Ojim.fr
PUBLICATIONS
Yann Barthès, Dilcrah, Netflix, Frontex, Bellingcat... Découvrez les publications papier et numériques de l'Observatoire du journalisme.
→ En savoir plus
PUBLICATIONS
Yann Barthès, Dilcrah, Netflix, Frontex, Bellingcat... Découvrez les publications papier et numériques de l'Observatoire du journalisme.
→ En savoir plus
Coups de projecteur sur la restitution officielle des États généraux de l’information 2024. Conclusion générale

11 octobre 2024

Temps de lecture : 29 minutes
Accueil | Veille médias | Coups de projecteur sur la restitution officielle des États généraux de l’information 2024. Conclusion générale

Coups de projecteur sur la restitution officielle des États généraux de l’information 2024. Conclusion générale

Temps de lecture : 29 minutes

Coup de projecteur sur la restitution officielle des États généraux de l’information 2024. Septième partie : conclusion générale.

À partir des principaux enseignements tirés à partir du croisement de l’investigation transversale de ces différents travaux entreprise sur la base des 6 articles précédents, d’une part, et, d’autre part, de la prise en compte d’éléments de contexte et d’éléments d’analyse complémentaires, cet article cherche à vérifier si ces EGI 2024 ont bien atteint les objectifs que lui avait assignés le président de la République, et identifie quelques pistes de travaux à envisager corriger les faiblesses.

Coup de projecteur sur les objectifs assignés aux EGI et sur la méthodologie retenue

Lancés en octo­bre 2023 par le prési­dent de la République comme un proces­sus indépen­dant, col­lec­tif et col­lab­o­ratif ayant pour ambi­tion « à la suite d’initiatives déjà pris­es notam­ment au plan européen et inter­na­tion­al […] d’établir un diag­nos­tic sur l’ensemble des enjeux liés aujourd’hui à l’information, d’anticiper les évo­lu­tions à venir, de pro­pos­er des actions con­crètes qui pour­ront se déploy­er au plan nation­al, européen et inter­na­tion­al. »[i], les EGI 2024 visait à aboutir à un plan d’ac­tion pour garan­tir le droit à l’in­for­ma­tion à l’heure numérique, y com­pris en pré­con­isant des mesures lég­isla­tives, fis­cales, budgé­taires, et une mod­i­fi­ca­tion de la loi de 1986 qui régit l’au­dio­vi­suel, ain­si que des recom­man­da­tions au secteur des médias.

Pour Christophe Deloire, le secré­taire général de RSF et ancien directeur du Cen­tre de for­ma­tion du jour­nal­isme choisi comme secré­taire général des EGI : face aux crises tech­nologique, économique ou encore géopoli­tique qu’affronte le jour­nal­isme actuelle­ment, « il est néces­saire d’inventer un mod­èle français pour répon­dre aux boule­verse­ments dans le champ de l’information ». Il s’agit « de pro­téger notre lib­erté d’opinion en maîtrisant les inno­va­tions tech­nologiques et de soutenir les pro­duc­teurs d’informations en mod­ernisant le cadre légal »« On ne peut pas s’en sor­tir en réglant les prob­lèmes par petits bouts ».

Les EGI ont tra­vail­lé neuf mois durant mobil­isant des citoyens, des jour­nal­istes, des édi­teurs, des chercheurs, des hauts fonc­tion­naires, des asso­ci­a­tions et des jeunes. La pre­mière phase de tra­vail a été con­sacrée à la déf­i­ni­tion du périmètre d’action des États généraux. Cinq groupes de tra­vail rassem­blant une cinquan­taine de per­son­nes ont ensuite œuvré à un ensem­ble de propo­si­tions sur des thèmes pré­cis. 22 assem­blées citoyennes et évène­ments organ­isés en région, 174 audi­tions, 76 con­tri­bu­tions écrites adressées aux mem­bres des EGI : la mobil­i­sa­tion a été excep­tion­nelle. La somme de ces travaux traduit naturelle­ment une mul­ti­plic­ité de points de vue, de con­vic­tions et de réflexions.

Coup de projecteur sur les préconisations formulées

En intro­duc­tion du dossier de presse con­sti­tué en appui du rap­port de pilotage établi à l’occasion de cette resti­tu­tion[ii], le comité de pilotage dresse un con­stat som­bre sous un inti­t­ulé des plus explicite : « Sauve­g­arder et dévelop­per le droit à l’in­for­ma­tion : une urgence. »

« Pour cer­tains ana­lystes, le chaos infor­ma­tion­nel men­ace : des déserts infor­ma­tion­nels appa­rais­sent, la fatigue infor­ma­tion­nelle s’installe et la défi­ance à l’égard des médias se généralise. La peur de l’effondrement, voire de l’extinction, est par­fois évo­quée. Nous n’en sommes heureuse­ment pas encore là. Mais l’heure n’est plus à l’éparpillement de mesures sec­to­rielles. L’heure est à la sauve­g­arde du droit à l’information pour ceux qui la font, et au développe­ment du droit à l’information pour ceux à qui elle est des­tinée. Pour une rai­son sim­ple : le droit à l’information, est la pos­si­bil­ité don­née à un indi­vidu de devenir citoyen. Et il n’y a pas de démoc­ra­tie sans un espace pub­lic qui garan­tisse un débat éclairé, fondé sur une réal­ité partagée, entre citoyennes et citoyen­s². Le droit à l’information est une con­di­tion d’existence de l’espace pub­lic. Et l’espace pub­lic est le lieu de vie d’une démoc­ra­tie. Intro­duc­tion ¹ Util­i­sa­tion du réseau comme une arme. Selon la déf­i­ni­tion don­née par Jür­gen Haber­mas. L’information n’est donc pas un bien comme un autre, même si elle est sou­vent pro­duite par des entre­pris­es du secteur marc­hand. D’un point de vue économique, l’information est un bien pub­lic : cha­cun peut en béné­fici­er, sans jamais en priv­er autrui. Ses effets sont aus­si bien indi­vidu­els que col­lec­tifs. Mais philosophique­ment, l’information est notre bien com­mun : celui qui donne à la cité son unité. Il faut désor­mais envis­ager un ensem­ble de mesures qui, dans leur glob­al­ité, con­stituent une poli­tique générale et ambitieuse de sauve­g­arde de l’espace pub­lic à l’heure des réseaux et de l’Intelligence arti­fi­cielle. Une poli­tique qui puisse se déploy­er à la fois au niveau nation­al, mais égale­ment au niveau européen, où il s’agit de con­stru­ire un espace pub­lic encore en ges­ta­tion. Ces mesures doivent met­tre en avant les droits, rôles et pou­voirs des citoyens, tout en rétab­lis­sant une con­di­tion d’exercice du méti­er d’informer qui soit pro­fes­sion­nelle­ment garantie, économique­ment pos­si­ble, dans un con­texte tech­nologique qui cesse de lui être défa­vor­able. Il s’agit de se met­tre au ser­vice de la lib­erté d’expression et du plu­ral­isme, piliers indis­pens­ables de l’espace infor­ma­tion­nel démoc­ra­tique, tout en garan­tis­sant trois lib­ertés com­plé­men­taires : la lib­erté pour le citoyen de s’informer libre­ment à l’abri des manip­u­la­tions et des biais algo­rith­miques, la lib­erté pour le jour­nal­iste d’exercer son méti­er à l’abri des pres­sions et la lib­erté d’entreprendre pour l’éditeur de médias à l’abri de la dépen­dance économique. » (extrait de l’introduction du rap­port de pilotage)

Ce rap­port for­mule neuf propo­si­tions-cadres pour préserv­er l’espace pub­lic français, six propo­si­tions-cadres pour con­tribuer à la con­struc­tion de l’espace pub­lic européen, ain­si que deux recom­man­da­tions à l’attention des pro­fes­sion­nels de l’information.

Même si l’ensemble de ces élé­ments se nour­rit des réflex­ions et des propo­si­tions des autres com­posantes des EGI (groupes de tra­vail, con­sul­ta­tions citoyennes, comité de prospec­tive), il n’en con­stitue en aucune façon une syn­thèse, loin s’en faut. Pour autant, le comité de pilotage con­sid­ère qu’il peut con­stituer le cadre d’une poli­tique globale.

Retour sur les contextes politique, juridique, budgétaire, européen et international dans lesquels se sont inscrits ces EGI

Ces EGI se sont déroulés dans un con­texte glob­al, en France, en Europe et dans le Monde, qui a très prob­a­ble­ment influé sur la teneur des travaux entre­pris, sans toute­fois que les exper­tis­es mobil­isées soient réelle­ment par­v­enues à en dégager des enseigne­ments sub­stantiels et des poten­tial­ités per­ti­nentes en regard des thé­ma­tiques explorées.

Comme le man­dat prési­den­tiel le stip­ule, plusieurs ini­tia­tives inter­na­tionales et européennes préal­ables ont été entre­pris­es qui, cha­cune dans son reg­istre, offrent des indi­ca­tions sur les ori­en­ta­tions pris­es et aux­quelles la France adhère, celles établies dans le cadre de l’Union européenne présen­tant un car­ac­tère con­traig­nant.[iii]

→ Les Principes mon­di­aux des Nations unies pour l’intégrité de l’information créent un cadre holis­tique pour guider l’ac­tion des dif­férentes par­ties prenantes en vue d’un écosys­tème de l’in­for­ma­tion plus sain. Ce cadre con­siste en cinq principes de ren­force­ment de l’in­tégrité de l’in­for­ma­tion qui ont tous en com­mun un engage­ment inébran­lable en faveur des droits de l’homme (con­fi­ance et résilience de la société ; médias indépen­dants, libres et plu­ral­istes ; trans­parence et recherche ; respon­s­abil­i­sa­tion du pub­lic ; et inci­ta­tions saines), cha­cun d’en­tre eux com­prenant des recom­man­da­tions à l’in­ten­tion des prin­ci­paux groupes de par­ties prenantes. En plus d’être fondés sur le droit inter­na­tion­al, y com­pris le droit inter­na­tion­al des droits de l’homme, les Principes mon­di­aux s’ap­puient sur les idées pro­posées dans la note d’orientation n°8 du Secré­taire général des Nations ; ils com­plè­tent les Principes directeurs des Nations Unies relat­ifs aux entre­pris­es et aux droits de l’homme, les Lignes direc­tri­ces de l’UNESCO pour la gou­ver­nance des plate­formes numériques, le Plan d’ac­tion des Nations Unies sur la sécu­rité des jour­nal­istes et la ques­tion de l’im­punité, la Recom­man­da­tion de l’UNESCO sur l’éthique de l’in­tel­li­gence arti­fi­cielle et la Stratégie et le Plan d’ac­tion des Nations Unies pour la lutte con­tre les dis­cours de haine.

→ Le droit européen encadre l’activité audio­vi­suelle à divers titres et notam­ment dès lors que les édi­teurs de ser­vices de télévi­sion ou de radio sont con­sid­érés comme des prestataires de ser­vices par le droit de l’Union. Le secteur audio­vi­suel ayant essen­tielle­ment trait à la lib­erté de com­mu­ni­ca­tion, les textes relat­ifs à la pro­tec­tion des droits de l’Homme doivent égale­ment être pris en compte. Le droit européen encadre égale­ment les ser­vices numériques et la qua­si-total­ité des aspects démoc­ra­tiques, économiques, de sou­veraineté et de sécu­rité qui y sont attachés.[iv]

De manière sys­té­ma­tique, il prend appui et/ou se réfère aux dis­po­si­tions inter­na­tionales idoines, et notam­ment aux principes fon­da­men­taux du droit inter­na­tion­al de l’information sou­vent dérivés de con­ven­tions inter­na­tionales[v], aux principes mon­di­aux des Nations unies pour l’intégrité de l’information[vi] pub­liés le 24 juin 2024 qui étab­lis­sent une feuille de route inter­na­tionale pour ren­forcer l’intégrité de l’information (voir plus par­ti­c­ulière­ment les élé­ments relat­ifs aux inci­ta­tions saines, à la respon­s­abil­i­sa­tion du pub­lic, ain­si qu’aux médias indépen­dants, libres et pluralistes).

Plus pré­cisé­ment, l’UE abor­de de manière glob­ale et opéra­tionnelle les dif­férentes ques­tions rel­a­tives à la pro­tec­tion de la lib­erté, au finance­ment à la résilience et au plu­ral­isme des médias, comme au recours à l’innovation pour les mod­erniser au rythme de la « dig­i­tal­i­sa­tion » de la société en lien avec les ini­tia­tives rel­a­tives aux don­nées, comme celles rel­a­tives à l’alphabétisation et à l’éducation aux médias.[vii]

Alors que les plate­formes numériques jouent un rôle crois­sant dans le quo­ti­di­en des Européens bien qu’elles soient prin­ci­pale­ment améri­caines (les “MAMAA” pour Microsoft, Ama­zon, Meta, Apple et Alpha­bet) et chi­nois­es (les “BATX” pour Baidu, Aliba­ba, Ten­cent, et Xiao­mi). Or, leur fonc­tion­nement soulève des risques sur dif­férents plans.  Afin d’ap­préhen­der ces enjeux, l’UE encadre l’ac­tiv­ité des plate­formes numériques à tra­vers des régle­men­ta­tions dont l’ap­pli­ca­tion est con­trôlée et la vio­la­tion sanc­tion­née.[viii]

Elle abor­de égale­ment les ques­tions soulevées par l’intelligence arti­fi­cielle et les régu­la­tions à y apporter.[ix]

Les réseaux fix­es et mobiles jouent désor­mais un rôle essen­tiel dans le fonc­tion­nement du pays et la vie quo­ti­di­enne des Français, y com­pris en matière de dif­fu­sion d’information (68 % des Français sont équipés d’un téléviseur con­nec­té à inter­net, le plus sou­vent via la box du four­nisseur d’accès à inter­net, et 38 % dis­posent d’au moins deux modes de con­nex­ion). En rai­son de leur impor­tance, le lég­is­la­teur européen a jugé néces­saire l’intervention d’une autorité éta­tique indépen­dante des entre­pris­es comme du Gou­verne­ment (en France, l’ARCEP), pour s’assurer du bon développe­ment de ces réseaux, tout en veil­lant à la neu­tral­ité du Net (principe pro­tégé par le lég­is­la­teur européen depuis 2016 par le règle­ment européen sur l’internet ouvert et en France par la Loi pour une République Numérique de 2016) devant garan­tir l’é­gal­ité de traite­ment de tous les flux de don­nées sur Inter­net, qui exclut par exem­ple toute dis­crim­i­na­tion pos­i­tive ou néga­tive à l’é­gard de la source, de la des­ti­na­tion ou du con­tenu de l’in­for­ma­tion trans­mise sur le réseau. Ain­si, ce principe garan­tit que les util­isa­teurs ne fer­ont face à aucune ges­tion du traf­ic inter­net qui aurait pour effet de lim­iter ou amélior­er leur accès aux appli­ca­tions et ser­vices dis­tribués sur le réseau.

→ En France, depuis la mise en place au début de ce siè­cle de la Loi organique rel­a­tive aux lois de finances, l’audiovisuel pub­lic nation­al a motivé un cer­tain nom­bre de pro­jets de réforme cher­chant à la fois à ratio­nalis­er struc­turelle­ment et finan­cière­ment ce secteur par­ti­c­ulière­ment cri­tique de l’action de l’État, qui impacte son bud­get de manière impor­tante. Le secteur de l’audiovisuel a con­nu depuis une dizaine d’an­nées de pro­fondes trans­for­ma­tions (mul­ti­pli­ca­tion des plate­formes de vidéos à la demande par abon­nement ‑SVOD- comme Net­flix ou Prime Video, développe­ment des réseaux soci­aux et des sources d’in­for­ma­tion et avec des infox, hausse des prix des droits de dif­fu­sion des com­péti­tions sportives…). Ces trans­for­ma­tions ont amené une con­cur­rence frontale et ont réduit l’ex­po­si­tion des médias publics.

L’État a donc entre­pris d’accompagner les acteurs de ce secteur en crise dans leurs ini­tia­tives visant à le mod­erniser pour lui per­me­t­tre de s’adapter à la con­cur­rence nou­velle inhérente à l’émergence de nou­velles offres inter­na­tionales et nationales, ain­si qu’aux rup­tures tech­nologiques qui impactent en pro­fondeur la société de l’information dans son ensem­ble (TNT, Inter­net, Ecrans con­nec­tés, etc.).

Si la crise san­i­taire a con­duit à renon­cer au pro­jet de loi audio­vi­suel présen­té par le gou­verne­ment en juil­let 2018[x], qui visait l’adaptation de l’audiovisuel pub­lic aux enjeux actuels et dont l’examen était prévu au pre­mier semes­tre 2020 et à l’abandon du pro­jet de société-mère à la tête d’un groupe rassem­blant qua­tre entre­pris­es du secteur de l’audiovisuel pub­lic. Néan­moins, les mesures les plus urgentes ont été adop­tées et plusieurs con­trats d’objectifs et de moyens (COM) ont été signés avec les sociétés d’audiovisuel pub­lic. Cette syn­chro­ni­sa­tion avait pour objec­tif d’améliorer la coor­di­na­tion entre les entre­pris­es du secteur.

Relevons que l’article 34 de la Con­sti­tu­tion a été mod­i­fié par la révi­sion con­sti­tu­tion­nelle du 23 juil­let 2008 pour élargir la com­pé­tence du lég­is­la­teur à la déf­i­ni­tion des garanties en matière « de plu­ral­isme et d’indépendance des médias ».

Par ailleurs, l’État s’est attaché à se met­tre en con­for­mité avec le droit européen cor­re­spon­dant pour réguler et sécuris­er l’internet[xi], élar­gis­sant à cette occa­sion les prérog­a­tives de l’ARCOM et de l’ARCEP.

Plusieurs évène­ments ont pu con­courir à nuire à un déroule­ment sere­in de cer­tains travaux, en toute indépen­dance d’esprit : l’intérêt tout par­ti­c­uli­er porté à cet exer­ci­ce par l’Elysée, l’interruption du proces­sus lég­is­latif relatif à l’élaboration d’un nou­velle loi rel­a­tive à la réforme de l’au­dio­vi­suel pub­lic et à la sou­veraineté audio­vi­suelle visant à réformer l’audiovisuel pub­lic pour le ren­forcer et lut­ter con­tre les asymétries qui pénalisent les acteurs français face à leurs con­cur­rents améri­cains[xii], les change­ments de min­istre en charge de l’information chargé de porter devant le Par­lement les propo­si­tions d’amendements du gou­verne­ment, les crispa­tions observées lors du proces­sus d’attribution des fréquences TNT et des recours engagés auprès du Con­seil d’État ain­si que les respon­s­abil­ités exer­cées au sein des médias con­cernés par cer­taines per­son­nal­ités jouant un rôle impor­tant dans ces EGI, des attaques ad hominem d’une très grande bru­tal­ité à l’encontre de Christophe Deloire, le con­tentieux opposant devant le Con­seil d’État RSF et Cnews à l’égard d’un déci­sion prise par l’ARCOM sur la ques­tion du plu­ral­isme, etc.

Coup de projecteur sur les principales lacunes relevées

Nous ne revien­drons pas ici sur les lacunes iden­ti­fiées dans les 6 pre­mières par­ties de ce dossier.

Bien que nous soyons par­faite­ment des dif­fi­cultés que soulèvent l’organisation dans un cal­en­dri­er ser­ré de tels États généraux, nous ne pou­vons néan­moins occul­ter ici les lacunes méthodologiques et de sub­stance au fond telles qu’elles ressor­tent des dif­férentes inves­ti­ga­tions opérées par l’OJIM.

→ L’absence d’harmonisation des déf­i­ni­tions des notions les plus cen­trales entre les groupes de tra­vail, laque­lle aurait dû être entre­prise en amont de leurs travaux, a par­ticipé à altér­er la qual­ité au fond de cer­taines analy­ses comme des pré­con­i­sa­tions qui en résul­tent. A cet égard, les analy­ses entre­pris­es par le groupe en charge du thème « État et régu­la­tion » offraient pour­tant des élé­ments de déf­i­ni­tion qui auraient per­mis de servir de référence à une telle har­mon­i­sa­tion, en per­me­t­tant à leurs mem­bres et aux experts con­sultés d dis­pos­er d’un cadre méthodologique com­mun et d’un socle séman­tique partagé.

Cer­tains développe­ments lais­sent crain­dre que par­fois, la con­cep­tion réservée à l’information se con­fond abu­sive­ment avec celle rel­a­tive à la notion de don­née. Dans l’univers des tech­nolo­gies de l’information, les ter­mes don­nées et infor­ma­tions sont sou­vent util­isés comme s’ils étaient syn­onymes. Or, ces deux notions sont très dif­férentes l’une de l’autre. Alors qu’une don­née est une col­lec­tion de faits et de chiffres bruts, une infor­ma­tion est une don­née traitée et con­tex­tu­al­isée pour un util­isa­teur. Les don­nées peu­vent pren­dre dif­férentes formes, telles que du texte, des images, des vidéos ou des valeurs numériques. Elles ser­vent de matière pre­mière pour les proces­sus d’analyse, de traite­ment et de com­mu­ni­ca­tion, per­me­t­tant ain­si aux logi­ciels et aux sys­tèmes de pren­dre des déci­sions, de génér­er des rap­ports et de fournir des fonc­tion­nal­ités var­iées dans le monde numérique, et aux pro­duc­teurs d’information de la génér­er selon ses pro­pres règles et objec­tifs. Une infor­ma­tion englobe des élé­ments tels que des faits, des chiffres, des textes ou des médias, qui sont util­isés pour pren­dre des déci­sions, génér­er des con­nais­sances ou faciliter des proces­sus. L’information résulte de la trans­for­ma­tion de don­nées brutes par des algo­rithmes et des logi­ciels, jouant un rôle cru­cial dans la com­mu­ni­ca­tion, la ges­tion, l’analyse et l’automatisation des opéra­tions dans l’environnement numérique, ou dans la cir­cu­la­tion de mes­sages cod­i­fiées ori­en­tés vers des objec­tifs précis.

Si l’information comme la don­née con­stituent des ressources cri­tiques autant que des instru­ments priv­ilégiés au ser­vice de toutes les formes de pou­voir et de gou­ver­nance, elles peu­vent faire l’objet de monéti­sa­tion, de défor­ma­tion, de trans­ac­tion et de cap­ture à des fins malveil­lantes de manière algo­rith­mique ou non.

L’ambition de lut­ter con­tre la manip­u­la­tion de l’information, que ce soit ou non en ligne, à par­tir de moyens tech­niques aus­si sophis­tiqués soient-ils, présente des dif­fi­cultés juridiques con­sid­érables ten­ant d’abord à la qual­i­fi­ca­tion en droit d’« une fausse infor­ma­tion », et ensuite à l’établissement du car­ac­tère effec­tive­ment délictuel de sa mise à la dis­po­si­tion du public.

Or, les dif­férents doc­u­ments qui ren­dent compte de ses travaux ne com­por­tent aucune déf­i­ni­tion ni hypothèse de tra­vail ayant trait aux con­cepts et notions essen­tielles d’infor­ma­tion, d’intégrité de l’information, de dés­in­for­ma­tion, etc. con­vo­quées dans le développe­ment des idées et des thès­es soutenues. S’il n’existe pas de déf­i­ni­tion uni­verselle­ment accep­tée de ces ter­mes, notam­ment en France quand bien même des esquiss­es com­men­cent à émerg­er de cer­tains proces­sus lég­is­lat­ifs et juri­dic­tion­nels, les entités des Nations Unies ont for­mulé des déf­i­ni­tions opéra­tionnelles dans une note d’orientation ren­due publique en juin 2023[xiii]. La Rap­por­teuse spé­ciale sur la pro­mo­tion et la pro­tec­tion du droit à la lib­erté d’opinion et d’expression des Nations Unies définit la dés­in­for­ma­tion comme « la dif­fu­sion inten­tion­nelle d’une fausse infor­ma­tion en vue de causer un préju­dice social grave ». L’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la sci­ence et la cul­ture (UNESCO) utilise le terme « dés­in­for­ma­tion » pour décrire des con­tenus faux ou trompeurs qui peu­vent causer un préju­dice par­ti­c­uli­er, indépen­dam­ment des inten­tions, du degré de con­science et des com­porte­ments qui sous-ten­dent leur pro­duc­tion et leur dif­fu­sion. Par ailleurs, l’Union européenne a dédié à lutte con­tre la prop­a­ga­tion de la dés­in­for­ma­tion et de la dés­in­for­ma­tion en ligne de nom­breux proces­sus et instru­ments qui s’articulent autour des élé­ments de déf­i­ni­tion suivants :

« La dés­in­for­ma­tion est un con­tenu faux ou trompeur qui est dif­fusé dans l’intention de tromper ou d’obtenir un gain économique ou poli­tique, et qui peut causer un préju­dice pub­lic. La dés­in­for­ma­tion est un con­tenu faux ou trompeur partagé sans inten­tion nuis­i­ble, bien que les effets puis­sent encore être nocifs. »[xiv].

→ Tout aus­si prob­lé­ma­tique, le par­ti pris par le comité de pilotage de ne con­sid­ér­er l’information comme un « bien pub­lic » en ne retenant comme seule car­ac­téris­tique le jus­ti­fi­ant le fait que l’information con­stitue un bien non rival ou non exclu­able. La con­som­ma­tion de ce bien par un agent n’af­fecte donc pas la quan­tité disponible pour les autres agents (non-rival­ité). Il est impos­si­ble d’ex­clure un agent de l’u­til­i­sa­tion de ce bien, même s’il n’a pas par­ticipé à son finance­ment. Un bien pub­lic pur est un bien non rival et non exclu­able, il est impos­si­ble de faire pay­er l’ac­cès à ce bien (non-exclu­a­bil­ité). Par exem­ple, une émis­sion de radio est un bien pub­lic. C’est un bien non rival au sens où lorsqu’un agent écoute une émis­sion de radio, il n’empêche aucun autre agent de l’é­couter. C’est un bien non exclu­able au sens où les tech­nolo­gies des ondes radio ne per­me­t­tent pas de restrein­dre l’ac­cès à ce bien à ceux qui le financeraient. Mais alors quid de Canal + comme des chaines acces­si­bles qu’au tra­vers l’acquisition d’un droit d’accès à un bou­quet numérique ?

Selon Jean Cam :

« La con­cep­tion courante d’un bien pub­lic pro­duit inten­tion­nelle­ment par un agent social se réfère régulière­ment à deux notions : celle d’intérêt général ou d’utilité publique, ain­si que celle de l’accès indif­féren­cié du bien à tous les mem­bres de la col­lec­tiv­ité. La pro­duc­tion d’un bien générale­ment utile et dont la jouis­sance ne devrait pas être réservée préféren­tielle­ment à cer­tains mem­bres de la col­lec­tiv­ité plutôt qu’à d’autres a tou­jours appelé, tant dans l’histoire insti­tu­tion­nelle que dans la théorie juridique français­es, l’intervention de l’acteur pub­lic par excel­lence qu’est l’État. L’association du bien pub­lic à l’État est l’association de deux excep­tions : le pre­mier étant un bien d’une struc­ture très par­ti­c­ulière et très sen­si­ble va tomber dans le domaine réservé du second.
En effet, cette inter­ven­tion de l’État dans le proces­sus économique est conçue comme excep­tion­nelle et ne se jus­ti­fie que par la nature de l’objet en jeu. Ain­si, les théoriciens du droit pub­lic français la pensent légitime dans la mesure où la créa­tion d’un bien ou d’un ser­vice publics par l’État est néces­saire pour sauve­g­arder un intérêt général, qui autrement serait com­pro­mis. Les tran­si­tions vers l’affirmation que partout où un intérêt général est en cause, les capac­ités des acteurs soci­aux ordi­naires sont struc­turelle­ment insuff­isantes pour l’assurer, de telle manière qu’à la général­ité de l’intérêt cor­re­sponde une général­ité effec­tive de l’accès, sont cour­tes et ont été décidé­ment franchies. C’est donc à la jonc­tion de deux principes que la théorie et la pra­tique insti­tu­tion­nelle en France situent la pro­duc­tion légitime et ordon­née du bien pub­lic : un principe de jus­tice et un principe d’économie. Le pre­mier fait de l’accès général au bien pub­lic un enjeu majeur de la pro­duc­tion sociale de ce dernier et va jusqu’à instituer la pré­ten­tion à la jouis­sance de ce bien comme un droit que tout mem­bre de la col­lec­tiv­ité peut faire val­oir envers elle. Le sec­ond sup­pose que le bien pub­lic soit de par la général­ité de son exten­sion objec­tive (sur­di­men­sion­nal­ité), sociale (uni­ver­sal­ité), tem­porelle (con­ti­nu­ité) et spa­tiale (ubiq­ui­té ter­ri­to­ri­ale) de nature à met­tre en défaut tant les capac­ités que la logique intéressée de l’économie privée.
La pen­sée du bien pub­lic en France est ain­si forte­ment imprégnée par l’idée de son excep­tion­nal­ité. Elle affirme la néces­sité de sa réser­va­tion à un acteur lui-même excep­tion­nel, doté d’une per­son­nal­ité, d’une légitim­ité et de prérog­a­tives de puis­sance morales, juridiques et poli­tiques incom­men­su­rables avec celles de tous les autres acteurs soci­aux. Cette con­cep­tion ne se com­prend qu’en ten­ant compte de deux pré­sup­po­si­tions majeures : lais­sée aux acteurs soci­aux ordi­naires, la pro­duc­tion des biens publics heurterait le principe d’égalité et serait qual­i­ta­tive­ment ou quan­ti­ta­tive­ment insuff­isante. »[xv]

Ce par­ti pris est con­testable comme le mon­tre très bien Hen­ri Pigeat dans son arti­cle de la revue Com­men­taire inti­t­ulé L’information, un bien public ? :

« Définie comme un acte d’observation et d’expression, [l’information] peut devenir un ser­vice com­mer­cial­is­able, mais sans jamais cess­er d’être une capac­ité humaine naturelle dont la parole est le pre­mier exem­ple. Un statut de pro­priété publique serait con­tra­dic­toire avec l’irréductible appar­te­nance de l’information à chaque indi­vidu, sauf à nier l’autonomie de pen­sée. Mal­gré de per­sévérants efforts, aucun régime total­i­taire n’a jamais pu véri­ta­ble­ment y par­venir. Si vivante que soit encore chez nous la querelle entre Rousseau et Voltaire, un réveil des mânes de Grac­chus Babeuf a donc peu de chances d’être ici très productif »

En ayant pris un tel par­ti, le comité de pilotage comme les groupes thé­ma­tiques se devaient donc de pren­dre en compte le droit des biens publics dans leurs analyses.

→ S’agissant des ques­tions touchant à la régu­la­tion et à l’État, préoc­cu­pa­tion trans­ver­sale à l’ensemble des EGI eu égard aux objec­tifs qui leur étaient assignés, une meilleure artic­u­la­tion des thé­ma­tiques retenues pour les cinq groupes de tra­vail avec ceux engagés au niveau européen aurait per­mis d’éviter de for­muler des propo­si­tions peu ou pas utiles en rai­son de l’existence de propo­si­tions européennes plus sub­stantielles qui seront applic­a­bles au niveau national.

Mal­gré le niveau d’expertise des mem­bres des groupes de tra­vail et des per­son­nes auditées, l’association sys­té­ma­tique de l’ARCOM, de la CNIL et de l’ARCEP[xvi] ain­si que de mem­bres du SGAE en charge des ques­tions numériques et de l’audiovisuel à la total­ité des travaux aurait cer­taine­ment pu per­me­t­tre de mieux inté­gr­er les avancées offertes par les instances inter­na­tionales et européennes en matière de régu­la­tion par les dif­férentes voies nor­ma­tive, régle­men­taire et législative.

L’importance de cette prob­lé­ma­tique tient à plusieurs fac­teurs endogènes et exogènes ;

  • La mul­ti­pli­ca­tion des risques globaux tels qu’ils ressor­tent des dif­férents rap­ports inter­na­tionaux qui y sont con­sacrés, tels que les Glob­al Risks Reports[xvii] étab­lis au prof­it du World Eco­nom­ic Forum ont fait appa­raître un besoin sans cesse plus preg­nant de « régu­la­tion » par les pou­voirs publics, aux dif­férentes échelles, des défis posés par la més­in­for­ma­tion et la dés­in­for­ma­tion, lesquels impactent d’autres natures de risques.
  • La tech­nol­o­gi­sa­tion à marche for­cée des proces­sus de gou­ver­nance publique con­fère aux don­nées et aux infor­ma­tions un car­ac­tère stratégique qui se matéri­alise par l’élaboration de straté­gies spé­ci­fiques, à l’instar de ce que pro­pose l’UE pour les données.
  • La dimen­sion géopoli­tique de l’information pro­cure aux États de nou­veaux argu­ments pour inter­venir de manière plus glob­ale sur les proces­sus qui s’y rapportent.

Alors que le néolibéral­isme et l’amplification des proces­sus de mon­di­al­i­sa­tion, glob­al­i­sa­tion et d’internationalisation à la faveur de la fin de la guerre froide ont favorisé depuis les années 80 une altéra­tion con­tin­uelle des proces­sus de régle­men­ta­tion, de régu­la­tion et de cloi­son­nement (en ver­tu de la règle des 3D) nous assis­tons aujourd’hui à un retour de la puis­sance publique qui n’a échap­pé ni au com­man­di­taire des EGI ni aux insti­tu­tions européennes.

D’où l’importance par­ti­c­ulière­ment accordée égale­ment par ces EGI aux ques­tions de sou­veraineté, de manip­u­la­tion de l’information, et d’ingérence étrangère.

Autant de notions qui auraient néces­sité d’être non seule­ment mieux définies (notons que la loi du 25 juil­let 2024 visant à prévenir les ingérences étrangères en France[xvi­ii] pro­pose, out­re la requal­i­fi­ca­tion des natures de men­aces en jeu, une déf­i­ni­tion de l’acte d’ingérence ain­si que le détail des peines encou­rues par les per­son­nes morales ou physiques con­trevenant aux dis­po­si­tions légales en vigueur) mais égale­ment éten­dues à d’autres formes d’ingérence, endogènes, et à la mésinformation.

« La pro­pa­gande men­songère n’est bien sûr pas le mono­pole des régimes autori­taires. Les États-Unis, par exem­ple, ne se sont pas privés d’y recourir mas­sive­ment, et à grande échelle, à l’occasion de la Guerre du Viet­nam, de la Guerre du Golfe ou de la Guerre en Irak. Aujourd’hui encore, la ten­ta­tion est forte dans cer­tains pays démoc­ra­tiques de répon­dre à la dés­in­for­ma­tion des régimes autori­taires par des cam­pagnes de dés­in­for­ma­tion. Toute­fois, la prise de con­science du car­ac­tère con­tre-pro­duc­tif d’une telle approche sem­ble avoir pro­gressé. En sep­tem­bre 2023, 38 États, dont la France et les États-Unis, se sont engagés, par la Déc­la­ra­tion mon­di­ale pour l’intégrité de l’information en ligne, à « s’abstenir de par­ticiper à des cam­pagnes de dés­in­for­ma­tion menées par l’État et dénon­cer une telle pratique ».

Les démoc­ra­ties libérales devraient en effet être capa­bles de lut­ter con­tre les manip­u­la­tions de l’information émanant de l’étranger sans renier leurs principes et sans restrein­dre les lib­ertés d’expression, d’opinion ou d’informer. Cer­tains États démoc­ra­tiques, comme la Fin­lande, la Norvège, les Pays-Bas, Tai­wan et l’Australie, ont mon­tré la voie, en encour­ageant, la résilience de leur société face aux ingérences infor­ma­tion­nelles étrangères sans pour autant affaib­lir leur régime de lib­ertés. La clé, à mes yeux, pour faire face à la men­ace que représente le Sharp Pow­er des régimes autori­taires à l’âge de l’intelligence arti­fi­cielle, réside dans une prise de con­science glob­ale, un état d’esprit de défense infor­ma­tion­nelle, l’adoption d’une stratégie nationale, et des mesures encour­ageant à la fois la trans­parence des opéra­tions d’ingérence, l’intégrité des espaces infor­ma­tion­nels, et la résilience durable de la pop­u­la­tion. ».[xix]

En France, c’est l’ARCOM qui est chargée de la régu­la­tion sys­témique des plate­formes ayant une activ­ité d’intermédiation en ligne, telles que les plate­formes de partage de vidéo, les réseaux soci­aux, les moteurs de recherche, les agré­ga­teurs et les mag­a­sins d’application. Ces ser­vices ont en effet l’obligation de met­tre en œuvre des out­ils et des moyens afin de répon­dre aux grands objec­tifs de poli­tique publique en matière de lutte con­tre les con­tenus illicites et préju­di­cia­bles et de pro­tec­tion du pub­lic.[xx]

La « manip­u­la­tion de l’information » est une notion qui inter­roge tant elle emporte des con­sid­éra­tions idéologiques et poli­tiques qui sus­ci­tent des remis­es en cause, car il existe aus­si une infor­ma­tion de la manip­u­la­tion qui prend par­fois appui sur des proces­sus présen­tés comme vertueux pour établir des « vérités con­testa­bles », voire réfuta­bles[xxi]. Les enquêtes d’opinion et de médi­amétrie n’échappent pas à ce risque en pro­duisant des don­nées sta­tis­tiques dont les inter­pré­ta­tions ne sont pas tou­jours dénués d’objectifs « subjectifs ».

Si l’influence con­stitue désor­mais un nou­velle fonc­tion stratégique de la stratégie de sécu­rité nationale, les milieux poli­tiques et médi­a­tiques ne sem­blent pas se souci­er de celles qui sont le fait de per­son­nal­ités français­es ou bina­tionales et/ou appar­tenant ou ayant appartenu à des cer­cles d’influence dont les objec­tifs et les intérêt ne coïn­ci­dent pas néces­saire­ment avec les intérêts supérieurs de la nation, les objec­tifs de valeur con­sti­tu­tion­nelle qui en assure la cohé­sion et la sin­gu­lar­ité, ou les intérêts essen­tiels de sécu­rité nationale.

→ La jurispru­dence con­séc­u­tive à la déci­sion du Con­seil d’État stip­u­lant que l’ARCOM doit pren­dre en compte la diver­sité des courants de pen­sée et d’opinions représen­tés par l’ensemble des par­tic­i­pants aux pro­grammes dif­fusés, y com­pris les chroniqueurs, ani­ma­teurs et invités, et pas unique­ment le temps d’intervention des per­son­nal­ités poli­tiques (le Con­seil d’État juge égale­ment que l’ARCOM doit s’assurer de l’indépendance de l’information au sein de la chaîne en ten­ant compte de l’ensemble de ses con­di­tions de fonc­tion­nement et des car­ac­téris­tiques de sa pro­gram­ma­tion, et pas seule­ment à par­tir de la séquence d’un extrait d’un pro­gramme par­ti­c­uli­er) indui­sait un élar­gisse­ment de jure du champ d’analyse relatif au thème trai­tant de la plu­ral­ité de l’information, qui a été glob­ale­ment négligé.

→ Les ques­tions soulevées par le rôle crois­sant des tech­nolo­gies totales, et en par­ti­c­uli­er de l’intelligence arti­fi­cielle généra­tive dans la pro­duc­tion d’information auraient mérité des inves­ti­ga­tions à la mesure de celles entre­pris­es dans le cadre européen.

→ En lien avec les points ci-dessus, et comme men­tion­né à plusieurs repris­es dans les coups de pro­jecteurs pro­posés par l’OJIM, les enjeux de régu­la­tion publique des médias d’information de nou­velle généra­tion qui mobilisent des jour­nal­istes indépen­dants non néces­saire­ment pro­fes­sion­nels n’ont pas fait l’objet d’investigations sig­ni­fica­tives bien que les Nations Unies comme l’Union européenne y por­tent une atten­tion spécifique.

Les EGI sont-ils parvenus à atteindre leurs objectifs ?

Si le cal­en­dri­er de ces EGI comme ces propo­si­tions-cadres et recom­man­da­tions s’inscrivent dans un agen­da par­ti­c­ulière­ment com­plexe qui a indu­bitable­ment impacté les travaux et leurs résul­tats, les propo­si­tions et recom­man­da­tions qui en résul­tent, pour utiles et néces­saires qu’elles soient, ne sauraient con­stituer cette « poli­tique glob­ale » revendiquée par le comité de pilotage, comme le met­tent en évi­dence les six pre­mières par­ties du dossier établi par l’OJIM.

Ce con­stat sévère ren­con­tre ceux dont ren­dent compte les réac­tions des syn­di­cats de jour­nal­isme ou encore Alex­is Lev­ri­er, maître de con­férence, chercheur asso­cié au GRIPIC (Sor­bonne Uni­ver­sité) et his­to­rien de la pressé : « Il fal­lait des solu­tions fortes pour réguler les médias, ren­forcer l’audiovisuel pub­lic, lut­ter con­tre la con­cen­tra­tion des groupes, ren­dre du pou­voir aux jour­nal­istes face à leurs action­naires. Là, mal­heureuse­ment, on a le sen­ti­ment que la recherche du con­sen­sus, la volon­té de ne pas déplaire au pou­voir poli­tique ont con­duit à des propo­si­tions en demi-teinte. »[xxii]

Muriel Bel­livi­er, psy­cho­logue du tra­vail, et Sarah Proust, experte asso­ciée à la Fon­da­tion Jean-Jau­rès et fon­da­trice de Selkis, con­sid­èrent que la co-con­truc­tion se résume bien sou­vent à une par­tic­i­pa­tion sur les à‑côtés, autrement dit sur ce qui in fine ne chang­era pas fon­da­men­tale­ment l’organisation.[xxi­ii]

Pour autant, les doc­u­ments pro­duits, par la richesse de leurs analy­ses, con­stituent indé­ni­able­ment une très belle base de doc­u­men­ta­tions pour une nou­velle itéra­tion de ces EGI ten­ant compte des obser­va­tions cri­tiques formulées.

Ce sep­tième arti­cle clôt le regard porté par l’OJIM sur les dif­férents travaux sur lesquels prend appui la resti­tu­tion offi­cielle des États généraux de l’information 2024 pro­posée par leur comité de pilotage. D’autres inves­ti­ga­tions ont per­mis d’examiner les posi­tions exprimées par les citoyens lors des dif­férents proces­sus de con­sul­ta­tion mis en œuvre[xxiv]. D’autres enfin devraient être réal­isées sur le rap­port de prospec­tive sur le monde de l’information en 2050 coor­don­né par l’Institut Nation­al de l’Audiovisuel (INA) ain­si que plusieurs experts.

Notes

[i] Voir le com­mu­niqué de l’Élysée : Lance­ment des États généraux de l’information

[ii] Voir à cet égard :

[iii] Pour exercer leurs com­pé­tences, les insti­tu­tions européennes peu­vent, au titre de l’article 288 du Traité sur le fonc­tion­nement de l’Union européenne, adopter des direc­tives qui lient les États mem­bres quant aux résul­tats à attein­dre en leur lais­sant le choix des moyens per­me­t­tant d’y par­venir. Ces direc­tives visent à établir des règles min­i­males com­munes à tous les États de l’Union.

[iv] Cf. les textes européens

[v]  Cf. Droit inter­na­tion­al de l’information : guide essentiel

[vi]  Cf. Principes mon­di­aux pour l’intégrité de l’information

[vii] Voir les con­tenus des liens suivants :

[viii] Cf. Tout savoir sur les nou­veaux règle­ments européens ain­si que Com­ment l’U­nion européenne con­trôle-t-elle les plate­formes numériques et quels sont les résultats ?

[ix] Cf. Entrée en vigueur du règle­ment sur l’IA

Voir égale­ment : Entrée en vigueur du règle­ment européen sur l’IA : les pre­mières ques­tions-répons­es de la CNIL

[x] Cf. pro­jet de loi sur la com­mu­ni­ca­tion audiovisuelle

[xi] Cf. Loi du 21 mai 2024, visant à sécuris­er et réguler l’e­space numérique

[xii] Cf. pro­jet de loi sur la com­mu­ni­ca­tion audiovisuelle

Voir l’article que lui con­sacre Vie publique : Propo­si­tion de loi rel­a­tive à la réforme de l’au­dio­vi­suel pub­lic et à la sou­veraineté audiovisuelle

[xiii] Cf. Note d’orientation no 8 Intégrité de l’information sur les plate­formes numériques

[xiv] Cf. le dossier établi par la Com­mis­sion européenne sur Lutte con­tre la dés­in­for­ma­tion en ligne

[xv] Extrait de Tra­jec­toires de l’immatérielQu’est-ce qu’un bien pub­lic ? Une enquête sur le sens et l’ampleur d’une social­i­sa­tion de l’utilité – Édi­tions du CNRS

[xvi] L’État exerce une tutelle sur le secteur des ser­vices d’intérêt général relatif à l’information et à la presse. Il dis­pose d’agences indépen­dantes ayant autorité pour veiller à ce que l’informatique soit au ser­vice du citoyen et qu’elle ne porte atteinte ni à l’identité humaine, ni aux droits de l’homme, ni à la vie privée et infor­ma­tique, ni aux lib­ertés indi­vidu­elles ou publiques (la CNIL), garan­tir la lib­erté de com­mu­ni­ca­tion et le respect des lois dans le secteur audio­vi­suel (l’ARCOM – voir plus par­ti­c­ulière­ment son Espace juridique) ou pour réguler les com­mu­ni­ca­tions élec­tron­iques et postales et la dis­tri­b­u­tion de la presse (l’ARCEP – voir plus par­ti­c­ulière­ment son espace con­sacré à La régu­la­tion), ain­si que d’un étab­lisse­ment pub­lic à car­ac­tère admin­is­tratif ayant pour mis­sion d’as­sur­er la plan­i­fi­ca­tion, la ges­tion et le con­trôle de l’u­til­i­sa­tion, y com­pris pri­v­a­tive, du domaine pub­lic des fréquences radioélec­triques (l’Anfr).

Par ailleurs, l’Agence nationale de la sécu­rité des sys­tèmes d’in­for­ma­tion (ANSSI) est l’au­torité nationale en matière de cybersécurité.

[xvii] Voir par exem­ple Glob­al risks report 2024

[xvi­ii] Cf. la  Loi n° 2024–850 du 25 juil­let 2024 visant à prévenir les ingérences étrangères en France

[xix] Cf. IA généra­tive et dés­in­for­ma­tion : quel impact sur les rap­ports de force exis­tants en géopolitique ?

[xx] Cf. Lutte con­tre la manip­u­la­tion de l’in­for­ma­tion : déc­la­ra­tions des opéra­teurs de plate­formes en ligne et ques­tion­naires de l’ARCOM

[xxi] Voir par exem­ple à cet égard les arti­cles que con­sacre l’OJIM aux décodeurs et autres fact chek­ers.

[xxii] Cf. États généraux de l’in­for­ma­tion : “Bol­loré peut dormir tranquille ”

[xxi­ii] Cf. La co-con­struc­tion tous azimuts, ou l’art que rien ne sorte de terre – Fon­da­tion Jean Jaurès

[xxiv] Voir le dossier établi par l’OJIM, et notam­ment Coups de pro­jecteur sur la par­tic­i­pa­tion citoyenne aux États Généraux de l’Information : conclusion

Vidéos à la une

Derniers portraits ajoutés