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Opération Mockingbird : quand la CIA contrôlait les médias

15 octobre 2024

Temps de lecture : 6 minutes
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Opération Mockingbird : quand la CIA contrôlait les médias

Temps de lecture : 6 minutes

Écoutes de la NSA, surveillance des réseaux sociaux, fausses accusations de collusion entre Trump et la Russie (Russiagate), étouffement, à la veille des élections de 2020, des révélations explosives contenues dans le pc portable d’Hunter Biden…

Der­rière ces scan­dales se pro­file, ravi­vant la rumeur per­sis­tante d’un État dans l’État, l’ombre des ren­seigne­ments améri­cains. Dernière­ment, Robert Kennedy a provo­qué l’ire des gros médias de grand chemin en déclarant : “L’Opération Mock­ing­bird est belle et bien vivante.” Opéra­tion Mock­ing­bird (oiseau moqueur), le mot est lâché ! Il désigne l’opération de la CIA, une des plus con­tro­ver­sées de son his­toire, révélée en 1975 par la com­mis­sion Church. Son objec­tif ? Manip­uler les médias améri­cains et étrangers au prof­it des États-Unis.

L’étrange Commission Church

Si les accu­sa­tions de Kennedy restent à prou­ver en 2024, le savoir-faire de la CIA en matière de dés­in­for­ma­tion n’est plus à démon­tr­er. La com­mis­sion Church est créée en réponse aux préoc­cu­pa­tions sus­citées par le scan­dale du Water­gate con­cer­nant l’implication de la CIA dans un cer­tain nom­bre d’activités con­tro­ver­sées (sur­veil­lances illé­gales, com­plots d’assassinats). Dans son rap­port final, il est écrit : « La CIA entre­tient un réseau de plusieurs cen­taines d’individus étrangers à tra­vers le monde, qui four­nissent des indi­ca­tions à la CIA et ten­tent par­fois d’influencer l’opinion au tra­vers de la pro­pa­gande déguisée. Ces indi­vidus four­nissent à la CIA des accès directs à un grand nom­bre de jour­naux et de péri­odiques, à des dizaines de ser­vices de presse et d’agences d’information, à des sta­tions de radio et de télévi­sion, à des édi­teurs de livres et autres sup­ports médi­a­tiques ». À not­er qu’il n’est nulle part fait men­tion dans les doc­u­ments déclas­si­fiés d’une “opéra­tion Mock­ing­bird”. L’expression appa­raît pour la pre­mière fois sous la plume de Déb­o­rah Davis dans sa biogra­phie non autorisée de Katharine Gra­ham pub­liée en 1979 (Kather­ine the great : Katherin Gra­ham and her Wash­ing­ton Post Empire). Elle est reprise dans les mémoires d’Howard Hunt, l’un des plom­biers du Watergate.

Voir aus­si : David Petraeus – ex-chef de la CIA, nou­veau mag­nat des médias en Europe de l’Est. L’enquête complète

Lancement dès 1948 par une branche de la CIA

Lancée en 1948 dans le con­texte de la guerre froide, l’opération est super­visée par l’OPC (Office Pol­i­cy of coor­di­na­tion), une branche de la CIA dirigée par Frank Wis­ner chargée de la “guerre psy­chologique”, de la guerre économique et de la sub­ver­sion des pays hos­tiles aux États-Unis. L’opération est si sen­si­ble qu’elle passera directe­ment aux mains des directeurs de la CIA. Allen Dulles (de 1953 à 1961) en par­ti­c­uli­er joua un rôle essen­tiel à sa mise en place. Elle s’inscrit dans un vaste plan d’ingénierie sociale visant à com­bat­tre le com­mu­nisme et exporter l’American way of life. À cette fin, la CIA lance des mag­a­zines, finance des films, crée des organ­i­sa­tions étu­di­antes, cul­turelles, intel­lectuelles, dont à Paris le Con­gress for cul­tur­al free­dom. La droite étant acquise à l’anticommunisme, il était essen­tiel pour la CIA de séduire une gauche anti­com­mu­niste, lib­er­taire, pro-européenne et, en France, anti­gaulliste. Pour con­trôler les esprits, il était encore indis­pens­able de domin­er les relais d’opinion : médias et maisons d’édition.

Voir aus­si : Les médias améri­cains, Prav­da de la CIA et des agences de renseignement ?

Les révélations de Carl Bernstein sur le New York Times et le Washington Post

Dans un arti­cle de référence pub­liée dans Rolling Stone en 1977, Carl Bern­stein, prix Pulitzer pour les révéla­tions du Water­gate explique la méth­ode de l’opération. Il s’agissait d’abord de tiss­er des liens forts avec les dirigeants des grands médias, des agences de presse, des majors de l’édition et de la radiod­if­fu­sion. Dulles lui-même, puis ses suc­cesseurs, ini­ti­aient les con­tacts, dont les plus célèbres furent Hen­ri Luce, pro­prié­taire du Wash­ing­ton Post et de Life et Sulzberg­er, l’éditeur du New-York Times. Devant la com­mis­sion Church, William Col­by, directeur de l’agence, a déclaré : “Ne nous en prenons pas à de pau­vres reporters, pour l’amour de Dieu. Allons voir du côté de la direc­tion. Ils étaient dans le coup.” La CIA recru­tait avec leur accord des jour­nal­istes, prin­ci­pale­ment des cor­re­spon­dants capa­bles de nouer des con­tacts avec des étrangers sus­cep­ti­bles de devenir espi­on pour le compte des États-Unis. Ces jour­nal­istes étaient ani­més par le patri­o­tisme, l’anticommunisme, le fris­son de l’espionnage et l’ambition, davan­tage que par l’argent. En échange, la CIA pou­vait leur fournir des infor­ma­tions leur per­me­t­tant de sor­tir des scoops et d’asseoir leurs répu­ta­tions. Le chroniqueur Joseph Aslop fut cer­taine­ment le jour­nal­iste le plus pres­tigieux à avoir col­laboré avec l’agence.

Technique de mise en abyme, des mensonges, des relais et l’invention de la vérité

La tech­nique de dés­in­for­ma­tion mas­sive était fondée sur la mise en abyme. Les jour­nal­istes liés à la CIA, placés dans de grands médias, dif­fu­saient des réc­its défor­més ou men­songers. Ces réc­its étaient ensuite relayés par des agences de presse, sources pour d’autres médias. Des jour­nal­istes non com­plices red­if­fu­saient “l’information” qui, au fur et à mesure, s’imposait comme la vérité, puisqu’elle sem­blait cor­roborée par de nom­breuses sources indépen­dantes. Ce plu­ral­isme de façade rend extrême­ment dif­fi­cile la dis­tinc­tion du vrai et du faux.

La CIA bloque les informations sur les 400 journalistes impliqués

La CIA n’a pas facil­ité la tâche de la com­mis­sion Church. Elle a fait en sorte qu’aucun jour­nal­istes et directeurs de pub­li­ca­tion ne soient inter­rogés. Pré­tex­tant un risque irré­para­ble pour l’appareil de ren­seigne­ment, elle a dif­fusé un min­i­mum de noms. On pense, esti­ma­tions bass­es, que 400 jour­nal­istes auraient col­laboré et que le réseau aurait comp­té env­i­ron 3000 per­son­nes. Offi­cielle­ment, l’opération Mock­ing­bird aurait été aban­don­née lorsque le suc­cesseur de William Col­by, George Bush, a déclaré le 28 juil­let 1976 :

À compter de ce jour, la CIA ne s’engagera dans aucune rela­tion rémunérée ou con­tractuelle avec un cor­re­spon­dant à temps plein ou par­tiel accrédité par quelques ser­vices de presse que ce soit, fût-il un jour­nal, un péri­odique, un réseau ou une chaîne de radio ou de télévi­sion des États-Unis.”

Il a cepen­dant ajouté gen­ti­ment que la CIA con­tin­uerait à “accueil­lir favor­able­ment la coopéra­tion volon­taire et non rémunérée des jour­nal­istes “. En 2014, le jour­nal­iste alle­mand Udo Ulfkotte, ancien rédac­teur en chef du Frank­furter All­ge­meine Zeitung, déclarait dans son livre Gekaufte jour­nal­is­ten (jour­nal­istes ven­dus) que la CIA con­tin­u­ait à manip­uler la presse européenne. Ulfkotte est mort étrange­ment deux ans après. De quoi ali­menter pour longtemps les sus­pi­cions… y com­pris au moment de l’élection prési­den­tielle améri­caine de novem­bre 2024.

Voir aus­si :
LA CIA ET LES MÉDIAS (1/6) – La manip­u­la­tion de la presse améri­caine (les-crises.fr)

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