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Les médias polonais aux prises avec la « démocratie militante » de l’Européen Donald Tusk

24 novembre 2024

Temps de lecture : 8 minutes
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Les médias polonais aux prises avec la « démocratie militante » de l’Européen Donald Tusk

Temps de lecture : 8 minutes

En Pologne, la gauche libérale pro-UE gouverne depuis maintenant 11 mois en prétendant rétablir la démocratie et l’État de droit après 8 années de gouvernements conservateurs. Pourtant, au lieu de favoriser le pluralisme médiatique que l’on croyait être une composante essentielle de  toute démocratie libérale, le gouvernement de l’Européen Donald Tusk fait tout le contraire : il exclut les médias d’opposition de ses conférences de presse en faisant fi des décisions de justice et des appels de l’autorité des médias, et, après avoir pris brutalement le contrôle des médias publics dix jours seulement après son investiture le 13 décembre 2023, le voilà maintenant qui semble exercer de très fortes pression pour mettre au pas l’un des deux grands groupes privés de télévision, Polsat.

Polsat, les nouvelles les plus crédibles de Pologne

Non pas que le groupe Pol­sat soit à pro­pre­ment par­ler une télévi­sion d’opposition ou même une télévi­sion con­ser­va­trice, mais au con­traire de la télévi­sion publique (groupe TVP) et des chaînes du groupe TVN (pro­priété de Warn­er Bros. Dis­cov­ery), Pol­sat, dans ses émis­sions d’information et de débats, ne se fait pas le sim­ple relais du nar­ratif du gou­verne­ment, préférant rechercher une ligne édi­to­ri­ale plus ou moins équili­brée et don­ner la parole aus­si bien au camp gou­verne­men­tal qu’à l’opposition. L’annonce du ser­vice d’information du soir sur Pol­sat com­mence tou­jours par les paroles : « Les nou­velles les plus crédi­bles de Pologne ». Et vu la taille du groupe Pol­sat, ce n’est pas le genre de média que le pre­mier min­istre Don­ald Tusk peut se per­me­t­tre d’exclure de ses con­férences de presse.

Les médias d’opposition mis au coin

Cette habi­tude très peu démoc­ra­tique d’exclure les médias d’opposition des con­férences de presse du pre­mier min­istre de la Pologne est une nou­veauté intro­duite par ce gou­verne­ment ouverte­ment soutenu par Brux­elles (qui a subite­ment déblo­qué tous les fonds européens avec l’arrivée du nou­veau gou­verne­ment) et cela affecte désor­mais la chaîne d’information en con­tinu TV Repub­li­ka (la deux­ième chaîne d’information en con­tinu la plus regardée, après TVN24 et devant Pol­sat News et TVP Info) et sa nou­velle con­sœur wPolsce24, qui a démar­ré en sep­tem­bre, mais aus­si, depuis peu, l’hebdomadaire du célèbre syn­di­cat Sol­i­dar­ité, Tygod­nik Sol­i­darność, égale­ment pro­prié­taire du site d’information et d’opinion tysol.pl qui a eu un temps sa décli­nai­son en langue française, tysol.fr (rapi­de­ment fer­mée sous la pres­sion des syn­di­cats français qui ne sup­por­t­aient pas sa ligne édi­to­ri­ale jugée trop à droite).

Tusk pris en flagrant déni de mensonge, sanction immédiate pour la journaliste

Ce qui est arrivé à la jour­nal­iste de Tygod­nik Sol­i­darność est car­ac­téris­tique de l’attitude actuelle de ces libéraux qui, pen­dant 8 ans, avaient protesté, entre autres choses, con­tre les attaques sup­posées des con­ser­va­teurs con­tre la lib­erté des médias et con­tre le plu­ral­isme médi­a­tique), et ce alors que les médias hos­tiles aux gou­verne­ments du PiS n’ont jamais cessé de domin­er en Pologne.

Le 7 novem­bre, la jour­nal­iste Moni­ka Rutke de Tygod­nik Sol­i­darność a demandé au pre­mier min­istre polon­ais com­ment il entrevoy­ait ses futures rela­tions avec Don­ald Trump dont il avait publique­ment dit, pen­dant sa cam­pagne élec­torale, qu’il était un agent russe et que les ser­vices améri­cains en avaient la preuve (ce qui était totale­ment faux). Comme il bot­tait en touche, la jour­nal­iste a répété sa ques­tion, et Don­ald Tusk a alors répon­du qu’il n’avait jamais proféré telle chose. Mais la vidéo de Don­ald Tusk affir­mant exacte­ment cela a alors immé­di­ate­ment fait le buzz sur les médias soci­aux, en con­séquence de quoi la jour­nal­iste a reçu le jour-même un cour­riel du cab­i­net du pre­mier min­istre l’informant qu’elle ne serait désor­mais plus invitée aux con­férences de presse.

L’Arcom polonaise proteste, mais en vain

L’autorité des médias, le KRRiT (équiv­a­lent de notre Arcom), a une nou­velle fois protesté con­tre cette sélec­tion des médias autorisés à assis­ter aux con­férences de presse du pre­mier min­istre et ancien prési­dent du Con­seil Européen Don­ald Tusk. Une sélec­tion con­traire à la loi polon­aise et même au droit à l’information inscrit dans la con­sti­tu­tion du pays. Le com­mu­niqué du KRRiT, pub­lié le 8 novem­bre, indique que « Les organ­isa­teurs des con­férences de presse du Pre­mier min­istre Don­ald Tusk empêchent cer­tains jour­nal­istes d’ex­ercer leurs fonc­tions en blo­quant l’ac­cès aux con­férences et en ren­dant dif­fi­cile le fait de pos­er des ques­tions. En lim­i­tant le droit des jour­nal­istes à l’in­for­ma­tion publique et à la cri­tique, et en entra­vant l’ac­cès des citoyens à des infor­ma­tions fiables et véridiques, ils vio­lent à la fois la Con­sti­tu­tion polon­aise et la loi sur la presse. » Pré­cisons ici que le gou­verne­ment de Tusk ne cache pas sa volon­té de traduire le prési­dent du KRRiT devant le Tri­bunal d’État qui est l’instance chargée de juger les min­istres et cer­tains hauts fonc­tion­naires en cas de faits par­ti­c­ulière­ment graves dans l’exercice de leurs fonc­tions, mais dont les mem­bres sont nom­més par la Diète (la cham­bre basse du par­lement polonais).

Une société privée de téléphonie en ligne de mire

En ce qui con­cerne le groupe Pol­sat, la ligne d’attaque est dif­férente. La poli­tique du cor­don san­i­taire n’est pas pos­si­ble, et le mil­liar­daire pro­prié­taire de ce groupe, le Polon­ais Zyg­munt Solorz, a tou­jours veil­lé à son indépen­dance tout en cher­chant à con­serv­er de bonnes rela­tions avec le pou­voir en place, quel qu’il soit. Le groupe Pol­sat, c’est plusieurs chaînes de télévi­sion, dont la chaîne d’information en con­tinu Pol­sat News, une plate­forme de télévi­sion par satel­lite (Cyfrowy Pol­sat) et un des qua­tre grands opéra­teurs de télé­phonie mobile en Pologne, la com­pag­nie Polkom­tel qui opère sous la mar­que Plus. Les libéraux aujourd’hui au pou­voir sem­blent mal sup­port­er le fait que Pol­sat n’était pas ouverte­ment hos­tile au PiS comme l’était TVN dans les années 2015–2023, quand Don­ald Tusk et ses amis étaient dans l’opposition, et qu’il ne l’est pas non plus devenu avec le change­ment de gouvernement.

Les pre­miers signes de pres­sions exer­cées sur ce groupe sont venus d’articles pub­liés dans la presse amie du gou­verne­ment, avec le jour­nal Gaze­ta Wybor­cza qui s’est mis, à la fin du mois de sep­tem­bre, à relater le con­flit entre Zyg­munt Solorz et ses fils (perçus comme proches des libéraux), qu’il a finale­ment exclus du con­seil de sur­veil­lance de ses sociétés. Après cette exclu­sion sur­v­enue à la fin du mois de sep­tem­bre, Gaze­ta Wybor­cza titrait par exem­ple : « Les enfants de Solorz espèrent que le gou­verne­ment va les aider. Parce que leur père a marché sur les plates-ban­des d’un proche col­lab­o­ra­teur de Tusk ». Et les arti­cles de ce jour­nal con­te­naient des appels ouverts à une inter­ven­tion du gou­verne­ment dans les affaires de ce groupe privé.

« Puisque les choses vont si mal, le gou­verne­ment de Don­ald Tusk doit inter­venir », écrivait ain­si ce jour­nal le 4 octo­bre. « La fac­tion anti-PiS compte sur le gou­verne­ment – elle parie que lorsqu’un sig­nal fort sera envoyé pour mon­tr­er que ce sont les enfants [de Zyg­munt Solorz] qui ont de bonnes rela­tions avec les autorités, cela ne passera pas inaperçu sur l’é­tat des intérêts de Cyfrowy Pol­sat et d’autres sociétés, et donc sur les déci­sions en matière de pro­priété. Et elle a des argu­ments qui devraient encour­ager le gou­verne­ment à envoy­er un tel sig­nal. Après tout, le pou­voir sait – c’est un raison­nement que l’on peut soupçon­ner – que Cyfrowy Pol­sat est un point très impor­tant sur la carte économique et poli­tique de la Pologne. »

Ont suivi des infor­ma­tions sur l’endettement des sociétés du groupe et la fuite d’un enreg­istrement où le mil­liar­daire, âgé de 68 ans, sem­ble s’exprimer avec dif­fi­culté. Une cam­pagne médi­a­tique qui peut paraître orchestrée et qui n’a pas man­qué de faire chuter les actions du groupe. Et le 7 novem­bre, les médias polon­ais infor­maient d’une fouille du siège de Pol­sat par les agents de l’office cen­trale de lutte con­tre la cor­rup­tion (CBA), sur ordre du par­quet, pour saisir les con­trats signés entre Pol­sat et la télévi­sion publique sous le gou­verne­ment précé­dent. Or le par­quet polon­ais est désor­mais sous le con­trôle direct du gou­verne­ment de Don­ald Tusk depuis que le min­istre de la Jus­tice a changé le pro­cureur nation­al en jan­vi­er dernier en se pas­sant de l’accord du prési­dent de la République pour­tant req­uis par la loi.

Ce n’est en effet pas unique­ment dans le domaine des médias que le rétab­lisse­ment de la démoc­ra­tie et de l’État de droit par les libéraux européistes passe vis­i­ble­ment par la vio­la­tion des lois et de la Con­sti­tu­tion. C’est même revendiqué par Don­ald Tusk lui-même qui s’est jus­ti­fié le 10 sep­tem­bre dernier lors d’une con­férence au Sénat polon­ais en se référant au con­cept de « démoc­ra­tie mil­i­tante ». Un con­cept dévelop­pé dans les années 1930 en réponse à l’arrivée au pou­voir des nazis en Alle­magne par des moyens démocratiques.

Cette sit­u­a­tion sem­ble plaire aux médias de grand chemin français qui ont cessé de s’intéresser à la démoc­ra­tie et à l’État de droit en Pologne avec l’arrivée au pou­voir du « Camp du Bien », c’est-à-dire de la gauche libérale lib­er­taire LGBT-iste et européiste.

VOIR AUSSI https://www.ojim.fr/pologne-un-deux-poids-deux-mesures-assume-par-nos-medias/

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