L’homme du mois de septembre 2024 est sans conteste Xavier Niel. Entre un spectacle à l’Olympia et la publication de son livre d’entretien avec Jean-Louis Missika intitulé Une sacrée envie de foutre le bordel, le patron de Free est sur tous les fronts. Disponible en librairie depuis le 25 septembre 2024, l’OJIM a parcouru ce livre attendu.
Un faux combat contre le « système »
Dès l’introduction, Jean-Louis Missika – vice-président d’Iliad, (rien à voir avec l’Institut Iliade ndlr) une société créée par Xavier Niel, cet ancien adjoint PS à la mairie de Paris – brosse le portrait de celui qu’il va interroger. De son passage en prison à la création de Free, du minitel rose aux diners avec Jeff Bezos, ce portrait évoque l’archétype du « self-made man à la française[1] ».
Au cours des quelques 250 pages de l’ouvrage transpire cette impression que la vie de Xavier Niel se résume à un combat qu’il aurait mené face au « système ». Qu’il s’agisse de son combat contre le système médiatique, politique – lorsqu’il a obtenu la possibilité de devenir le quatrième opérateur sur le marché durant le mandat de Nicolas Sarkozy –, ou judiciaire – lors de son incarcération en 2004 –, Niel est toujours victime de son côté décalé.
Une malheureuse victime
Une question revient souvent dans la bouche de Missika : « c’est tout ? ». Cette interrogation anodine revient lorsque Niel évoque certains de ses déboires, comme les accusations à son encontre dans la presse, son séjour en prison, ses relations avec certains de ses concurrents ou encore son implication concrète dans les médias qu’il possède. Dans son récit, Niel tend à simplifier énormément les choses, pour finalement presque toujours apparaître comme la victime du système.
Comment nier le réel
Au-delà du parcours de Xavier Niel, le livre regorge aussi de prises de position sur certains sujets. Dans le premier chapitre, Niel revient sur son enfance à Créteil. Une enfance heureuse dans un quartier aujourd’hui gangréné par la drogue. Dans ce passage, le patron de Free évoque une « intégration dans la douleur[2] ». Il peint également ses années collège, où il voit défiler des armes, du porno et des couteaux. Or, plutôt que d’admettre que les problèmes qu’il a rencontrés se sont aujourd’hui aggravés, comme l’illustrent les émeutes de juin 2023 qui ont atteint, entre bien d’autres, le quartier dans lequel il a grandi, il pointe du doigt des médias comme CNews qui extrapolent ces événements. Pour Xavier Niel, il n’y a pas plus d’attaques au couteau que dans les années 70.
Une pincée de politiquement correct
Cette pique contre l’extrême-droite est la première d’une série. Lorsqu’il évoque son grand-père sympathisant de Jean-Marie Le Pen et lecteur de Minute, il déclare qu’« il ne vieillissait pas bien[3] ». Vincent Bolloré est également victime de quelques attaques venant de Jean-Louis Missika, qui désigne Bolloré comme un homme opposé à l’indépendance de la presse.
Des coups de griffe contre les concurrents de Free
La presse est évidemment abordée dans le livre. Propriétaire du Monde, Xavier Niel est devenu un acteur central de ce secteur. C’est dans le chapitre 7 que le sujet est abordé. Niel se livre à de magnifiques pirouettes pour nier avoir pris dans des parts de la presse pour gagner en influence. Il n’aborde la question que sous un angle économique, admettant tout de même que son incarcération a eu un rôle mineur dans son choix d’investir dans la presse. D’un côté nous avons donc Xavier Niel, qui n’interviendrait pas dans les rédactions qu’il contrôle, tandis qu’en face se dresseraient les Drahi, Bouygues et Bolloré qui censureraient les médias qu’ils possèdent. Le propriétaire du Monde décoche ses flèches dans ce chapitre, parlant d’une interview partiellement censurée par des journalistes de BFM car dans celle-ci Niel égratignait SFR, propriété de Patrick Drahi. Il dépeint également Martin Bouygues comme un homme qui l’aurait menacé à demi-mot. Il évoque enfin un patron de presse qui désigne ses abonnés comme des « moutons qu’il faut tondre[4] ». Dans ce chapitre, Niel cultive encore son image d’homme à la marge de cette caste d’hommes d’affaires, évoquant la manière dont Bouygues le considérait comme un « romanichel ».
Enfin, Elon Musk n’échappe à sa petite critique. Niel en parle comme d’un entrepreneur billant mais un humain moyen. Il brocarde gentiment les extrémistes de la Silicon Valley.
En résumé, Niel veut se peindre comme l’homme antisystème par excellence. Il brocarde l’État tentaculaire qui lui a parfois mis des bâtons dans les roues, prétend vouloir mettre sa fortune au service des autres et rompre avec les méthodes d’antan dans les domaines technologiques. Malgré le ton souvent irrévérencieux que se donne Niel, le livre fait usage d’une certaine langue de bois afin d’esquiver certains sujets. Par ailleurs, l’ensemble des prises de position du livre sont parfaitement dans les codes actuels de la pensée dominante. Enfin, Niel ose se présenter comme un « self-made man » à rebours du système ; de la part du gendre de Bernard Arnault, la remarque ne manque pas de saveur…
Voir aussi : Xavier Niel, infographie
Notes
[1] Jean-Louis Missika, Xavier Niel ; Une sacrée envie de foutre le bordel ; Flammarion, p.8
[2] Jean-Louis Missika, Xavier Niel ; Une sacrée envie de foutre le bordel ; Flammarion, p.20
[3] Jean-Louis Missika, Xavier Niel ; Une sacrée envie de foutre le bordel ; Flammarion, p.18
[4] Jean-Louis Missika, Xavier Niel ; Une sacrée envie de foutre le bordel ; Flammarion, p.168