Les États contrôlent tous les réseaux sociaux et messageries instantanées. Tous ? Non. Semblables au célébrissime village gaulois, X (ex-Twitter) et Telegram résistent encore (mais le second commence à céder) et toujours aux ordres. Ce qui leur vaut une haine qui n’a rien de cordiale de la part des médias de grand chemin.
Telegram, la messagerie vraiment confidentielle ou presque
Telegram est une application de messagerie instantanée dirigée par Pavel Durov. On devrait dire Paul Du Rove, car ce Russe a choisi de prendre la nationalité française en 2021 et d’adapter son nom. Telegram existe depuis 2013 et est particulièrement apprécié de la droite conservatrice, qui y voit un canal d’échanges sûr garanti par une confidentialité plus importante que sur WhatsApp. C’est à peu près ce que voulait Pavel Durov, selon qui Telegram doit permettre à « des activistes et des gens ordinaires » d’échanger sans risque face à des « gouvernements et des entreprises corrompues ». Telegram compte aujourd’hui un milliard d’utilisateurs, dont environ 50 000 dans l’Union européenne. En avril 2023, alors que sa plateforme avait été bloquée au Brésil (CF LE MONDE), il écrivait « La mission de Telegram est de préserver la vie privée et la liberté d’expression dans le monde entier. Lorsque les lois locales vont à l’encontre de cette mission ou imposent des exigences technologiquement irréalisables, nous devons parfois quitter ces marchés. […] De tels événements, bien que regrettables, sont préférables à la trahison de nos utilisateurs et des convictions sur lesquelles nous avons été fondés. » Des convictions ravalées par L’Express au rang « d’argument marketing » où se « retranche » Telegram.
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Une confidentialité qui peut plaire aux criminels
Le revers de la médaille, c’est que cette confidentialité ne plaît pas qu’aux lanceurs d’alerte et aux opposants à divers gouvernements, mais aussi aux criminels. Pavel Durov le déplore, et cherche des solutions pour l’éviter. Il affirme ne pas vouloir laisser « de mauvais acteurs remettre en cause l’intégrité de [sa] plateforme pour un milliard d’utilisateurs » et fustige « les criminels qui abusent de notre plateforme pour éviter la justice ».
Ces États qui n’aiment pas la confidentialité
Avec X (ex-Twitter), Telegram fait donc partie des bêtes noires de certains Etats, ainsi que de l’Union européenne. Le Digital Services Act (DSA) souhaite ainsi imposer aux réseaux sociaux de répondre aux réquisitions judiciaires, et depuis son entrée en vigueur, les demandes d’informations affluent vers Telegram. En neuf mois, le Brésil a fait 200 requêtes. L’Inde, le plus gros marché de Télégram, près de 7 000 sur la même période. Des faits qui peuvent être compris comme une vague de tentatives de répression. Comme Telegram ne répond pas à toutes ces demandes, les États, repris en chœur par les médias, l’accusent de ne pas répondre aux sollicitations de la justice lorsque cette dernière enquête sur le trafic de drogue, le blanchiment criminel ou la diffusion d’images pédopornographiques. À les entendre, il n’y a guère que quand ses réquisitions touchent au terrorisme que la justice peut espérer être entendue.
Comment la répression s’organise
Le 24 août 2024, Pavel Durov était arrêté à la porte de son avion, au Bourget, alors qu’il venait d’atterrir. S’ensuit une garde à vue de quatre jours, une mise en examen le 28 août, puis une remise en liberté sous contrôle judiciaire moyennant une interdiction de quitter le territoire et un cautionnement de 5 millions d’euros. Entretemps, l’ambassade de Russie plaide pour sa libération sur X. La justice l’accuse de complicité de diffusion d’images à caractère pédopornographique et de trafic de stupéfiants, accusations que Telegram réfute. L’application estime se conformer aux obligations du DSA, et plus largement au droit de l’Union européenne. À cette époque, Elon Musk a de son côté maille à partir avec le Brésil, qui voudrait que certains comptes d’extrême-droite soient modérés.
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Les compromis de Telegram et X
Face à ces pressions, Elon Musk et Pavel Durov ont fini par mettre de l’eau dans leur vin. Le premier paye une amende de 5 millions d’euros et bloque certains comptes accusés de promouvoir la désinformation au Brésil. Pavel Durov, lui, a confirmé le 2 octobre bloquer sur le moteur de recherche de Telegram certains mots-clés pouvant mener à des canaux, c’est-à-dire des groupes de discussion, concernant les ventes d’armes, de drogue ou de services illégaux. Les adresses IP et numéros de téléphone d’utilisateurs qui enfreindraient la loi pourront également être communiqués à la justice. Il précisait cependant que ces dispositions existaient depuis 2018. La politique de confidentialité de Telegram a cependant changé. Elle précisait autrefois n’avoir jamais transmis d’adresse IP ou de numéro de téléphone à la justice. Elle explique maintenant qu’elle le fera si elle reçoit « une ordonnance valide des autorités judiciaires compétentes » et après avoir mené « une analyse juridique de la demande ».
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Les médias contre Telegram
Il serait aussi vain qu’angélique de nier l’usage que font les criminels, notamment terroristes et pédocriminels, des messageries instantanées et des réseaux sociaux. Ils utilisent Telegram et X (ex-Twitter), c’est évident. Peut-on néanmoins croire qu’ils n’utilisent pas Facebook ou WhatsApp ? C’est difficile, et cela semble néanmoins être l’opinion de certains dirigeants qui s’acharnent sur les uns plutôt que sur les autres. L’Express affirme ainsi que Telegram est la plateforme « adorée des cybercriminels ».
Au reste, les médias évitent soigneusement cette faille dans le raisonnement de nos politiques et se contentent de noter, à l’instar du Monde, que Elon Musk, qui dirige X, et Pavel Durov, à la tête de Telegram, « viennent de s’incliner devant des régulateurs d’États démocratiques ». Pavel Durov « cède » selon L’Humanité. On sortirait presque les cotillons, la liberté a gagné. Le Monde continue : « loin d’être une zone de non-droit, Internet peut se plier aux règles ». Il faut pour cela « se donner les moyens de les faire respecter, quitte à utiliser la manière forte comme l’ont fait le plus légalement du monde les juges français et brésiliens. » Le plus légalement du monde précise le quotidien, afin de couper l’herbe sous le pied à ceux qui craindraient une surveillance excessive de leurs faits et gestes.
Radio France, elle, a choisi de décrédibiliser Pavel Durov dans une dimension plus personnelle. En 2021, il obtient son Diplôme d’études en langue française niveau B1 dans le cadre de son accession à la citoyenneté française. « Un niveau intermédiaire qui ne lui permettra pas, quelques années plus tard, lors de sa garde à vue, de répondre aux enquêteurs en français. Il s’exprimera en russe, puis en anglais », note Radio France. Le coup est assez bas, et on attend du journaliste, qui a probablement un niveau supérieur à B1 en anglais, qu’il s’exprime en cette langue lors d’une enquête judiciaire. Le stress risque d’affaiblir son niveau.
Telegram et X, premiers concurrents des médias
Les réseaux sociaux et messageries instantanées véhiculent deux risques : la censure et la surveillance. On a vu pendant la crise sanitaire combien le premier était important, avec la suppression de certaines publications, la suspension de comptes, les contenus compatibles avec la doxa ambiante placés par les applications sous les publications sulfureuses. Quant à la surveillance, elle est justement la raison pour laquelle tant d’utilisateurs choisissent Telegram. On sait depuis plusieurs années, et sans aucun doute possible, que Meta vend les données des utilisateurs à des entreprises, notamment à des fins publicitaires et met ses serveurs à la disposition des services de renseignement américains sur demande. Si ce type de vente est rageant, imaginer que ces mêmes données aillent à des États est plus inquiétant. Si une personne qui enfreint la loi peut voir ses données transmises à la justice, qui empêchera l’État de créer un délit d’opinion qui lui permettra un véritable coup de filet sur tous les comptes suivant une personnalité ou une autre ? Au reste, L’Humanité n’attend que cela, et met sans difficulté « des groupes de militants d’extrême droite, des djihadistes, des pédophiles et moult trafics illégaux en tous genres » dans le même panier, comme si les électeurs d’Eric Zemmour et de Marine Le Pen étaient des pédocriminels.
Au-delà des risques liés aux réseaux sociaux, ce qui se joue dans ce nouveau feuilleton qu’est le duel entre X et Telegram et les médias, c’est l’avènement de nouveaux concurrents dans le monde de l’information. Bien des titres sont aujourd’hui inquiets de voir bien des citoyens s’informer sur X et Telegram plutôt que dans les médias reconnus. En effet, lorsqu’on suit le compte de Jean-Luc Mélenchon, le biais idéologique est affiché et reconnu. C’est loin d’être le cas lorsqu’on suit France Inter, alors que…