­bles de ques­tion­nements ont été traitées par ce groupe de travail.

Cher­chant à apporter des répons­es prag­ma­tiques aux ques­tions précé­dentes, il les a présen­tées selon 4 axes : résilience des citoyens envis­agée comme investisse­ment pour l’avenir (pre­mière propo­si­tion), respon­s­abil­ités des plate­formes et d’autres acteurs économiques (propo­si­tions 2 à 4), intégrité des médias (propo­si­tion 5 à 7), vig­i­lance des États (propo­si­tions 8 à 11).

Propo­si­tion 1 : Entre­pren­dre un pre-bunk­ing [ii] à grande échelle en plaçant Vig­inum au cœur d’un réseau d’actions de sensibilisation

Propo­si­tion 2 : Pré­cis­er la portée de la lég­is­la­tion com­mu­nau­taire (élab­o­ra­tion de lignes direc­tri­ces et déf­i­ni­tions qui pré­cisent la portée de la lég­is­la­tion com­mu­nau­taire ; for­muler des mesures rel­a­tives à la mise en œuvre des sanc­tions et respon­s­abil­i­sa­tions civiles prévues par l’IA Act, et pren­dre l’initiative d’en for­muler par antic­i­pa­tion à l’égard des dis­po­si­tions préven­tives et coerci­tives rel­e­vant du DSA et du DMA)

Propo­si­tion 3 : Ren­forcer la respon­s­abil­ité des acteurs qui con­tribuent à la dif­fu­sion de fauss­es informations 

Si plusieurs régimes de respon­s­abil­ité des acteurs de la dif­fu­sion des fauss­es infor­ma­tions ont été mis en place aux échelles nationale et européenne, ceux-ci restent toute­fois incom­plets. La recom­man­da­tion ne doit en aucun cas avoir pour effet de restrein­dre la lib­erté d’expression telle que pro­tégée par l’article 10 de la Con­ven­tion européenne de sauve­g­arde des droits de l’homme et des lib­ertés fon­da­men­tales. La dif­fu­sion d’informations qui peu­vent être par­tielle­ment ou totale­ment fauss­es ne con­stitue pas en soi une vio­la­tion, et seuls cer­tains dis­cours relèvent d’actes répréhen­si­bles. Deux types de leviers sont mobil­is­ables pour ren­forcer la respon­s­abil­ité des con­tribu­teurs à la dif­fu­sion de fauss­es infor­ma­tions dans le respect de la lib­erté d’expression : le pre­mier con­siste à éten­dre le régime pénal y afférant en vigueur en le com­plé­tant par un régime de respon­s­abil­ité civile plus large et plus facile­ment mobil­is­able par le juge civ­il, plus enclin que le juge pénal à se recon­naître com­pé­tent à l’égard d’un con­tenu illicite pub­lié en ligne à l’étranger ; le sec­ond, qui se situe au niveau européen, con­siste à ren­forcer le régime de respon­s­abil­ité et de sanc­tions (admin­is­tra­tives, civiles, pénales) des entre­pris­es pour vio­la­tion des droits humains, par­mi lesquels ceux directe­ment mobil­isés dans le cadre de la manip­u­la­tion de l’information et des ingérences étrangères, dans la lignée des Principes directeurs des Nations Unies relat­ifs aux entre­pris­es et aux droits de l’homme, des dis­cus­sions inter­na­tionales en cours, d’une part, sur le pro­jet d’instrument con­traig­nant sur les entre­pris­es et les droits humains et, d’autre part, sur le Glob­al Dig­i­tal Com­pact.

Propo­si­tion 4 : Pro­mou­voir l’investissement pub­lic­i­taire respon­s­able des entreprises

Propo­si­tion 5 : Impos­er la trans­parence des cap­i­taux pour les édi­teurs de contenus

Nb : S’ils dis­posent de cap­i­taux étrangers ou sont appelés à en dis­pos­er, le nou­veau cadre juridique nation­al relatif au con­trôle des investisse­ments étrangers dans les secteurs sen­si­bles offre d’ores et déjà des instru­ments appro­priés. Toute éventuelle évo­lu­tion sur ce reg­istre sera soumis à l’obligation de sat­is­faire aux principes énon­cés dans le cadre juridique européen cor­re­spon­dant (absence de dis­crim­i­na­tion, prévis­i­bil­ité et trans­parence de leur poli­tique, pos­si­bil­ité d’un recours juri­dic­tion­nel pour l’investisseur).

Propo­si­tion 6 : Con­train­dre chaque média à établir et respecter une charte déon­tologique et encour­ager une démarche volon­taire de label­li­sa­tion, afin notam­ment de lim­iter les pos­si­bles ingérences étrangères

Propo­si­tion 7 : Encour­ager la struc­tura­tion de la com­mu­nauté OSIN­Teurs[iii] à l’échelle nationale et européenne, dans un cadre éthique et déon­tologique clair, et favoris­er ses inter­ac­tions avec la com­mu­nauté académique

Propo­si­tion 8 : Créer une stratégie nationale de lutte con­tre les manip­u­la­tions de l’information

Propo­si­tion 9 : Parfaire/compléter en France et dans l’ensemble de l’UE les règles de trans­parence por­tant sur les représen­tants d’intérêts agis­sant pour le compte d’un man­dant étranger

Nb : La loi visant à sécuris­er et réguler l’espace numérique[iv] étant entrée en vigueur à la fin des travaux de ce groupe de tra­vail, il s’agit d’étendre ses règles à l’échelle européenne.

Propo­si­tion 10 : Créer un groupe de tra­vail pour la créa­tion de normes min­i­males com­munes applic­a­bles par toutes les plate­formes au sein de l’OCDE

Propo­si­tion 11 : Con­solid­er les modes d’actions de l’Union européenne et créer un Vig­inum européen.

Que peut-on en retenir ?

Points posi­tifs

Tout d’abord, en rai­son des ter­mes du man­dat assigné à ce thème mais égale­ment des com­pé­tences et exper­tis­es mobil­isées, ce groupe de tra­vail a bien pris la mesure de ce qui pou­vait être entre­pris au niveau nation­al et de ce qui devait l’être à l’échelle de l’UE, à celle de l’OCDE ou encore au niveau international.

Le rap­port du comité de pilotage, qui con­sacre à ce thème ses pages 218 à 242, reprend la plu­part des recom­man­da­tions opéra­tionnelles for­mulées par ce groupe de tra­vail, cer­taines d’entre elles étant égale­ment for­mulées par d’autres groupes de tra­vail. Leur mise en œuvre sem­ble pou­voir être amor­cée sans délai, à l’exception sans doute de celles néces­si­tant des déci­sions gou­verne­men­tales de type organique ou en vue de l’établissement de dis­po­si­tions lég­isla­tives nationales ou européennes nou­velles (au regard des dis­po­si­tions con­tenues dans la réso­lu­tion du Par­lement européen appelant à la mise en place d’une stratégie pour lut­ter con­tre les ingérences étrangères au niveau de l’UE).

Points qui auraient pu être facile­ment améliorés

Les développe­ments entre­pris lors des travaux de ce groupe auraient gag­né en clarté si les réflex­ions et recom­man­da­tions for­mulées lors des travaux entre­pris sur le thème « l’État et la régu­la­tion » — objet de la 6ème par­tie du dossier que con­sacre l’OJIM à ces EGI — qui clar­i­fient de manière remar­quable les déf­i­ni­tions à retenir pour les dif­férentes notions-clés mobil­isées lors de ces États généraux de l’information avaient été entre­pris­es en amont des travaux relat­ifs aux dif­férents thèmes, de manière à per­me­t­tre à leurs mem­bres et aux experts con­sultés de dis­pos­er d’un cadre méthodologique com­mun et d’un socle séman­tique partagé. En effet, les dif­férentes natures d’information, de médias et de plate­formes auraient cer­taine­ment néces­sité des traite­ments dif­féren­ciés qui auraient pu avoir des impacts sur les pré­con­i­sa­tions formulées.

Prob­a­ble­ment en rai­son d’un cadrage insuff­isam­ment étayé des man­dats définis­sant les champs d’investigation attachés respec­tive­ment aux dif­férents thèmes, ce groupe de tra­vail a exploré des ques­tions qui n’avaient que peu d’intérêt en regard des véri­ta­bles enjeux pro­pres à ce thème, et qui, par ailleurs, ont été exam­inées plus en pro­fondeur par d’autres groupes (notam­ment le point relatif aux investisse­ments pub­lic­i­taires – propo­si­tion 4).

Points négat­ifs qui appel­lent d’autres investigations

Les travaux menés autour de ces thé­ma­tiques sont loin d’avoir épuisé les prob­lé­ma­tiques soulevées par les enjeux de sou­veraineté et de manip­u­la­tion de l’information par le biais d’ingérences étrangères. Ils ont été entre­pris selon une philoso­phie qui occulte de manière trop sys­té­ma­tique les risques et men­aces que l’intensification et la den­si­fi­ca­tion des mesures de régu­la­tion et de pilotage par le haut font peser sur le fonc­tion­nement de la société et ses insti­tu­tions démoc­ra­tiques comme sur celui de la vie poli­tique et des rela­tions internationales.

Car la focal­i­sa­tion con­jonc­turelle sur le phénomène d’ingérence étrangère, comme les appels à un dur­cisse­ment des régimes de sanc­tions qui y sont attachés (cf. ici les propo­si­tions 2 et 4), traduisent en réal­ité une cer­taine ten­ta­tion — illibéral — chez cer­tains dirigeants de nos démoc­ra­ties en crise de recourir à ces instru­ments coerci­tifs dédiés au con­trôle de l’information pour réduire dras­tique­ment les champs des pos­si­bles en ter­mes d’alternatives poli­tiques (à l’intérieur) et géopoli­tiques (en rela­tion avec l’extérieur).

Par­mi les fac­teurs qui con­courent à la fois à une cer­taine fatigue démoc­ra­tique fig­urent indu­bitable­ment les con­fu­sions fréquentes entre ingérence et influ­ence qui nour­ris­sent un cli­mat de sus­pi­cion général­isée quant à l’existence d’une volon­té poli­tique de con­trôle et d’ingénierie soci­aux préju­di­cia­ble au développe­ment d’une pen­sée cri­tique libre, source d’opinions var­iées et de res­pi­ra­tion intel­lectuelle, autant qu’à la sérénité des débats publics comme des déci­sions politiques.

Une citadelle informationnelle sous contrôle ?

Les ini­tia­tives européennes comme les ini­tia­tives nationales don­nent trop sou­vent l’impression de chercher à isol­er la société dans une citadelle infor­ma­tion­nelle sous con­trôle, et soucieuse de s’assurer le mono­pole exclusif de la qual­i­fi­ca­tion d’ « infor­ma­tion de qual­ité » mise au ser­vice d’un « prêt-à-penser » unique, alors même que par nature, le cybere­space infor­ma­tion­nel rend non seule­ment pos­si­ble mais plus aisé l’accès à des sources d’information étrangères échap­pant à ces régu­la­tions et con­trôles (ce que juste­ment l’OSINT per­met), et donc plus dif­fi­cile le suc­cès des opéra­tions de manip­u­la­tion (et de pro­pa­gande) endogènes, et alors que les espaces poli­tiques nationaux favorisent — en toute légal­ité — les opéra­tions de manip­u­la­tion et de dés­in­for­ma­tion lors des cam­pagnes élec­torales, notam­ment, don­nant lieu alors à des mis­es en accu­sa­tion de pop­ulisme ou de complotisme ….

Pour­tant, les mem­bres du groupe de tra­vail ont pré­cisé dans leur intro­duc­tion que : « la réal­ité de la dés­in­for­ma­tion n’est pas facile, ni à saisir, ni à établir de manière irréfutable, ni à cir­con­scrire. Les solu­tions sont d’autant plus com­plex­es à met­tre en œuvre que les fron­tières devi­en­nent floues et les con­cepts par­fois mou­vants : entre la recherche de la vérité et la présence de « nar­rat­ifs », ce qui provient de désta­bil­i­sa­tions internes et ce qui relève d’une ingérence étrangère, entre ce qui est légal et ce qui est préju­di­cia­ble, entre ce qui incombe à l’action publique et ce qui relève des acteurs privés, entre les principes démoc­ra­tiques et le souhait d’apporter des répons­es fortes à cer­tains défis, il y a sou­vent des nuances, des dif­férences d’appréciation. » Dont acte.

Entrave à libre circulation des opinions

Il est sur­prenant qu’une société qui se pré­tend ouverte, libérale, et soucieuse de porter des valeurs et des principes uni­versels, cherche à entraver la libre cir­cu­la­tion des idées et des opin­ions alors même que son améri­can­i­sa­tion ne lui pose aucun prob­lème, que le wok­isme, la can­cel cul­ture et toutes ces idéolo­gies importées d’outre-atlantique ont envahi ses espaces démoc­ra­tiques et ses cen­tres de pou­voir, et alors que l’État n’hésite pas à pren­dre appui sur des tiers non européens dont l’intégrité et l’indépendance inter­ro­gent pour com­mu­ni­quer, pré­conis­er des straté­gies, réformer son admin­is­tra­tion, décider de mesures d’exception (comme lors de la crise pandémique).

Les principes répub­li­cains, comme les insti­tu­tions, sont le pro­duit d’un con­trat social qui n’est immuable ni par principe ni par nature. La crise de régime que tra­verse la France sus­cite des inter­ro­ga­tions à son égard, et cer­tains objec­tifs de valeur con­sti­tu­tion­nelle peu­vent être amenés, comme la Con­sti­tu­tion elle-même, à être revis­ités si les cir­con­stances le commandaient.

Ce groupe de tra­vail, comme le comité de pilotage et les autres groupes de tra­vail, n’ont pas souhaité envis­ager ces élé­ments d’analyse lors de leurs inves­ti­ga­tions. L’origine prési­den­tielle de ces États généraux comme la forte représen­ta­tion de mem­bres de la haute admin­is­tra­tion de l’État au sein des groupes de tra­vail (notam­ment les rédac­teurs des dif­férents travaux) ne sont prob­a­ble­ment pas étrangères à cette situation.

L’offre alternative aux médias traditionnels occultée

Ici encore, l’occultation, lors des travaux menés par ce groupe de tra­vail, d’une offre médi­a­tique alter­na­tive aux médias tra­di­tion­nels n’a pas per­mis d’apporter des répons­es aux enjeux de sou­veraineté, d’influence et d’ingérence attachés à leur foi­son­nement et à la crois­sance de leurs audi­ences, dans un con­texte évo­lu­tif qui voient les grands médias tra­di­tion­nels pro­pos­er peu ou prou un jour­nal­isme d’opinion qui se nour­rit abon­dam­ment d’influences venues d’ailleurs.

Bien que la plus élé­men­taire des pré­cau­tions aurait été bien évidem­ment recom­mandée pour éviter de tomber dans des con­sid­éra­tions inap­pro­priées, les travaux entre­pris ici auraient dû être com­plétés par un exa­m­en appro­fon­di des ques­tion­nements que soulève en ter­mes d’ingérence et/ou d’influence dans un con­texte de guerre infor­ma­tion­nelle imputable à la sit­u­a­tion inter­na­tionale, puisqu’elles sont présen­tées comme des men­aces exis­ten­tielles pour nos démoc­ra­ties, le recours par les entre­pris­es pro­duc­tri­ces ou dif­fuseuses de con­tenus infor­ma­tion­nels à des per­son­nal­ités publiques, des jour­nal­istes ou des con­sul­tants nationaux, bina­tionaux ou étrangers appar­tenant à des dias­po­ras, à des cer­cles d’amitiés ayant entretenu ou entre­tenant encore des rela­tions étroites avec des instances d’influence d’États étrangers non européens (comme par exem­ple, les ser­vices de ren­seigne­ment mil­i­taire étrangers, les cen­tres com­mu­nau­taires ou les cer­cles d’amitiés fran­co-russe, fran­co-chi­nois, fran­co-ukrainien, fran­co-pales­tinien, fran­co-israélien, etc., les think tanks et fon­da­tions poli­tiques étrangers ou encore les pro­grammes Young Lead­ers du forum économique mon­di­al ou de la Fon­da­tion fran­co-améri­caine …), sauf à leur faire béné­fici­er par principe d’une pré­somp­tion d’innocence, ou d’y trou­ver – à rai­son sans doute — des res­pi­ra­tions intel­lectuelles salu­taires. Com­ment dès lors les citoyens peu­vent-ils avoir con­fi­ance dans l’information qui leur est pro­posée, en con­tinu ou non, par les médias tra­di­tion­nels, comme dans les fack-chek­ings ?

Des éléments qui interrogent

Or, en France comme en Europe, cette sit­u­a­tion ne revêt aucun car­ac­tère excep­tion­nel. Le prési­dent de la République, plusieurs anciens Pre­miers min­istres, de nom­breux min­istres, par­lemen­taires et hauts fonc­tion­naires n’ont-ils pas été ou ne sont-ils pas encore liés, d’une manière ou d’une autre, à ces instances dont les man­dats et statuts com­por­tent offi­cielle­ment des élé­ments qui inter­ro­gent si l’on con­sid­ère que, par principe, l’influence comme l’ingérence con­stitue des men­aces pour notre démocratie.

De nou­velles inves­ti­ga­tions à cet égard débouchant sur des recom­man­da­tions appro­priées respectueuses des lib­ertés et des droits les plus fon­da­men­taux et des con­ven­tions inter­na­tionales en vigueur, sont donc indis­pens­ables si tant est que l’État français ait l’ambition de pren­dre des ini­tia­tives diplo­ma­tiques fortes pour faire ray­on­ner son mod­èle, dans le cadre de sa Stratégie d’influence par le droit présen­tée en mars 2023, et inspir­er au sein des enceintes inter­na­tionales et d’autres pays des démarch­es visant à l’élaboration d’un droit numérique inter­na­tion­al qui pour­rait être con­traig­nant et pas unique­ment déclara­toire, afin que le citoyen éclairé et infor­mé soit au cœur d’un mécan­isme de droits et garanties applic­a­ble de manière universelle.

Annexes

[i] La loi du 25 juil­let 2024 visant à prévenir les ingérences étrangères en France pro­pose, out­re la requal­i­fi­ca­tion des natures de men­aces en jeu, une déf­i­ni­tion de l’acte d’ingérence ain­si que le détail des peines encou­rues par les per­son­nes morales ou physiques con­trevenant aux dis­po­si­tions légales en vigueur.

Acte d’ingérence” : agisse­ment com­mis directe­ment ou indi­recte­ment à la demande ou pour le compte d’une puis­sance étrangère et ayant pour objet ou pour effet, par tout moyen, y com­pris par la com­mu­ni­ca­tion d’informations fauss­es ou inex­actes, de porter atteinte aux intérêts fon­da­men­taux de la Nation, au fonc­tion­nement ou à l’intégrité de ses infra­struc­tures essen­tielles ou au fonc­tion­nement réguli­er de ses insti­tu­tions démocratiques.

Cf. la  Loi n° 2024–850 du 25 juil­let 2024 visant à prévenir les ingérences étrangères en France

Les « intérêts fon­da­men­taux de la Nation », qui pour­ront légitimer notam­ment une atteinte au secret des sources des jour­nal­istes, sont par­ti­c­ulière­ment larges et bal­aient un champ qui va de la défense nationale à l’en­vi­ron­nement. Ils sont défi­nis par l’ar­ti­cle 410–1 du code pénal : « Les intérêts fon­da­men­taux de la nation s’en­ten­dent au sens du présent titre de son indépen­dance, de l’in­tégrité de son ter­ri­toire, de sa sécu­rité, de la forme répub­li­caine de ses insti­tu­tions, des moyens de sa défense et de sa diplo­matie, de la sauve­g­arde de sa pop­u­la­tion en France et à l’é­tranger, de l’équili­bre de son milieu naturel et de son envi­ron­nement, et des élé­ments essen­tiels de son poten­tiel sci­en­tifique et économique, et de son pat­ri­moine culturel. »

Par ailleurs le code pénal con­tient des dis­po­si­tions spé­ci­fiques pou­vant être égale­ment con­vo­quées. Cf. Code pénal : Livre IV : Des crimes et dél­its con­tre la nation, l’É­tat et la paix publique … (Arti­cles 410–1 à 450–5)

[ii] Le pre-bunk­ing (réfu­ta­tion par antic­i­pa­tion) est une tech­nique préven­tive de lutte con­tre la manip­u­la­tion de l’information con­sis­tant à créer des « anti­corps men­taux » en aidant le pub­lic à iden­ti­fi­er et à réfuter par antic­i­pa­tion des réc­its faux et trompeurs de sorte d’« immu­nis­er » la société con­tre les effets de cam­pagnes de dés­in­for­ma­tion. À la dif­férence du debunk­ing, le pre-bunk­ing ne repose pas sur l’énonciation de ce qui est vrai ou faux, mais sur l’exposition préven­tive aux prin­ci­pales tech­niques de manip­u­la­tion aux­quelles le pub­lic peut être exposé. Par­mi ces strat­a­gèmes mis en œuvre pour éla­bor­er et propager des con­tenus trompeurs, on peut citer le recours aux émo­tions, l’usurpation d’identité, le trolling, la décon­tex­tu­al­i­sa­tion, con­sis­tant à sor­tir une infor­ma­tion de son con­texte pour créer un réc­it trompeur, la tech­nique du bouc émis­saire, con­sis­tant à ren­dre des groupes ou des indi­vidus respon­s­ables de prob­lèmes socié­taux, l’alarmisme, con­sis­tant à exagér­er ou provo­quer la peur sur un sujet par­ti­c­uli­er, la polar­i­sa­tion, con­sis­tant à exac­er­ber les divi­sions en ampli­fi­ant les dif­férences et les points de vue extrêmes au sein des groupes, ou la tech­nique du dis­crédit. Les dis­posi­tifs de pre-bunk­ing pren­nent la forme de cam­pagnes d’information ou de jeux sérieux, à l’image de ceux conçus par l’équipe du psy­cho­logue social Sander van Der Lin­den pour le compte de l’OMS, du Gou­verne­ment bri­tan­nique ou du Départe­ment d’État des États-Unis (goviralgame.com ; hgetbadnews.com ; harmonysquare.game).

[iii] Cf. Qu’est-ce que l’OSINT ?

[iv] La loi du 21 mai 2024 visant à sécuris­er et réguler l’espace numérique apporte de nom­breux amé­nage­ments aux man­dats et com­pé­tences des dif­férentes instances dont s’est doté l’État en France pour hon­or­er ses engage­ments européens et ses oblig­a­tions légales.

Cf. la LOI n° 2024–449 du 21 mai 2024 visant à sécuris­er et à réguler l’e­space numérique

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