Coup de projecteur sur la restitution officielle des États généraux de l’information 2024. Sixième partie : les propositions et recommandations du groupe de travail « État et régulation ».
Cet article propose un coup de projecteur sur ce qui ressort du rapport rédigé à l’issue de cet exercice par le groupe de travail « État et régulation », présidé par Isabelle Falque-Pierrotin, présidente de l’Autorité nationale des jeux (ANJ).
Des constats lucides
La diversité des auditions menées par le groupe de travail, les contributions des journées citoyennes organisées au CESE, et la réflexion de ses membres l’ont conduit à poser plusieurs séries de constats :
→ L’obsolescence de la régulation sectorielle actuelle des opérations de concentrations dans le secteur des médias, fondée sur une approche par seuils limitée aux seuls médias traditionnels ;
→ La défiance des citoyens vis-à-vis de l’information, dont la qualité et l’honnêteté sont souvent questionnées en dépit des garanties existantes ;
→ L’hétérogénéité des mécanismes garantissant la déontologie et l’indépendance des journalistes ; → Les asymétries réglementaires entre les médias traditionnels d’information, les nouveaux médias d’information, et les plateformes qui hébergent l’ensemble de ces médias, dans un contexte européen qui encadre et contraint la régulation nationale ;
→ La fragilité financière du secteur économique des médias d’information, confrontés à une forte pression concurrentielle des plateformes, notamment sur leurs recettes publicitaires.
Des définitions clarifiées
Un travail de définition préalable est apparu nécessaire pour identifier précisément les catégories d’acteurs concernées par les différentes dispositions d’une régulation rénovée, et en conséquence par les recommandations formulées par le groupe. Aussi le groupe de travail s’est-il attaché à définir les notions suivantes, au regard des enjeux qu’il a identifiés pour chaque catégorie d’acteurs, afin d’ajuster au mieux le contenu régulatoire à leurs caractéristiques :
- Information : un nombre croissant d’acteurs se revendiquant comme « producteurs d’information » ou « médias d’information » (nouveaux ou traditionnels), il est proposé de retenir une définition de l’information permettant d’englober un contenu large et de lier ce contenu à son mode de production afin d’établir le périmètre des obligations s’appliquant à ces acteurs.
- Médias traditionnels d’information : ces médias constituant le périmètre essentiel d’application de dispositifs rénovés de régulation, la définition retenue servant d’assise aux propositions sur le droit des concentrations, le pluralisme et l’indépendance.
- Nouveaux médias d’information : le périmètre de ces acteurs est appréhendé ici comme ceux auxquels il apparaît essentiel de fixer des obligations minimales au regard du rôle qu’ils jouent dans la production de l’information et dans la formation de l’opinion publique, notamment en matière de transparence et de qualité de l’information, pour rétablir les asymétries réglementaires vis-à-vis des médias traditionnels.
- Plateformes qui accueillent des supports d’information : Il s’agit ici de cibler les acteurs bénéficiant à la fois de revenus à travers la diffusion de contenus d’information, sans en assurer la production mais aussi concentrant la ressource publicitaire, en vue d’établir à leur égard des obligations spécifiques dans le but de rééquilibrer le financement des médias d’information.
Les développements qui ont permis de clarifier ces différentes notions se trouvent rapportés dans les pages 250 à 257 du rapport global.
Ce que nous en retiendrons ici peut se résumer aux éléments suivants :
Information : devant l’absence de définition juridique officielle pouvant être considérée de manière globale indépendant de la spécificité de son objet, et dans la perspective de définir un cadre de régulation, il est proposé de définir l’information comme l’ensemble des faits portés à la connaissance d’un public large et ayant fait l’objet, en vue de cette diffusion, d’un traitement à caractère journalistique, notamment dans leur recherche, leur collecte, leur vérification et leur mise en forme. Cette précision doit permettre d’inclure l’information présentée au cours d’émissions de divertissement, et d’inclure dans le champ de notre régulation des acteurs qui participent à la production de l’information sans que cela ne constitue leur activité principale.
Cette définition satisfait trois critères : (i) la prise en compte de la dimension économique de l’information, qui résulte d’un processus de traitement et de mise en forme pour devenir un « produit médiatique » ; (ii) la prise en compte de la dimension sociologique d’intentionnalité de la publication et de subjectivité dans cette mise en forme ; (iii) le public large auquel l’information est destinée. Sans aller jusqu’au critère d’une information présentant un intérêt dépassant d’une façon manifeste les préoccupations d’une catégorie de lecteurs (ce qui pourrait avoir pour effet de faire sortir du champ la presse spécialisée, par exemple), la notion de public large a permis d’exclure du champ de régulation les producteurs d’information les plus modestes.
Médias : Il est proposé de retenir la définition usuellement considérée en droit des médias selon laquelle sont considérés comme médias « toutes les formes d’expression (écrites, orales, sonores, visuelles, audiovisuelles) et techniques de communication publique (presse, radio, télévision, films, livres, affiches, supports numériques, communication au public en ligne…), quel qu’en soit le contenu (information d’actualité, récits historiques, enseignement, documentation, fiction, divertissement, messages commerciaux…) ».[i] Le groupe de travail a pris le parti d’exclure de son périmètre d’analyse le cinéma, le livre, les jeux vidéo, les services audiovisuels à la demande, de manière à assurer un certaine cohérence avec la définition de la notion de « service de médias » par le droit européen tel qu’il ressort de l’European Media Freedom Act.
Médias traditionnels d’information : Il est proposé de définir un média traditionnel d’information comme tout média comportant une équipe rédactionnelle composée de journalistes professionnels au sens de l’article L.7111–3 du code du travail et concourant à la diffusion et au traitement de l’information, même lorsque cette diffusion et ce traitement constituent une part réduite des contenus diffusés (en conformité avec la définition qu’en donne l’article 72 de l’annexe III du CGI donnant accès au taux de TVA super-réduit de 2,1%).
Nouveaux médias d’information : Il est proposé de considérer les nouveaux médias comme les médias qui constituent à la fois des supports numériques (comptes sur des plateformes et réseaux sociaux, blogs, …) et des producteurs d’information, et qui concourent à la diffusion et au traitement de l’information. Cette définition exclut donc les plateformes numériques de la notion de nouveaux médias d’information, celles-ci n’ayant pas pour vocation initiale de diffuser des informations, même si elles peuvent concourir à cette diffusion. Les producteurs d’information sont tous ceux qui sont à l’origine du choix de publication parmi lesquels on trouve les journalistes, les éditeurs, les programmateurs, les propriétaires des médias, mais aussi les influenceurs (envisagés comme infoinfluenceurs intervenant auprès de publics éloignés des médias), blogueurs, certains scientifiques et experts dotés d’une position particulière dans le champ médiatique… La notion de producteurs d’information est ainsi plus large que celle des seuls journalistes professionnels, et recouvre l’ensemble des individus qui font le choix de diffuser.
Ce point est fondamental, car il a permis à ce groupe de travail d’envisager les enjeux de régulation attachés à ces nouveaux acteurs « problématiques » de l’espace informationnel, dès lors que leur audience touchait un public large.
Plateformes : Les plateformes entrent dans le champ de la régulation à travers leur rôle d’hébergeur et, dans une certaine mesure, d’éditeur de l’information dont elles constituent le support de diffusion et de publication. Elles ne constituent toutefois pas, aux yeux du groupe de travail, des médias dans la mesure où elles ne produisent pas d’informations.
Des recommandations aussi pragmatiques qu’innovantes
Pour répondre aux constats qu’il a établis, le groupe de travail a souhaité porter 5 ensembles de propositions sur le contrôle des concentrations, sur le pluralisme, sur l’indépendance des journalistes et la déontologie, sur la recomposition de l’espace informationnel, et sur le modèle économique des médias, qui se complètent les unes avec les autres.
Témoignant d’une vision commune qui est à la fois de s’inscrire dans les réalités du marché de l’information tout en renforçant les exigences éthiques sur la protection de l’information, envisagée comme un « bien commun de tous », elles visent à coconstruire la régulation du secteur de l’information entre les acteurs publics, les entreprises et le public. Elles reposent, pour certaines, sur la volonté d’une souveraineté nationale renforcée sur notre espace informationnel.
→ Sur le contrôle des concentrations
1° Refondre le contrôle sectoriel des concentrations
Proposition 1 : Simplifier le dispositif de contrôle sectoriel des concentrations en retenant un seuil maximal de détention pluri-médias unique, dont le niveau serait fixé par le législateur.
Proposition 2 : À l’occasion de la prochaine révision du règlement EMFA (European Media Freedom Act), rendre obligatoire la mise à disposition par les plateformes des données d’audience numérique des contenus médiatiques qu’elles rediffusent, selon une méthode précisée par le règlement.
Proposition 3 : Introduire dans le dispositif rénové de contrôle des concentrations un critère permettant de tenir compte de l’audience des médias auprès de certains publics spécifiques.
Si le maintien d’un double système de régulation (sectoriel et au regard du droit de la concurrence) semble souhaitable compte tenu de la complémentarité des deux approches, le groupe de travail estime qu’une refonte du contrôle sectoriel des concentrations est nécessaire. Une première étape serait de recourir à un système reposant sur un seuil unique multimédias simplifié, sur le modèle allemand. À terme, l’objectif serait de parvenir à un système dans lequel l’ensemble des médias et des vecteurs de diffusion serait pris en compte, de manière souple, en tenant compte non seulement du pouvoir d’influence sur l’opinion du fait de la position sur un marché, mais également des comportements exercés sur ce marché. Par cette nouvelle approche, le groupe de travail estime pouvoir mieux apprécier et encadrer la capacité d’influence des investisseurs, source de méfiance de la part du public.
→ Réformer l’exigence de pluralisme interne au profit d’une exigence renforcée d’honnêteté de l’information
2° Repenser l’exigence de pluralisme interne
Proposition 4 : À court terme, engager une réflexion sur la possibilité d’inscrire dans la loi une définition plus précise des chaînes d’information ou des programmes qui concourent à l’information, afin d’éviter la multiplication de chaînes d’opinion labellisées comme chaînes d’information.
Proposition 5 : À long terme, supprimer l’obligation de pluralisme interne qui résulte de la loi de 1986 telle qu’interprétée par la décision récente du Conseil d’État.
Proposition 6 : Renforcer l’exigence d’honnêteté de l’information et faire évoluer les pratiques de sanction de l’Arcom pour renforcer l’efficacité de la mise en œuvre de ses prérogatives en la matière.
Proposition 7 : Soutenir les initiatives de certification des méthodes de production journalistique et du mod
Ce sujet hautement inflammable est une clé de voûte de l’encadrement des médias depuis de nombreuses années. Pour autant, sa déclinaison concrète semble de plus en plus délicate. Par ailleurs, il intervient dans un contexte en évolution dans lequel les fréquences de la TNT, dont l’allocation aux chaînes télévisées fondait cette approche du pluralisme, pourraient être attribuées à la téléphonie mobile à horizon 2030. La diversité des points de vue, indispensable à une information honnête, pourrait alors être garantie à terme par la pluralité de l’offre, un pluralisme d’exposition aux différents médias, et davantage d’éducation aux médias. En revanche, il conviendrait immédiatement de renforcer les garanties entourant la qualité et l’honnêteté de l’information, avec notamment des exigences renforcées pesant sur les chaînes d’information, ainsi que des propositions pour renforcer l’efficacité du contrôle de l’Arcom en matière d’honnêteté de l’information.
→ Sur l’indépendance des journalistes et la déontologie
3° Apporter des garanties aux journalistes, afin de favoriser les meilleures conditions possibles pour la production de l’information
Proposition 8 : Mettre en place une gouvernance spécifique des médias pour garantir l’indépendance des journalistes (droit de veto des journalistes sur le choix du directeur de la rédaction).
Proposition 9 : Faire évoluer le droit d’opposition, la clause de cession et la clause de conscience des journalistes.
Proposition 10 : Structurer une instance d’autorégulation qui fédère les acteurs du secteur en matière de déontologie, mutualise les bonnes pratiques et apporte de la transparence.
Proposition 11 : Garantir l’effectivité de la loi Bloche en revoyant le fonctionnement des comités d’éthique
Ces garanties sont à la fois propres au métier de journaliste, dans lequel les dispositifs déontologiques (comités d’éthique, autorégulation) doivent être renforcés et mis en réseau afin de mailler l’ensemble de l’espace informationnel et y intégrer les attentes du public. Elles doivent aussi prévoir un mécanisme facilitant l’alignement des journalistes et des actionnaires au sujet de l’actif immatériel auquel ils participent en commun, qui est la ligne éditoriale du média. Cet alignement pourrait se manifester autour du choix du directeur de la rédaction, via la mise en place d’un droit de veto des journalistes sur le choix de l’actionnaire ; l’existence de ce droit de veto conditionnerait les aides directes à la presse. Toutefois, une telle proposition ne devrait s’appliquer qu’aux médias qui diffusent une information à caractère politique et générale et dont la taille serait supérieure à un certain seuil.
→ Un espace informationnel en voie de recomposition
4° Renforcer les obligations des nouveaux acteurs et producteurs de contenus, dans un espace informationnel européen, afin de limiter les asymétries réglementaires entre médias traditionnels et nouveaux médias.
Proposition 12 : Créer un socle minimal d’obligations applicables à tous médias d’information (influenceurs médias, blogs…), attachées à la notion d’information.
Proposition 13 : Renforcer la responsabilité des plateformes hébergeant des contenus d’information diffusés par les producteurs d’information dont les publications sont particulièrement virales.
Proposition 14 : Porter une position au niveau européen afin de prévoir une exception à l’application du principe du pays d’origine pour les obligations générales et réglementaires édictées par les États membres à l’encontre des plateformes (cf. arrêt de la CJUE du 9 novembre 2023).
Proposition 15 : Poursuivre le portage politique du partenariat pour l’information et la démocratie.
Une régulation particulière et adaptée, sous la forme d’un socle commun d’obligations, pourrait être imposée aux producteurs d’information les plus influents sur les réseaux sociaux et les plateformes. Par ailleurs, il doit être envisagé de renforcer la responsabilité des plateformes hébergeant des contenus d’information diffusés par les producteurs d’information, au-delà d’un certain seuil d’audience. Pour ce faire, il paraît indispensable de revenir sur l’interprétation faite par la Cour de justice de la directive e‑commerce, qui menace de faire obstacle à toute régulation des plateformes internationales par les États membres, à rebours des attentes fortes de leurs citoyens.
→ Sur le modèle économique des médias
5° Renforcer l’assise économique des médias traditionnels pour les accompagner face aux transformations en cours, à travers le levier publicitaire et les droits voisins, qui connaissent une actualité particulière au regard de l’essor de l’intelligence artificielle.
Proposition 16 : Obliger à l’interopérabilité d’intermédiation des services de publicité en ligne.
Proposition 17 : Réorienter les recettes publicitaires des annonceurs ainsi reconstituées vers le secteur des médias par le biais d’incitations RSE.
Proposition 18 : Soutenir les éditeurs de presse dans la négociation des droits voisins. L’objectif ici est de favoriser la réorientation de la ressource publicitaire depuis les plateformes vers les médias d’information.
Dans la plupart des cas, la mise en œuvre de ces propositions sera progressive, testant leur l’efficacité et leur pertinence pas à pas.
Dans tous les cas, une démarche d’évaluation sera mise en place.
[i] ¹ Relevons que l’article 34 de la Constitution a été modifié par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 pour élargir la compétence du législateur à la définition des garanties en matière « de pluralisme et d’indépendance des médias ».