Quand un policier interroge un peu rudement un délinquant, on dit qu’il le « cuisine ». C’est ce qui est arrivé à Jordan Bardella quand il s’est rendu sur le plateau de France 2 pour parler de son livre Ce que je cherche, le 9 novembre 2024.
Objectif, le coincer entre Trump et Poutine
Durant près d’une heure, Jordan Bardella, sous pression constante, a donné des gages de sa bien-pensance espérée. Harcelé d’abord par Léa Salamé, puis par Christophe Dechavanne et enfin par les autres chroniqueurs, Bardella a donné des preuves du changement opéré par le RN depuis une quinzaine d’années. Au bout de deux minutes, Léa Salamé interroge son invité sur l’élection de Trump afin de savoir s’il s’agit d’une bonne ou d’une mauvaise nouvelle pour la France. Aculé dans les cordes, Bardella cherche à s’extirper de ce mauvais pas en soulignant l’aspect très américain de Donald Trump pour finir sur la nécessité d’avoir un dirigeant patriote pour un pays.
Deuxième sujet sur lequel Bardella est sommé de se positionner : l’Ukraine. Ici le jeune homme de 29 ans est plus clair. Il note qu’« il faut mettre Poutine en échec », et appuie le fait que « l’objectif doit être la paix ». Si Bardella essaie de nuancer son propos, évoquant une « guerre complexe », Thomas Snégaroff est bien là pour lui rappeler que cette guerre est simple selon le point de vue américain version Joe Biden : il faut détruire Poutine.
Dernier petit taquet, lorsque Gaspard G, un vidéaste, demande à Bardella ce qui le dérange chez Trump. L’un des chroniqueurs cite « le climat », une perche que le président du Rassemblement national s’empresse de saisir, soulignant que cette position est propre aux américains. Dans cette séquence on sent Bardella pris au piège entre une certaine sympathie pour Trump et la nécessité qu’il a fait sienne de paraître fréquentable. Au bout du compte, il apparaît comme « trumpiste mais pas trop », une position délicate alors que les chroniqueurs cherchent à le montrer comme un trumpiste pur et dur.
Le Pen diabolisé et Léa Salamé dans le déni
Nous le constatons, Bardella est venu sur le plateau de Quelle époque ! afin de parachever (une fois de plus, mais ce ne sera jamais assez) la dédiabolisation du RN. Rien de surprenant, alors, à le voir honnir Jean-Marie Le Pen. Le mot « outrance » est le seul que Bardella a à la bouche pour qualifier le fondateur du Front National. Si on peut regretter certaines sorties médiatiques du Menhir, le réduire à cela et oublier son combat contre l’immigration, combat mené depuis 1972 et sans lequel Jordan Bardella ne pourrait pas être président du RN, peut être considéré à tout le moins comme très réducteur.
Cependant, toute la bonne volonté du monde ne suffira pas à rendre le RN fréquentable aux yeux du service public. Léa Salamé – compagne de Raphaël Glucksmann – se veut formelle : sans rire, elle affirme que le RN a le même traitement médiatique que tous les autres partis. Macron ou Attal seraient mis à la même enseigne que Jordan Bardella. Une affirmation naïve qui nie la propagande mise en place, par exemple, lors de la nomination de Gabriel Attal à Matignon où son talent politique était encensé sur tous les plateaux de grand chemin.
Voir aussi : Léa Salamé, portrait
Enfin un bel exemple de malhonnêteté intellectuelle nous a été offert par Christophe Dechavanne. Après un quart d’heure d’entretien, l’ancien présentateur de Ciel mon mardi cite une déclaration de Bardella dans laquelle il brocarde la gauche qui appelle les flics des barbares car ils tuent la population. Dechavanne, se croyant sans doute malin, l’interroge : « de quelle gauche parlez-vous ? ». Bardella lui répond en citant LFI et Dechavanne lui réplique que « LFI ce n’est pas la gauche. ». Nous avons été surpris de voir qu’en France, ce serait Christophe Dechavanne qui décide ce qui est ou n’est pas la gauche ? Rappelons que le conseil d’Etat a lui-même classé la France Insoumise à gauche de l’échiquier politique.
De cette heure d’entretien nous retenons finalement peu de choses. Comme souvent, Jordan Bardella a aligné les éléments de langage face à un parterre de journalistes de grand chemin ayant pour seul but de le pousser à la faute. Si le président du RN s’en sort relativement bien dans cet exercice, peu de choses nous renseignent sur sa vision de la France, sans doute par manque de journalistes…