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Sus à Telegram de Pavel Durov : la confidentialité, voilà l’ennemi

5 novembre 2024

Temps de lecture : 8 minutes
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Sus à Telegram de Pavel Durov : la confidentialité, voilà l’ennemi

Temps de lecture : 8 minutes

Les États contrôlent tous les réseaux sociaux et messageries instantanées. Tous ? Non. Semblables au célébrissime village gaulois, X (ex-Twitter) et Telegram résistent encore (mais le second commence à céder) et toujours aux ordres. Ce qui leur vaut une haine qui n’a rien de cordiale de la part des médias de grand chemin.

Telegram, la messagerie vraiment confidentielle ou presque

Telegram est une appli­ca­tion de mes­sagerie instan­ta­née dirigée par Pavel Durov. On devrait dire Paul Du Rove, car ce Russe a choisi de pren­dre la nation­al­ité française en 2021 et d’adapter son nom. Telegram existe depuis 2013 et est par­ti­c­ulière­ment appré­cié de la droite con­ser­va­trice, qui y voit un canal d’échanges sûr garan­ti par une con­fi­den­tial­ité plus impor­tante que sur What­sApp. C’est à peu près ce que voulait Pavel Durov, selon qui Telegram doit per­me­t­tre à « des activistes et des gens ordi­naires » d’échanger sans risque face à des « gou­verne­ments et des entre­pris­es cor­rompues ». Telegram compte aujourd’hui un mil­liard d’utilisateurs, dont env­i­ron 50 000 dans l’Union européenne. En avril 2023, alors que sa plate­forme avait été blo­quée au Brésil (CF LE MONDE), il écrivait « La mis­sion de Telegram est de préserv­er la vie privée et la lib­erté d’expression dans le monde entier. Lorsque les lois locales vont à l’encontre de cette mis­sion ou imposent des exi­gences tech­nologique­ment irréal­is­ables, nous devons par­fois quit­ter ces marchés. […] De tels événe­ments, bien que regret­ta­bles, sont préférables à la trahi­son de nos util­isa­teurs et des con­vic­tions sur lesquelles nous avons été fondés. » Des con­vic­tions ravalées par L’Express au rang « d’argument mar­ket­ing » où se « retranche » Telegram.

Voir aus­si : Exten­sion du domaine de la cen­sure : arresta­tion à Paris de Pavel Durov, fon­da­teur de Telegram

Une confidentialité qui peut plaire aux criminels

Le revers de la médaille, c’est que cette con­fi­den­tial­ité ne plaît pas qu’aux lanceurs d’alerte et aux opposants à divers gou­verne­ments, mais aus­si aux crim­inels. Pavel Durov le déplore, et cherche des solu­tions pour l’éviter. Il affirme ne pas vouloir laiss­er « de mau­vais acteurs remet­tre en cause l’in­tégrité de [sa] plate­forme pour un mil­liard d’u­til­isa­teurs » et fustige « les crim­inels qui abusent de notre plate­forme pour éviter la justice ».

Ces États qui n’aiment pas la confidentialité

Avec X (ex-Twit­ter), Telegram fait donc par­tie des bêtes noires de cer­tains Etats, ain­si que de l’Union européenne. Le Dig­i­tal Ser­vices Act (DSA) souhaite ain­si impos­er aux réseaux soci­aux de répon­dre aux réqui­si­tions judi­ci­aires, et depuis son entrée en vigueur, les deman­des d’informations afflu­ent vers Telegram. En neuf mois, le Brésil a fait 200 requêtes. L’Inde, le plus gros marché de Télé­gram, près de 7 000 sur la même péri­ode. Des faits qui peu­vent être com­pris comme une vague de ten­ta­tives de répres­sion. Comme Telegram ne répond pas à toutes ces deman­des, les États, repris en chœur par les médias, l’accusent de ne pas répon­dre aux sol­lic­i­ta­tions de la jus­tice lorsque cette dernière enquête sur le traf­ic de drogue, le blanchi­ment crim­inel ou la dif­fu­sion d’images pédo­pornographiques. À les enten­dre, il n’y a guère que quand ses réqui­si­tions touchent au ter­ror­isme que la jus­tice peut espér­er être entendue.

Comment la répression s’organise

Le 24 août 2024, Pavel Durov était arrêté à la porte de son avion, au Bour­get, alors qu’il venait d’atterrir. S’ensuit une garde à vue de qua­tre jours, une mise en exa­m­en le 28 août, puis une remise en lib­erté sous con­trôle judi­ci­aire moyen­nant une inter­dic­tion de quit­ter le ter­ri­toire et un cau­tion­nement de 5 mil­lions d’euros. Entretemps, l’ambassade de Russie plaide pour sa libéra­tion sur X. La jus­tice l’accuse de com­plic­ité de dif­fu­sion d’images à car­ac­tère pédo­pornographique et de traf­ic de stupé­fi­ants, accu­sa­tions que Telegram réfute. L’application estime se con­former aux oblig­a­tions du DSA, et plus large­ment au droit de l’Union européenne. À cette époque, Elon Musk a de son côté maille à par­tir avec le Brésil, qui voudrait que cer­tains comptes d’extrême-droite soient modérés.

Voir aus­si : Dig­i­tal Ser­vices Act : l’UE veut impos­er ses normes et sa vision du monde à sens unique

Les compromis de Telegram et X

Face à ces pres­sions, Elon Musk et Pavel Durov ont fini par met­tre de l’eau dans leur vin. Le pre­mier paye une amende de 5 mil­lions d’euros et bloque cer­tains comptes accusés de pro­mou­voir la dés­in­for­ma­tion au Brésil. Pavel Durov, lui, a con­fir­mé le 2 octo­bre blo­quer sur le moteur de recherche de Telegram cer­tains mots-clés pou­vant men­er à des canaux, c’est-à-dire des groupes de dis­cus­sion, con­cer­nant les ventes d’armes, de drogue ou de ser­vices illé­gaux. Les adress­es IP et numéros de télé­phone d’utilisateurs qui enfreindraient la loi pour­ront égale­ment être com­mu­niqués à la jus­tice. Il pré­ci­sait cepen­dant que ces dis­po­si­tions exis­taient depuis 2018. La poli­tique de con­fi­den­tial­ité de Telegram a cepen­dant changé. Elle pré­ci­sait autre­fois n’avoir jamais trans­mis d’adresse IP ou de numéro de télé­phone à la jus­tice. Elle explique main­tenant qu’elle le fera si elle reçoit « une ordon­nance valide des autorités judi­ci­aires com­pé­tentes » et après avoir mené « une analyse juridique de la demande ».

Voir aus­si : Meta, une cen­sure de gauche libérale lib­er­taire insti­tu­tion­nal­isée. Troisième partie

Les médias contre Telegram

Il serait aus­si vain qu’angélique de nier l’usage que font les crim­inels, notam­ment ter­ror­istes et pédocrim­inels, des mes­sageries instan­ta­nées et des réseaux soci­aux. Ils utilisent Telegram et X (ex-Twit­ter), c’est évi­dent. Peut-on néan­moins croire qu’ils n’utilisent pas Face­book ou What­sApp ? C’est dif­fi­cile, et cela sem­ble néan­moins être l’opinion de cer­tains dirigeants qui s’acharnent sur les uns plutôt que sur les autres. L’Express affirme ain­si que Telegram est la plate­forme « adorée des cybercriminels ».

Au reste, les médias évi­tent soigneuse­ment cette faille dans le raison­nement de nos poli­tiques et se con­tentent de not­er, à l’instar du Monde, que Elon Musk, qui dirige X, et Pavel Durov, à la tête de Telegram, « vien­nent de s’incliner devant des régu­la­teurs d’États démoc­ra­tiques ». Pavel Durov « cède » selon L’Humanité. On sor­ti­rait presque les cotil­lons, la lib­erté a gag­né. Le Monde con­tin­ue : « loin d’être une zone de non-droit, Inter­net peut se pli­er aux règles ». Il faut pour cela « se don­ner les moyens de les faire respecter, quitte à utilis­er la manière forte comme l’ont fait le plus légale­ment du monde les juges français et brésiliens. » Le plus légale­ment du monde pré­cise le quo­ti­di­en, afin de couper l’herbe sous le pied à ceux qui craindraient une sur­veil­lance exces­sive de leurs faits et gestes.

Radio France, elle, a choisi de décrédi­bilis­er Pavel Durov dans une dimen­sion plus per­son­nelle. En 2021, il obtient son Diplôme d’études en langue française niveau B1 dans le cadre de son acces­sion à la citoyen­neté française. « Un niveau inter­mé­di­aire qui ne lui per­me­t­tra pas, quelques années plus tard, lors de sa garde à vue, de répon­dre aux enquê­teurs en français. Il s’exprimera en russe, puis en anglais », note Radio France. Le coup est assez bas, et on attend du jour­nal­iste, qui a prob­a­ble­ment un niveau supérieur à B1 en anglais, qu’il s’exprime en cette langue lors d’une enquête judi­ci­aire. Le stress risque d’affaiblir son niveau.

Telegram et X, premiers concurrents des médias

Les réseaux soci­aux et mes­sageries instan­ta­nées véhicu­lent deux risques : la cen­sure et la sur­veil­lance. On a vu pen­dant la crise san­i­taire com­bi­en le pre­mier était impor­tant, avec la sup­pres­sion de cer­taines pub­li­ca­tions, la sus­pen­sion de comptes, les con­tenus com­pat­i­bles avec la doxa ambiante placés par les appli­ca­tions sous les pub­li­ca­tions sul­fureuses. Quant à la sur­veil­lance, elle est juste­ment la rai­son pour laque­lle tant d’utilisateurs choi­sis­sent Telegram. On sait depuis plusieurs années, et sans aucun doute pos­si­ble, que Meta vend les don­nées des util­isa­teurs à des entre­pris­es, notam­ment à des fins pub­lic­i­taires et met ses serveurs à la dis­po­si­tion des ser­vices de ren­seigne­ment améri­cains sur demande. Si ce type de vente est rageant, imag­in­er que ces mêmes don­nées ail­lent à des États est plus inquié­tant. Si une per­son­ne qui enfreint la loi peut voir ses don­nées trans­mis­es à la jus­tice, qui empêchera l’État de créer un délit d’opinion qui lui per­me­t­tra un véri­ta­ble coup de filet sur tous les comptes suiv­ant une per­son­nal­ité ou une autre ? Au reste, L’Humanité n’attend que cela, et met sans dif­fi­culté « des groupes de mil­i­tants d’extrême droite, des dji­hadistes, des pédophiles et moult trafics illé­gaux en tous gen­res » dans le même panier, comme si les électeurs d’Eric Zem­mour et de Marine Le Pen étaient des pédocriminels.

Au-delà des risques liés aux réseaux soci­aux, ce qui se joue dans ce nou­veau feuil­leton qu’est le duel entre X et Telegram et les médias, c’est l’avènement de nou­veaux con­cur­rents dans le monde de l’information. Bien des titres sont aujourd’hui inqui­ets de voir bien des citoyens s’informer sur X et Telegram plutôt que dans les médias recon­nus. En effet, lorsqu’on suit le compte de Jean-Luc Mélen­chon, le biais idéologique est affiché et recon­nu. C’est loin d’être le cas lorsqu’on suit France Inter, alors que…

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