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David Dufresne

22 novembre 2024

Temps de lecture : 12 minutes
Accueil | Portraits | David Dufresne
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David Dufresne

Temps de lecture : 12 minutes

La police en ligne de mire des black blocks

« Ce qui mintéresse dans le Punk et le Rap, cest le rap­port à la police », France Cul­ture, 2019.

Formé à l’école des radios et les fanzines, rejeton de la contre-culture punk, David Dufresne est mû depuis son plus jeune âge par une obsession, celle de « surveiller les surveillants ». Jeune gauchiste révolté subissant les vexations de la police, il finit presque naturellement par être reporter au service « police-justice » de Libération. Après de brefs passages à i>Télé et Mediapart, il tourne le dos au journalisme traditionnel pour explorer de nouveaux formats et ausculter l’Amérique du Nord, à la fois objet de fascination et épouvantail pour ce communiste fan de Nirvana. Il devient une figure de premier plan de la gauche radicale à partir de 2019 lorsqu’il couvre les débordements de violence au moment des Gilets Jaunes. Exit le journalisme, l’homme aime à se définir comme un lanceur d’alerte et occupe le terrain sur Internet afin de ne pas le laisser à l’extrême-droite. Portrait depuis la tranchée.

Formation

Né en avril 1968 à Poitiers, il grandit avec un beau-père ébéniste et une mère car­toman­ci­enne dans une famille à la col­oration poli­tique mar­quée: il est le petit-fils par sa mère de Françoise d’Eaubonne, intel­lectuelle com­mu­niste et anti­colo­nial­iste, con­nue pour avoir forgé le terme d’ « écofémin­isme ». et plas­tiqué le chantier de la cen­trale nucléaire de Fes­sen­heim en 1975. Dans un col­lège privé de la ban­lieue poitevine, il se rap­pelle qu’on lui tendait « des tracts à dis­tribuer à nos par­ents pour les appel­er à ne pas vot­er socia­lo-com­mu­niste ». Après son bac­calau­réat obtenu au Lycée Vic­tor Hugo de Poitiers, il monte à Paris en 1986 à 18 ans. A son arrivée, il occupe illé­gale­ment un apparte­ment pen­dant quelques mois. Deux ans plus tard, il inter­rompt ses études pour se vouer pleine­ment à la lutte politique.

Parcours professionnel

1983

À 14 ans, il rejoint une radio libre, Radio Paris Ouest, et lance le fanzine Tant qu’il y aura du rock, qu’il fait imprimer à la mai­son de la cul­ture de Poitiers. Il ne tarde pas à être approché par le Par­ti social­iste local, « qui cher­chait à recruter des jeunes, et qui m’a invité à la gar­den par­ty de l’Élysée ».

1986

Il est de la foule d’étudiants qui man­i­feste dans les rues du Quarti­er Latin le jour de la mort de Malik Oussekine. Il pré­tend avoir été lui-même pour­chas­sé par les voltigeurs. La même année, il crée Com­bo! avec Yan­nick Bourg, une revue mêlant rock et polar.

1986 — 1989

Suit des groupes en tournées pour le mag­a­zine rock Best. En par­al­lèle, il tra­vaille pour le label musi­cal Bondage pen­dant deux ans où il s’occupe, entre autres, de la con­cep­tion de pochettes et dis­tri­b­u­tion des disques.

1993

Fonde le quo­ti­di­en Le Jour qui ne dur­era que quelques mois. Il con­tribue ça et là à Actuel, le mag­a­zine de la con­tre-cul­ture de l’époque.

1994 — 2002

Devenu reporter pour Libéra­tion, il fonde seul en par­al­lèle La Rafale!, l’un des pre­miers webzines français. Les deux dernières années, il tient la chronique télévi­suelle du quotidien.

2002

Démarché par Bernard Zekri, directeur de la rédac­tion d’i‑Télé qui lui promet « une chaîne rock d’information », il passe de l’autre côté du petit écran. Il est pen­dant un an, un des cinq rédac­teurs en chef adjoint que compte la chaîne. L’expérience dure un an : « Je ne veux plus cau­tion­ner ça. Et à un moment arrive ce qui va être un drame nation­al. Une émis­sion ou Éric Zem­mour fait ses class­es. Ça s’appelle “Ça se dis­pute”. C’est Éric Zem­mour face à Bar­bi­er, je crois. On est en 2003 ». Il habite à cette époque à Saint-Denis et se retrou­ve aux pre­mières loges lorsqu’éclate les émeutes de 2005. Il quitte la Seine-Saint-Denis et s’installe dans sa mai­son de cam­pagne nor­mande en 2007.

2008 — 2010

Par­ticipe au début de l’aventure Medi­a­part où il se retrou­ve chargé des ques­tions de police et de lib­ertés publiques. Mais le jour­nal­iste estime avoir fait le tour de la ques­tion : « Je me rends compte que je ne suis plus fait à l’idée de la rédac­tion. L’idée du col­lègue de bureau, de la réu­nion de prévi­sion, de la machine à café, c’est fini pour moi ».

2011 — 2018

Il démé­nage à Mon­tréal où il vit pen­dant huit ans. Sa car­rière de jour­nal­iste indépen­dant et de doc­u­men­tariste l’amène à délaiss­er l’actualité hexag­o­nale pour celle de l’Amérique du Nord. Il admet se recon­naître plus volon­tiers dans les valeurs cana­di­ennes : « Les prob­lé­ma­tiques des deux pays ne sont pas du tout les mêmes : le chô­mage, l’im­mi­gra­tion n’oc­cu­pent pas autant de place qu’i­ci. L’op­po­si­tion au mariage pour tous a été un choc pour les Québé­cois, où les per­son­nes de même sexe peu­vent s’u­nir depuis 2004. La droiti­sa­tion de la France est incom­prise dans un tel vol­ume, tout comme le poids du passé dans le débat poli­tique ». Par­al­lèle­ment, il enseigne à l’INIS de Mon­tréal et est pro­fesseur-invité à l’École des Médias de l’Université du Québec à Mon­tréal (UQAM).

2019

Revenu en France, il se met à, recenser dès décem­bre 2018 sur son compte Twit­ter les témoignages de blessés par tirs de lanceurs de balles de défense (LBD) et de grenades lors des man­i­fes­ta­tions des Gilets jaunes. Prenant à témoin le min­istère de l’Intérieur sur Twit­ter en relayant des vidéos pris­es sur le vif, il devient rapi­de­ment un inter­locu­teur priv­ilégié pour les médias qui cherchent à tout prix à com­pren­dre phénomène qui les dépasse. Dès lors, il n’aura de cesse de met­tre au cen­tre du débat pub­lic, par ses livres et ses doc­u­men­taires, les abus des forces de l’ordre.

Il enseigne tou­jours, cette fois à l’Académie du jour­nal et des médias de l’Université de Neuchâ­tel en Suisse.

2021

Il fonde le média libre auposte.fr et ani­me une émis­sion de débats et d’échange avec des jour­nal­istes et des intel­lectuels de gauche rad­i­cale deux fois par semaine sur le plate­forme Twitch.

Parcours militant

Dans un entre­tien à Charles, il détaille ses préférences en matière élec­torale : « Au pre­mier tour, j’ai tou­jours voté pour la Ligue (com­mu­niste révo­lu­tion­naire, ndlr) ou alors éco­lo. J’ai longtemps estimé que les écol­o­gistes étaient en avance sur les ques­tions de société ». En 2002, il vote pour Chirac au sec­ond tour. En 2017, il vote Mélen­chon au pre­mier tour et Macron au second.

Depuis Mon­tréal, il se présente comme can­di­dat au sein du Par­ti pirate aux élec­tions lég­isla­tives en 2012, en tant que sup­pléant de Pierre Mounier dans le XXe arrondisse­ment de Paris. Déçu de l’expérience, il se rend compte « qu’au sein du Par­ti pirate, il y avait des lib­er­taires comme moi mais aus­si des libéro-lib­er­taires défen­dant la loi de la jun­gle, qui venaient de l’extrême-droite ».

Publications choisies

  • Main­tien de l’ordre, édi­tions Hachette, 2007.
  • Tarnac, mag­a­sin général, Cal­mann-Levy, 2012.
  • Dernière som­ma­tion, Gras­set, 2019.
  • Coro­na Chroniques, édi­tions du Détour, 2020.
  • 19h59, Gras­set, 2022.

Filmographie choisie

  • Quand la France s’embrase, avec Christophe Bou­quet, 2007.
  • Prison Val­ley, avec Philippe Brault, Arte/Upian 2010.
  • Fort Mac Mon­ey, Office nation­al du film du Cana­da 2015.
  • Un pays qui se tient sage, 2020.

Distinctions

Chose rare, il reçoit deux fois le Grand Prix du Jour­nal­isme aux Assis­es inter­na­tionales du Jour­nal­isme, la pre­mière fois en 2012 pour « Tarnac, mag­a­sin général », et la sec­onde fois en 2019 pour son pro­jet « Allô Place Beau­vau » sur les vio­lences poli­cières. Son tra­vail est alors recon­nu par l’ONU, le Con­seil de l’Europe et le Par­lement européen.

Il a rem­porté le prix Italia et World Press Pho­to 2011 (caté­gorie œuvre non linéaire) pour son web­doc­u­men­taire Prison Val­ley (avec Philippe Brault). C’est cette récom­pense qui lui ouvre les portes du MIT Open Doc­u­men­tary lab, où il sera artiste en rési­dence deux années.

Nébuleuse

Il a fait par­tie du con­seil d’administration élar­gi de la Société des Réal­isa­teurs Français (SRF).

Mar­su, men­tor de ses jeunes années, fon­da­teur du label Bondage et man­ag­er du groupe punk antifaciste Béruri­er Noir

Alexan­dre Bra­chet, fon­da­teur d’Upian, société de pro­duc­tion inter­ac­tive et stu­dio de créa­tion de sites, qui a pro­duit ses pre­miers webdocumentaires.

Bernard Zekri et Jean-François Bizot, respec­tive­ment grand reporter et rédac­teur en chef d’Actuel au début des années 90.

Gérard Desportes, cofon­da­teur de Medi­a­part et ancien de Libéra­tion dont il a con­tribué à bâtir le site web.

Mireille Paoli­ni, , son éditrice au Seuil, qui le définit comme un « mani­aque », « fou des dates », et un « super-gros bosseur ».

Sil­vain Gire, vieil ami, cofon­da­teur et ancien respon­s­able édi­to­r­i­al d’Arte Radio.

« C’est un geek, un archiviste, un ency­clopédiste, lim­ite obses­sion­nel (sur le punk rock, les sit­u­a­tion­nistes, le rap, le Net, etc.), mais capa­ble, aus­si, de tout lâcher ».

Il a dit

« J’étais per­suadé ne pas vot­er au sec­ond tour de l’élection de 2017, mais ce qui m’a fait com­plète­ment bas­culer, c’est L’Infiltré. De me retrou­ver en tant que citoyen, on va dire, dans les meet­ings de Marine Le Pen. La réu­nion qui m’a le plus effrayé, c’est celle de Per­pig­nan. Il n’y a pas grand monde : 1700 per­son­nes. Mais ils sont tous là à hurler : « On est chez nous ! On est chez nous ! » Ça n’a rien à voir avec le « On est chez nous » des stades de foot. Ici, c’est un cri fas­ciste », Charles, 04/10/2017.

« Et en effet, toutes ces cita­tions tour­nent autour d’une même idée, la déf­i­ni­tion de Max Weber de 1919 : « L’État revendique pour son pro­pre compte le mono­pole de la vio­lence physique légitime ». Je crois que là, il y a tout. Qu’est-ce que c’est que l’État ? Qui est Macron ? Il est élu de manière minori­taire. « Mono­pole », s’il y a bien quelque chose que l’on peut dis­cuter, c’est la ques­tion du mono­pole. « Vio­lence physique légitime », quelle légitim­ité ? Quelle vio­lence ? Et surtout le mot clé qui est tou­jours oublié parce que la phrase est tou­jours résumée autrement : « L’État a le mono­pole ». Non, l’État « revendique » ! L’État revendique. Si quelqu’un revendique, ça veut dire que c’est une négo­ci­a­tion, un appel, que ça n’est ni établi ni coulé dans le mar­bre », Posi­tions, 17/11/2019.

« Ruth Elkrief ne dit jamais d’où elle par­le. Anne-Sophie Lapix non plus. Moi j’aimerais bien. Taha Bouhafs ou Gas­pard Glanz le dis­ent. Du coup, on les traite de mil­i­tants, alors que le mil­i­tant masqué est beau­coup plus sournois. Dire d’où l’on vient per­met de don­ner une per­spec­tive sur les faits », Street­Press, 25/11/2019

« Mon seul regret d’i‑Télé, c’est d’y avoir passé une année de trop. Parce que la télé, c’est un piège : elle arrive à attir­er des gens bien, que la struc­ture trans­forme en rouages. J’ai vu des indi­vidus se com­porter comme des chiens pour pass­er à l’antenne. Quand je refuse, pen­dant les « gilets jaunes », d’aller à BFMTV, je n’entre pas dans les détails de ma déci­sion. Elle est sim­ple : avec mon bagage d’i‑Télé, je sais com­ment ça marche, je ne veux pas par­ticiper à ces débats où on court après deux con­tre-vérités et trois lâchetés », La revue des médias, 2020.

« C’est rigo­lo cette ques­tion de la rela­tion entre mon goût du polar et mon intérêt pour les flics. Je crois que je m’intéresse moins au crime qu’à la lib­erté. Je suis épris de lib­erté. Ça passe par le punk rock, Brel, la sur­veil­lance de la police, des ques­tion­nements sur la prison. J’ai dû pass­er 8 ans à Libé, et au fond ce que j’ai le plus aimé c’était les procès », Fon­du au noir, 24 août 2020.

« La finalité du film, cest avant tout de nour­rir le débat. Il peut — enfin — y avoir un débat sur les vio­lences poli­cières, dû au tra­vail abat­tu depuis des années par des chercheurs, des col­lec­tifs, des familles de vic­times, des vic­times, quelques rares jour­nal­istes, des doc­u­men­taristes, des écrivains, des avo­cats. Ce débat existe et main­tenant, il faut lampli­fi­er », BPI, 25/09/2020.

« Je vivais à Saint Denis quand les émeutes de 2005 sont sur­v­enues, je con­sidère que ces révoltes sont un des événe­ments poli­tiques le plus mar­quants depuis 1968, et dont une infime par­tie, juste­ment de ceux que vous appelez les intel­lectuel·le·s, ont tiré les leçons », Bondy Blog, 05/10/2020.

« Puisque les trolls ED se réveil­lent. Si la presse est aidée, c’est qu’elle est la con­di­tion même d’une société où le débat est au cœur. Et que la dite presse n’a pas voca­tion à être rentable », Twit­ter, 25/10/2024.

Vie privée

Père de trois enfants issu d’une pre­mière union, il réside dans le 14e arrondisse­ment de Paris. Il partage aujourd’hui sa vie avec Ani­ta Hugi, réal­isatrice et direc­trice du fes­ti­val de ciné­ma « Journées de Soleure ». Ensem­ble, ils ont réal­isé en 2016 « Dada data » (une célébra­tion du cen­te­naire du dadaïsme en forme d’hommage dig­i­tal) et, en 2018, « Han­na la Rouge » (un doc­u­men­taire inter­ac­t­if retraçant l’histoire de la répres­sion par l’armée de la grève générale suisse de 1918).

Ils ont dit

« Le réc­it flotte et est desservi par un Dard­el-Dufresne bien trop présent. À la lec­ture, je me suis inquiété pour la grosseur de ses chevilles. Je le lui dis et ça le vexe comme un pou. Davduf passe la dernière heure de notre entre­tien à m’ex­pli­quer pourquoi je me trompe. […] Il passe la semaine suiv­ante à m’en­voy­er des mes­sages pour, en résumé, «éviter tout malen­ten­du même si tu es libre d’écrire ce que tu veux». A tel point que je finis par lui pro­pos­er de rédi­ger le papi­er à ma place. Peut-être qu’il le fera d’ailleurs », Libéra­tion, 15/11/2019.

« Il est indis­so­cia­ble de ses sujets, et ça lui donne une énergie incroy­able­ment com­mu­nica­tive quand tu tra­vailles avec lui. Et, en même temps, il a tou­jours besoin de se fâch­er. Pour rester libre, il faut que ça pète. Il est dans la théâtralité de la vie et des ami­tié », Flo­rent Latrive, coau­teur de Dufresne pour l’ouvrage Pirates et flics du net, Ibid.

« C’est quelqu’un qui est resté fidèle à ses idéaux de jeunesse en y appli­quant une grande rigueur jour­nal­is­tique, c’est rare dans ce méti­er », Marine Turchi, Street­Press, 25/11/2019.

« David Dufresne, jour­nal­iste « spé­cial­isé » dans la police, nous a même docte­ment expliqué que les black blocs – qui n’existent pas – provo­quent la police pour « prou­ver » la vio­lence poli­cière et faire la démon­stra­tion de l’illégitimité de la vio­lence d’État », L’Express, 01/04/2023.

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