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The Spectator, prestigieux magazine conservateur britannique, racheté par le propriétaire de GB News

17 novembre 2024

Temps de lecture : 6 minutes
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The Spectator, prestigieux magazine conservateur britannique, racheté par le propriétaire de GB News

Temps de lecture : 6 minutes

Le gestionnaire de fonds d’investissement Paul Marshall a racheté l’hebdomadaire conservateur The Spectator et est également en lice pour racheter le journal conservateur Telegraph, qui comprend le site telegraph.co.uk, le quotidien papier The Daily Telegraph et l’édition papier du week-end The Sunday Telegraph. Le rachat de l’hebdomadaire The Spectator englobe aussi celui du mensuel d’art Apollo. Avec la jeune chaîne télévisée d’information en continu GB News, c’est un véritable groupe médiatique conservateur qui est en train de se constituer au Royaume-Uni, qui comprend aussi le site de réinformation UnHerd fondé en 2017 par le même Paul Marshall. UnHerd est un jeu de mot : prononcé comme Unheard (jamais entendu), il s’écrit avec « un » (l’équivalent du préfixe français « dé », comme dans « défaire ») et le nom « herd » pour troupeau, comme pour un troupeau de moutons, ou encore le verbe « herd » pour rassembler ou conduire le troupeau.

Saisie des éditeurs par la Lloyds Bank

Le Tele­graph et le Spec­ta­tor avaient été mis en vente en 2023 après la saisie des deux jour­naux par la Lloyds Bank à laque­lle leurs pro­prié­taires, les frères Bar­clay, devaient 1,2 mil­liards de livres ster­ling. Une option avait alors été prise pour leur rachat par Red­Bird IMI, une co-entre­prise de l’Américain Red­Bird Cap­i­tal Part­ners et d’International Media Invest­ments (IMI). IMI est une com­pag­nie basée aux Émi­rats Arabes Unis qui appar­tient au cheikh Man­sour bin Zayed Al Nahyan, actuel vice-prési­dent et vice-pre­mier min­istre émi­rati, ce qui a sus­cité des protes­ta­tions dans les milieux poli­tiques et médi­a­tiques out­re-Manche. Finale­ment, le gou­verne­ment tory de Rishi Sunak a réa­gi en jan­vi­er en promet­tant de blo­quer la trans­ac­tion et le Par­lement a mod­i­fié la loi en mars. Un gou­verne­ment étranger ne peut désor­mais plus acquérir, directe­ment ou indi­recte­ment, par exem­ple par le biais de fonds d’investissement privés comme dans le cas d’IMI, plus de 0,1 % des parts d’un média du Roy­aume-Uni, ceci afin d’éviter que les médias puis­sent être con­trôlés par une puis­sance étrangère.

100M de livres pour Spectator

Red­Bird IMI, qui avait ver­sé 600 mil­lions de livres ster­ling pour son option d’achat, cherche depuis à ren­tr­er dans ses fonds et a par con­séquent lancé un appel d’offres pour la vente du Spec­ta­tor et du Tele­graph. L’affaire est donc bouclée pour le Spec­ta­tor, qui se tar­gue d’être le plus ancien mag­a­zine au Roy­aume-Uni (il date de 1826), au prix de 100 mil­lions de livres sterling.

« Le prix auquel nous avons été ven­dus, 100 mil­lions de livres ster­ling, témoigne de cette con­fi­ance en notre poten­tiel », s’est réjouit le rédac­teur-en-chef de l’hebdomadaire, Fras­er Nel­son dans son édi­to­r­i­al du 10 sep­tem­bre, après l’annonce de la vente.

« Nous étions éval­ués à 20 mil­lions de livres ster­ling lorsque nous nous sommes séparés du Dai­ly Tele­graph en 2005. Depuis, le marché des mag­a­zines a chuté d’environ deux tiers, mais nos abon­nements ont plus que dou­blé. Cette mul­ti­pli­ca­tion par cinq de la valeur de notre entre­prise est, pour le moins, rare dans notre secteur d’activité. L’appel d’offres a attiré 22 acheteurs poten­tiels, dont cer­tains des plus grands et des plus respec­tés noms de l’édition bri­tan­nique et européenne. Pas mal pour une pub­li­ca­tion qui compte juste une grosse trentaine de jour­nal­istes. »

Pour Nel­son, la réus­site du Spec­ta­tor prou­ve qu’il y a encore de la place pour un jour­nal­isme de qual­ité. Et de citer un ancien mem­bre de la rédac­tion du jour­nal, le romanci­er écos­sais John Buchan, qui avait affir­mé en 1928 :

« Il est fatal d’avoir l’oreille tou­jours col­lée au sol, de ne par­ler que de choses douces à enten­dre, de ne don­ner à ses lecteurs que ce que l’on pense qu’ils aimeront. C’est ain­si que l’on peut obtenir une pop­u­lar­ité tem­po­raire, mais pas une pop­u­lar­ité durable. Pour gag­n­er un pub­lic, il faut du tact et du bon sens ; pour le con­serv­er, il faut de l’intégrité et du courage. Le Spec­ta­tor a eu une influ­ence unique par­mi nos com­pa­tri­otes, une influ­ence gag­née non pas par des arti­fices de pacotille, mais par la fran­chise morale et intel­lectuelle. »

Le Telegraph toujours en vente

Trois can­di­dats restent en lice pour le Tele­graph, dont juste­ment Paul Mar­shall. Pour ren­tr­er dans ses fonds, Red­Bird IMI doit désor­mais en obtenir au min­i­mum 500 mil­lions de livres ster­ling, sans compter les frais qui ont for­cé­ment dû être occa­sion­nés par la ges­tion de ce dossier et des mois de lob­by­ing infructueux. La somme obtenue pour le Spec­ta­tor ayant dépassé les attentes, il est fort pos­si­ble que ce seuil des 500 mil­lions de livres soit dépassé. Le deux­ième round d’appels d’offres a démar­ré fin sep­tem­bre. Paul Mar­shall aura face à lui Nadim Zahawi, ancien min­istre des finances de Boris John­son et prési­dent du Par­ti con­ser­va­teur pen­dant les pre­miers mois du gou­verne­ment Sunak. D’après la chaîne Sky News, Zahawi pour­rait con­fi­er à Boris John­son un rôle majeur dans la direc­tion du Tele­graph si son offre l’emporte. Nation­al World Pub­lish­ing Ltd, groupe médi­a­tique comp­tant une cen­taine de jour­naux et sites Web à son act­if est lui aus­si encore dans les cordes. Le pro­prié­taire du Dai­ly Mail s’était égale­ment porté can­di­dat mais s’est retiré au début de l’été en rai­son du risque de voir la trans­ac­tion blo­quée par les autorités de la con­cur­rence. Mais out­re les trois can­di­dats déjà cités, d’après la BBC le mag­nat des médias Rupert Mur­doch serait lui aus­si encore en lice pour le rachat du Tele­graph, ce qui porterait à qua­tre le nom­bre de can­di­dats dans ce deux­ième round d’appels d’offres. La BBC, média pub­lic dont le pen­chant à gauche n’est plus à prou­ver, s’inquiète du risque de voir Paul Mar­shall l’emporter « alors qu’il pour­suit son pro­jet de con­struc­tion d’un empire de médias de droite ».

Du pluralisme, mais britannique

Quoi qu’il en soit, grâce à la loi défini­tive­ment adop­tée en mars par la Cham­bre des Lords, le Tele­graph et le Spec­ta­tor res­teront bri­tan­niques et con­tin­ueront de con­tribuer de manière indépen­dante à ce vrai plu­ral­isme médi­a­tique qui existe encore out­re-Manche, beau­coup plus que dans l’Hexagone. Un plu­ral­isme et une lib­erté des médias défendus à tra­vers tous les par­tis poli­tiques. Le rédac­teur-en-chef du Spec­ta­tor, Fras­er Nel­son, le soulig­nait dans son édi­to­r­i­al du 26 mars dernier, inti­t­ulé « L’offre d’achat des Émi­rats arabes unis pour The Spec­ta­tor est ter­minée » :

« Il ne s’agissait pas d’une ques­tion de fac­tion ou de par­ti. Le suc­cès a plusieurs pères, mais Thang­ham Debon­naire, min­istre de la cul­ture du gou­verne­ment fan­tôme, a fait bouger les choses en renou­ve­lant l’engagement du par­ti tra­vail­liste en faveur de la lib­erté de la presse et en se déclarant opposée par principe à l’accord avec les Émi­rats arabes unis. Les libéraux-démoc­rates se sont mon­trés réso­lus, tant aux Com­munes qu’aux Lords. Car­o­line Lukas, des Verts, a apporté son sou­tien. Même les mem­bres du Par­ti nation­al écos­sais SNP ont souligné qu’il était man­i­feste­ment insen­sé de laiss­er des puis­sances étrangères acheter des jour­naux nationaux. Peu de caus­es béné­fi­cient d’un véri­ta­ble sou­tien inter­par­tis, mais l’interdiction pour les gou­verne­ments d’acheter des jour­naux est l’une d’entre elles. »

Une sit­u­a­tion qui con­traste avec la nôtre, notam­ment à la lumière de la présence qatarie dans les médias français.

Voir aus­si : Au Roy­aume-Uni, la chaîne anti-woke GB News con­firme son suc­cès après des débuts difficiles

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