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Liberté d’expression : 7 arrestations pour « harcèlement de Thomas Jolly »

13 novembre 2024

Temps de lecture : 8 minutes
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Liberté d’expression : 7 arrestations pour « harcèlement de Thomas Jolly »

Temps de lecture : 8 minutes

Le journal Libération, dans un article de sa rubrique Justice, intitulé Cyberharcèlement de Thomas Jolly, directeur artistique des JO : sept interpellations, nous apprend que « l’enquête sur la haine qui s’est déchargée en ligne après la cérémonie d’ouverture des JO avance. « Une première vague » de « sept interpellations » a été menée cette semaine partout en France dans l’enquête pour cyberharcèlement subi notamment par Thomas Jolly, directeur artistique des cérémonies des JO, a fait savoir ce jeudi 24 octobre une source proche du dossier. Une enquête avait été ouverte par le parquet de Paris le 31 juillet dernier.

Professionnel de la haine ?

« C’est une pre­mière vague d’interpellations. Il y en aura d’autres, les enquê­teurs iront jusqu’au bout », a prévenu cette même source, con­fir­mant une infor­ma­tion de France Info. Six hommes de 22 à 79 ans et une femme de 57 ans sont mis en cause. […] «Cer­tains ont des pro­fils inquié­tants», souligne une source proche du dossier. Elle va jusqu’à qual­i­fi­er l’un d’eux de pro­fes­sion­nel de la haine».» « Pro­fes­sion­nel de la haine » laisse songeur, j’ig­no­rais que ce fût une caté­gorie judi­ci­aire ou journalistique.

Le har­cèle­ment, on ne peut que le déplor­er. C’est un point acquis, qui ne doit, pour autant, nous sous­traire à un débat de fond sur la céré­monie dont il est ques­tion, les inten­tions de son met­teur en scène et la récep­tion du pub­lic. Libéra­tion, comme à son habi­tude, s’y dérobe en pointant l’i­den­tité de ceux qui con­tes­tent la valeur soit sym­bol­ique, soit esthé­tique, voire politi­co-idéologique, de la céré­monie. En effet, pourquoi dis­cuter les argu­ments quand on peut tout sim­ple­ment dis­qual­i­fi­er les contradicteurs ?

Une cérémonie d’ouverture « festive » ?

Pour Libéra­tion, les choses sont sim­ples : « La céré­monie d’ouverture, qui a illu­miné la Seine le 26 juil­let, a beau avoir été applaudie par des mil­lions de spec­ta­teurs et téléspec­ta­teurs, le tableau Fes­tiv­ité et son Philippe Kater­ine tout de bleu – légère­ment vêtu — avait fait sor­tir de leurs gonds les milieux con­ser­va­teurs et d’extrême droite. Car cer­tains y ont vu une repro­duc­tion de la célèbre fresque murale de de Vin­ci, la Cène, représen­ta­tion du dernier repas de Jésus avec les douze apôtres. «Scène de déri­sion et de moquerie du chris­tian­isme», accu­sait la Con­férence des évêques de France ; «pro­pa­gande woke» cla­mait Mar­i­on Maréchal. »

Et l’on sait bien qu’être con­ser­va­teur – ô Mânes de Chateaubriand — est déjà, sinon un déra­page, du moins une franche glis­sade sur la pati­noire du poli­tique­ment cor­rect, une injure au bons sens – le sens du vent idéologique -, au bon goût et surtout à la bien­pen­sance, dont la gauche, en arbi­tre des élé­gances auto-proclamée, détient seule les codes. Exit ces trou­ble-fêtes – c’est le cas de le dire ! — dont les bougonnements inces­sants ne valent pas mieux qu’une démangeai­son d’eczé­ma­teux  incur­ables. Quant à l’ex­trême-droite, j’ai fail­li me sign­er pour m’en exor­cis­er préven­tive­ment en lisant ce pas­sage de l’article.

Les mânes de Philippe Muray

Philippe Muray, fin con­nais­seur des fes­tiv­ités post-mod­ernes, nous avait prévenu : « La nou­velle civil­i­sa­tion, dont la vie totale­ment fes­tive est le but, et où les fêtes pro­pre­ment dites ne sont qu’un moyen, est matricielle et mater­nelle. L’autre, sous n’im­porte laque­lle de ses formes, est donc le démon qui la hante. » L’autre qui hante Libéra­tion, pour­tant si inclusif, n’est autre que la fig­ure du mal, à ses degrés divers : du con­ser­va­teur à l’ex­trême-droite, en pas­sant par la Con­férence des évêques, pour­tant si déli­cate dans ses remontrances…

Ce désir d’in­clu­siv­ité para­dox­al, qui finit par exclure toute sen­si­bil­ité alter­na­tive, rétive aux délires wok­istes, est une curiosité en soi. Elle s’est man­i­festée par l’en­trem­ise du prési­dent, avec un éclat sans défail­lance : Emmanuel Macron, en qual­ité de chef d’orchestre semi-occulte, semi-exhi­bi­tion­niste, se fit orac­u­laire comme à l’accoutumée, enton­nant des hosan­nas exta­tiques dignes de la liturgie dont il se fit le grand-prêtre. En effet, le prési­dent plas­tron­na fière­ment : « Les Jeux de Paris seront les plus durables, les plus inclusifs, les plus par­i­taires de l’Histoire. L’ouverture, aucun pays ne l’a ten­tée avant. » J’ai con­nu une DRH qui pui­sait dans ce même lex­ique : elle était foudroy­ante d’éloquence. Mer­ci pour les autres nations, au pas­sage, qui n’ont apparem­ment pas encore assim­ilé les prérog­a­tives de l’in­clu­siv­ité sinon ses pré­ceptes incantatoires…

Si les réac­tions provo­quées par cette céré­monie furent sou­vent vives, elles le doivent à ce que, selon le mot de Bar­bey d’Au­re­vil­ly « l’imag­i­na­tion con­tin­uera d’être d’i­ci longtemps la plus puis­sante réal­ité qu’il y ait dans la vie des hommes. » S’a­joutèrent à cela, des scènes jugées blas­phé­ma­toires, revendiquées comme telles d’abord, assor­ties de déné­ga­tions à mesure que le scan­dale ne pou­vait plus être évité.

La Cène et Dionysos

Amau­ry Brelet, rédac­teur en chef du jour­nal Valeurs actuelles, a relevé les con­tra­dic­tions dans la com­mu­ni­ca­tion des organ­isa­teurs de la céré­monie. Je cite : « La Cène n’é­tait « pas mon inspi­ra­tion », a expliqué Thomas Jol­ly, met­teur en scène de la céré­monie d’ou­ver­ture des JO de Paris 2024 : « Je crois que c’é­tait assez clair, il y a Dionysos qui arrive sur cette table… » (BFMTV). En réal­ité, 44 min­utes sépar­ent la scène en ques­tion (1:53:25), qui ressem­ble forte­ment à la Cène de Léonard de Vin­ci, et la scène avec Dionysos inter­prétée par Philippe Kater­ine (2:37:17) (vidéo sur le site de France Télévi­sions). Dans un tweet sup­primé depuis, le dif­fuseur offi­ciel, tou­jours France Télévi­sions, a célébré « une mise en Cène légendaire » (sic). La drag queen Piche, présente sur le pont ce soir-là, a recon­nu qu’il s’agis­sait de la Cène et évo­qué une « représen­ta­tion biblique » (BFMTV). La DJ et activiste LGBT Bar­bara Butch, présente aus­si, a loué sur Insta­gram un « Nou­veau tes­ta­ment gay ». Un des auteurs du réc­it de la céré­monie, Damien Gabri­ac, a acqui­escé quand une jour­nal­iste l’a inter­rogé sur cette « Cène avec des queers » (France Inter). La planète entière ou presque y a vu la Cène, la presse y com­pris Le Monde, et même Jean Luc Mélen­chon !  Bref, Thomas Jol­ly, au mieux, a joué sur l’am­biguïté, au pire, nous prend pour des cons. À vous de décider. »

Jean-Jacques Wunen­burg­er, dans son ouvrage Mytho-poli­tiques, His­toire des imag­i­naires au pou­voir, nous rap­pelle que, dans le monde antique « le mod­èle socio-poli­tique se com­prend comme une organ­i­sa­tion voulue et con­trôlée par le monde sur­na­turel des dieux, dont le mythe racon­te les hauts-faits. Il en résulte des insti­tu­tions, valeurs, pro­jets large­ment mar­qués par des con­cep­tions sym­bol­iques, des réc­its mythiques. »

Et quel fut le réc­it mythique véhiculé par cette céré­monie d’ou­ver­ture : l’in­clu­siv­ité pré­cisé­ment. D’où la référence à Dionysos, opposé au Christ moqué dans cette par­o­die de la Cène – oppo­si­tion qui ne doit rien à Niet­zsche à mon sens mais c’est une autre ques­tion. Pourquoi Dionysos ? Parce qu’il cor­re­spond au fan­tasme fusion­nel pro­pre à l’imag­i­naire inclu­siviste, à la fois por­teur d’un hédon­isme orgiaque et com­mu­nau­taire et d’une libéra­tion pul­sion­nelle sans frein. Le Christ est cru­ci­fié au nom de la souf­france, dont l’u­nivers men­tal du fes­tivisme ne veut plus, alors que Dionysos invite à l’é­clate­ment – on va s’é­clater ! — par la pro­fu­sion du désir et du plaisir. L’orgie, la par­touze par­ticipe de ce mou­ve­ment brown­ien d’in­clu­sion tous azimuts, de grand bras­sage, de métis­sage par le désir.

Post-modernité soixante-huitarde

C’est, au fond, ce qui cor­re­spond bien à la post-moder­nité issue de mai 68. En effet, Jean-Jacques Wunen­burg­er ajoute, à pro­pos de l’imag­i­naire qui a mobil­isé ce mou­ve­ment trans­gres­sif et fes­tif : « Elle s’in­scrit dans un autre grand réc­it spon­tanéiste alter­natif de trans­ges­sions des normes et des lim­ites imposées par la cul­ture occi­den­tale, plus que par la seule classe bour­geoise (« Il est inter­dit d’in­ter­dire », « sous les pavés la plage », « l’imag­i­na­tion au pou­voir »). Cet imag­i­naire est enfant d’Or­phée, de la sex­u­al­ité libérée, de la nudité, du désir, de la com­mu­nauté, etc… Il com­bat la morale bour­geoise, de la loi, de la norme, comme le réc­it marx­iste com­bat l’ac­cu­mu­la­tion et l’ex­ploita­tion, mais en dénonçant à son opposé l’al­ié­na­tion même du tra­vail et de ses con­fig­u­ra­tions cul­turelles rationnelles. Cet imag­i­naire d’une jeunesse non salariée, aux antipodes des intérêts de la classe ouvrière, se sent plus proche de Dionysos que de Prométhée et capte des mythèmes du pagan­isme (antichré­tien) et des hérésies gnos­tiques (adamites). » L’imag­i­naire hédon­iste et fes­tif a trou­vé sa fig­ure mythique tutélaire et Thomas Jol­ly ne s’y est pas trompé…

Ce qui a attiré mon atten­tion, pour finir, c’est cette remar­que de Jean-Jacques Wunen­burg­er, au détour d’une phrase, qui me sem­ble saisir le fond de l’af­faire : « le dion­y­sisme au con­traire, inspiré de tra­di­tions religieuses allogènes, exalte plutôt des com­mu­nautés mys­tiques qui ne sont pas sans rap­port, his­torique­ment en Grèce, avec des tyran­nies. » Plus loin : « À l’op­posé de l’or­dre de la polis autonome, régie par un Nomos, cette mys­tique est en quête d’une social­ité alter­na­tive, davan­tage fondée sur la dis­tri­b­u­tion hiérar­chique des parts et l’u­nité fusion­nelle de la com­mu­nauté. His­torique­ment, ce mythe socio-religieux accom­pa­gne d’ailleurs surtout les expéri­ences de la tyran­nie grecque (Pisis­trate, Ono­macrite, Hippias). »

Et si tout cela n’é­tait rien d’autre, finale­ment, que la célébra­tion de l’a­n­ar­cho-tyran­nie, c’est-à-dire le har­cèle­ment en toute impunité d’un peu­ple par une petite caste fanatisée par une idéolo­gie déli­rante et qui se per­met de pren­dre une céré­monie de portée nationale et même inter­na­tionale en otage pour cracher sa haine des peu­ples encore attachés à leur iden­tité et à leurs tra­di­tions ? Qui har­cèle qui ?

Jean Mon­talte

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