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L’AJAR, la police de la pensée « antiraciste » qui vient dans les médias

19 octobre 2024

Temps de lecture : 7 minutes
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L’AJAR, la police de la pensée « antiraciste » qui vient dans les médias

Temps de lecture : 7 minutes

Fin septembre 2024, Le Média, chaîne de télévision la plus à gauche du panel français, disponible sur internet, YouTube et la Freebox, diffusait une présentation de l’Association des Journalistes Antiracistes et Racisé.e.s (AJAR) par deux de ses membres, deux jeunes femmes « racisées » âgées de moins de trente ans. Un véritable publi-reportage de plus de dix minutes.

L’AJAR, c’est quoi ?

D’après le site de l’association :

« L’Association des Jour­nal­istes Antiracistes et Racisé·e·s (AJAR), cest une asso­ci­a­tion de plus dune cen­taine de jour­nal­istes pro­fes­sion­nels lut­tant con­tre le racisme dans la pro­fes­sion et les pro­duc­tions médi­a­tiques. Passé·e·s en pub­lic depuis Mars 2023 par le biais dune tri­bune dans Libéra­tion, nous tra­vail­lons en com­mis­sions pour soutenir et aider les jour­nal­istes racisé·e·s, pro­duire de la cri­tique médi­a­tique, con­seiller de meilleures pra­tiques jour­nal­is­tiques. Nous réfléchissons à de meilleures méth­odes de recrute­ment en école et rédac­tion, à com­ment en faire des espaces accueil­lant réelle­ment les per­son­nes racisées, et à com­ment élim­in­er le racisme en leur sein. »

En un mot ce sont des non-blancs

Pré­ci­sions sur Le Média. D’après Khédi­ja Zer­ouali, l’une des deux jeunes femmes, et porte-parole de l’association, l’AJAR existe depuis mars 2023 (après la pub­li­ca­tion d’une tri­bune dans Libéra­tion) et com­porterait « à peu près 200 mem­bres », tous « jour­nal­istes racisé.es » de médias divers, depuis les médias tra­di­tion­nels en pas­sant par inter­net ou les pod­casts. Ils seraient par­fois en CDD, en CDI « beau­coup de pigistes ». Expli­ca­tion de ce dernier mot par la jeune jour­nal­iste « racisée » et coor­don­na­trice du Fes­ti­val AJAR (nous y revien­drons), Celia Gueu­ti : cela con­sis­terait à faire des rem­place­ments ou à être appelé en surnom­bre si l’actualité est pres­sante. Autrement dit, les médias con­sid­ér­eraient les jour­nal­istes non européens ou non-blancs comme de la main‑d’œuvre d’appoint (pas de sources ni de don­nées chiffrées pour venir à l’appui de ce sous-entendu).

Une asso­ci­a­tion de jour­nal­istes non-blancs en somme. Sur­prenant. Comme le serait peut-être un syn­di­cat sco­laire du sec­ondaire unique­ment blanc en Ile-de-France pour défendre des élèves de moins en moins européens con­tre le racisme anti-blanc ? (voir à pro­pos du « racisme anti blanc à l’école » le numéro 210, octo­bre-novem­bre 2024, du mag­a­zine Élé­ments). Cha­cun imag­in­era les réac­tions si un tel syn­di­cat exis­tait. Par con­tre, pour l’AJAR, silence radio. Pour­tant, l’association compte agir comme un syndicat.

Objec­tifs, selon la porte-parole : « En gros, on s’est don­né l’objectif de men­er la lutte antiraciste aus­si dans nos médias, en favorisant la diver­sité dans les embauch­es mais aus­si en faisant en sorte qu’il y ait une cou­ver­ture antiraciste exigeante dans nos médias ».

Une asso­ci­a­tion « racisée » ? Pour expos­er la rai­son d’être de l’AJAR, Khédi­ja Zer­ouali doit expli­quer le mot. Cela donne :

« Racisé, c’est qui subit le racisme, mais surtout est con­sid­éré par le groupe majori­taire comme faisant par­tie du groupe minori­taire. Et entre ces deux groupes, il y a évidem­ment un enjeu de pou­voir et de dom­i­na­tion ».

Pour repren­dre l’exemple de l’école : les élèves blancs des étab­lisse­ments sco­laires seraient donc eux-aus­si racisés ? L’on s’y perd. Notons que l’une des deux jeunes femmes est mar­seil­laise, l’autre d’origine nor­mande et parisi­enne. Quel est le groupe eth­nique majori­taire à Mar­seille aujourd’hui ? En tout cas, ces jeunes jour­nal­istes veu­lent inter­peller au sujet des « dis­crim­i­na­tions » et de la « vio­lence » qu’ils subi­raient. Dans un con­texte où cepen­dant les études pour devenir jour­nal­istes parais­sent plutôt ouvertes, un con­texte où exis­tent des asso­ci­a­tions comme le Bondy Blog qui vise à rem­plac­er les jour­nal­istes blancs par de plus foncés.

D’après la porte-parole de l’AJAR, l’association per­me­t­trait aux médias d’avancer « vers une écri­t­ure de la réal­ité plus proche de ce qu’elle est, en enl­e­vant les biais racistes du traite­ment médi­a­tique ». Hâte de voir son reportage sur le racisme dans les écoles du Nord de Mar­seille et quelques quartiers du « 9cube ».

Voir aus­si : Bondy Blog, la ban­lieue par­le aux bobos

Le racisme ? Ces journalistes le croisent tous les jours

Dis­ent-elles. Soit du fait de leur expéri­ence per­son­nelle, soit par des remon­tées de témoignages de col­lègues. Ain­si, Celia Gueu­ti, parisi­enne d’origine nor­mande, racon­te son stage dans la presse quo­ti­di­enne en Nor­mandie. Elle pen­sait « être bien accueil­lie » en revenant sur le lieu de ses orig­ines. Mais… elle s’est sen­tie au con­traire de trop, a eu l’impression de ne pas être à sa place. Un ressen­ti. Sen­ti­ment de racisme ? La porte-parole insiste : dans les médias, le peu de jour­nal­istes racisés seraient « essen­tial­isés par leur assig­na­tion » à des postes « que l’on con­sid­ère comme des postes d’arabes ou de noirs » (sujets sur les ban­lieues, sur l’Afrique). De la même manière, selon l’AJAR les médias essen­tialis­eraient les per­son­nes présen­tées dans l’actualité, les ren­voy­ant donc à leur orig­ine ou à leur couleur de peau. Retour de Celia Gueu­ti qui expose qu’une fois on lui a demandé de faire un arti­cle sur du rap (sous-enten­du car elle est noire. Il n’y a pas de rap blanc ?). Khédi­ja Zer­ouali racon­te une autre his­toire, une « blague » enten­due, selon elle, à plusieurs repris­es : « Sais-tu pourquoi les noirs n’ont pas de lignes de la main ? Parce qu’ils n’ont pas d’avenir ».

Création d’une police raciale du journalisme

En con­séquence, il faut agir. L’AJAR veut sur­veiller : il y a volon­té que les médias fassent remon­ter des don­nées, s’expliquent, con­cer­nant qui est représen­té, pourquoi, et pourquoi de telle ou telle manière. Khédi­ja Zer­ouali explique cela tran­quille­ment sans s’apercevoir qu’elle prône une police raciale. L’AJAR veut aus­si for­mer. L’association pro­pose des kits de for­ma­tion (si, si…), le pre­mier sur les out­re mers, avec « des réflex­ions sur les mots à utilis­er, ceux peut-être à ban­nir, ceux aux­quels il faut plus réfléchir » (sic). Un petit moment d’enthousiasme aus­si tout d’un coup : « On fait peur aus­si par­fois aux rédac­teurs en chef. Ils savent qu’il y a main­tenant une vigie antiraciste ». Ras­sur­ant pour la lib­erté d’expression. Le prochain grand objec­tif d’AJAR ? Que « Nos con­sœurs qui por­tent le voile puis­sent obtenir la carte de presse. C’est une dis­crim­i­na­tion qui est sex­iste, raciste et islam­o­phobe ».

Le site de l’AJAR est son prin­ci­pal vecteur d’action, à la fois lieu de recrute­ment de jour­nal­istes « racisés » et désireux de « lut­ter con­tre le racisme », deux con­di­tions indiquées comme insé­para­bles, et de dif­fu­sion. Le vis­i­teur y trou­vera essen­tielle­ment des com­mu­niqués con­tre l’extrême-droite et con­tre le traite­ment du con­flit entre Israël et les pales­tiniens dans les médias.

L’AJAR a organisé son premier festival

C’était les 5 et 6 octo­bre 2024 à La Friche de la Belle de Mai, à Mar­seille. Un fes­ti­val « sur l’antiracisme dans les médias ». Objec­tif ? « Réfléchir à com­ment on traite de la race dans les jour­naux à l’étranger, com­ment on par­le de la com­mu­nauté tzi­gane dans les médias, com­ment on par­le des des out­re mers et com­ment à Mar­seille, le racisme est dit dans le médias ». Tables ron­des, pod­casts, ate­liers professionnels…

Il y aurait eu 200 per­son­nes par jour et une ving­taine de conférenciers.

Le fes­ti­val béné­fi­ci­ait de parte­naires : Prenons la Une, Pro­fes­sion pigiste, Urgence Pales­tine Mar­seille, le Syn­di­cat nation­al des jour­nal­istes (SNJ) ou encore l’Association des jour­nal­istes les­bi­ennes, gays, bi-e‑s, trans et inter­sex­es (AJL) présen­taient leurs pro­pres actions.

Ce qui ressort d’une plongée dans l’AJAR ? Le fait de se trou­ver devant une obses­sion. Celle de la race. Tant du fait que du mot. Pour­tant, la dis­tinc­tion de pop­u­la­tions eth­niques au sein de la République française n’est-elle par inter­dite par la loi ? Vis­i­ble­ment, il y a race et race. Notons que dans le même ordre d’idées l’Agence France Presse (AFP) et Médi­a­part se sont dotés de postes de respon­s­able édi­to­r­i­al aux ques­tions raciales.

Voir aus­si : Pour Gilles Kepel, le Bondy Blog est dans la main des Frères musulmans

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