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Off-Investigation traque « les médias de la haine ». Partie 2

2 décembre 2024

Temps de lecture : 11 minutes
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Off-Investigation traque « les médias de la haine ». Partie 2

Temps de lecture : 11 minutes

Média en ligne très à gauche, Off-Investigation publie articles et documentaires qui critiquent l’ultra-libéralisme et le macronisme. L’obsession de ses journalistes est cependant ailleurs : Off-Investigation croit savoir que les médias apporteraient une haine « fasciste » et « pétainiste » en France. Cette croyance a inspiré le documentaire « Médias de la haine, objectif, guerre civile ? », qui avait dépassé le million de vues le 25 novembre 2024. Le documentaire veut servir une thèse : les médias dits de droite seraient par nature des « médias de la haine ». Une prise position moralisatrice, idéologique et militante, très éloignée du journalisme.

Voir aus­si : Off-inves­ti­ga­tion, un média d’enquêtes en ligne très à gauche qui voit des médias fas­cistes partout. Par­tie 1 : Qui sont-ils ?

Préambule : aux sources du Mal : Bolloré et i>Télé

Pour ce doc­u­men­taire, les reporters revi­en­nent à l’automne 2016, devant le siège du groupe Canal +, où des man­i­fes­tants jour­nal­istes récla­maient de pou­voir « tra­vailler en toute indépen­dance » par rap­port à l’actionnaire prin­ci­pal. Car, « depuis un an le nou­v­el homme fort du groupe Canal, c’est le mil­liar­daire bre­ton d’extrême-droite Vin­cent Bol­loré ». Suit une présen­ta­tion clas­sique du groupe Bol­loré et des sources de sa richesse, dont les investisse­ments en Afrique. Le ton est don­né : la ques­tion des « médias de la haine » con­cerne « l’extrême-droite ». Bol­loré est mis au pilori: son empire « s’est dévelop­pé notam­ment dans des régimes autori­taires, comme le Togo ». C’est « le roi de la françafrique qui vient de met­tre la main sur la chaîne d’infos du groupe Canal ». Il s’agit d’I‑Télé et comme « vit­rine » de cette dernière, Bol­loré a choisi Moran­di­ni. Le doc­u­men­taire fait donc le point sur l’affaire de scan­dale sex­uel, qui con­cerne Moran­di­ni et de jeunes acteurs. « Mi-novem­bre, après cinq semaines de grève sans salaire (c’est le principe même de la grève, ndlr), les 3/4 des jour­nal­istes craque­nt et quit­tent I‑Télé. Une hémor­ragie ». Saut dans le temps immé­di­at : direc­tion l’audition de Vin­cent Bol­loré, en jan­vi­er 2022, devant la com­mis­sion d’enquête par­lemen­taire sur la con­cen­tra­tion des médias. Bol­loré explique que départs et arrivées de jour­nal­istes sont choses nor­males, Off-Inves­ti­ga­tion donne plutôt la parole à un jour­nal­iste du Canard Enchaîné pour qui Bol­loré pra­ti­querait « un man­age­ment par la peur ». Ce serait de la ter­reur. Cet autori­tarisme serait lié à Serge Ned­jar, « l’homme de Bol­loré ». Selon qui ? Selon… Médi­a­part. Serge Ned­jar imposerait « une ligne édi­to­ri­ale réac » en inter­venant directe­ment auprès de la rédac­tion. À par­tir de 2016, Ned­jar s’entoure de Thomas Baud­er, futur directeur de l’information de CNews. Ce dernier ne serait pas « respectueux du droit du tra­vail ». Pas plus de pré­ci­sion. Aucuns faits.

2017, Bol­loré rebap­tise I‑Télé qui devient CNews. Il est avec Drahi, Niel, Arnault, Bouygues et Lagardère l’un des mil­liar­daires qui con­trô­lent l’essentiel du paysage médi­a­tique français. « À par­tir de mai 2017, tous vont soutenir la poli­tique pro-busi­ness du nou­veau prési­dent ».

Premier thème/Médias de la haine : cibler les précaires

Les « médias de la haine » auraient les mêmes obses­sions, à com­mencer par les pré­caires. Il ne s’agit pas seule­ment d’en par­ler mais de les « cibler », de les « pren­dre pour des feignass­es ». Ce serait la par­tic­u­lar­ité des médias des mil­liar­daires, « par­fois car­i­cat­u­rale chez Drahi ». Plateau sur l’avocate Sarah Sald­mann, rev­enue de sa par­tic­i­pa­tion au film de Ruf­fin Au Boulot ! Chez Bouygues, LCI, le dis­cours est un peu plus sub­til, d’après le doc­u­men­taire : fin 2022, Pujadas « tente de faire croire qu’un cou­ple de chômeurs gag­n­erait plus qu’un cou­ple qui travaille ». 

Cepen­dant, c’est durant la révolte des Gilets Jaunes que les mil­liar­daires se lâchent. Les Gilets Jaunes récla­ment la baisse des prix du car­bu­rant et le rétab­lisse­ment de l’impôt sur la for­tune. Une fois que le mou­ve­ment se rad­i­calise et réclame la démis­sion de Macron, début décem­bre 2018, « le pou­voir vac­ille ». Alors, « sur les plateaux des mil­liar­daires, cela ne rigole plus du tout ». Aphatie est en pre­mière ligne. Tous les jour­nal­istes de droite qui cri­tiquent les Gilets Jaunes sont assas­s­inés par le doc­u­men­taire. Mais aus­si Thomas Legrand, de France Inter, qui con­sid­ère que les lead­ers des Gilets Jaunes ont des « dis­cours débiles » et qu’ils sont « mépris­ables ».

Le doc­u­men­taire donne à voir des pro­pos sor­tis de leur con­texte, n’engageant que leurs auteurs, qui « inci­tent à aug­menter la vio­lence et à tir­er sur la pop­u­la­tion ». Mais rien au sujet des pro­pos con­tra­dic­toires, y com­pris ceux des Gilets Jaunes alors sou­vent invités sur les plateaux. Ces médias « pré­par­eraient les esprits à ce qu’il y ait des morts ». La faute aux médias de droite, pas au gou­verne­ment. La con­tex­tu­al­i­sa­tion n’est pas le fort du pré­ten­du jour­nal­isme d’investigation d’Off-Inves­ti­ga­tion.

Deuxième thème/Médias de la haine : cibler les étrangers

Petit saut : « à la fin de la révolte des Gilets Jaunes, Bol­loré recrute Éric Zem­mour pour CNews, un polémiste d’extrême-droite mul­ti con­damné pour provo­ca­tion à la haine raciale ou provo­ca­tion à la haine religieuse ». Le doc­u­men­taire donne d’emblée sa tonal­ité quant à Zem­mour. Pire, « quelques jours avant d’être nom­mé par TV Bol­loré, il appelait à la guerre civile dans un meet­ing organ­isé par Mar­i­on Maréchal ». L’information est fausse : il s’agissait d’une Con­ven­tion de la droite, des­tinée à voir de pos­si­bles points de con­ver­gences en vue d’une union des droites, organ­isée par des médias alternatifs.

Zem­mour n’est pas le bien­venu pour tous les jour­nal­istes de CNews mais ces derniers, témoignant anonymement, indiquent qu’ils auraient per­du le droit à la parole. Le doc­u­men­taire voudrait alors « démon­tr­er » une « zem­mouri­sa­tion » de CNews, à par­tir d’un unique exem­ple (la par­tic­u­lar­ité de ce doc­u­men­taire est de tou­jours pren­dre des cas uniques et de les trans­former en général­ités, pra­tique fréquente des médias de gauche) : lors d’un plateau, l’avocate Car­o­line Mécary défend Mélen­chon qui s’est inter­posé lors d’une perqui­si­tion dev­enue célèbre. Pas­cal Praud « pète les plombs en direct », images à l’appui. Car­o­line Mécary le traite, dans le doc­u­men­taire, d’être « lâche et faible ».

Plus générale­ment, Zem­mour s’en prend « aux plus faibles » : les mineurs isolés « voleurs, vio­leurs, assas­sins ». Pour le doc­u­men­taire, viendrait alors le moment pour les médias Bol­loré et Arnault de propulser Zem­mour à l’Élysée. À com­mencer par Hanouna, 40 % du temps poli­tique de TMP serait occupé par Zem­mour. « Le poulain de Bol­loré » se présente alors à la prési­den­tielle. C’est dans ce con­texte que le Par­lement crée une com­mis­sion d’enquête sur la con­cen­tra­tion des médias.

Selon le doc­u­men­taire, l’opération prési­den­tielle Zem­mour échouée les médias Bol­loré « repar­tent en cam­pagne avec une zem­mouri­sa­tion à tous les étages ». Lau­rence Fer­rari par­lant d’islamisme, d’insécurité, d’immigration mas­sive ou de guerre de civil­i­sa­tion, tan­dis que chez Pas­cal Praud on serait de plus en plus « raciste ». La ligne serait « xéno­phobe ». Arrive le « caca­gate » : un employé badi­geonne le nom CNews avec des excré­ments dans les toilettes.

Le doc­u­men­taire insiste alors sur « l’obsession de CNews pour l’immigration », voulant indi­quer que cer­tains jours ce serait l’unique sujet. Il n’y a jamais de parole con­tra­dic­toire allant con­tre les thès­es du doc­u­men­taire. La France est-elle men­acée de rem­place­ment ? Au con­traire ! Le doc­u­men­taire l’affirme sur la parole d’un démo­graphe, Hervé Le Bras, claire­ment engagé à gauche. Ces idées s’étendraient puisque Bol­loré prend le con­trôle du JDD et d’Europe 1. Accu­sa­tion d’un jour­nal­iste témoin anonyme : on envoie un reporter dans une petite ville, il donne la parole à des per­son­nes âgées, les incite à trou­ver que l’insécurité monte… Les médias dits de la haine manip­uleraient l’information au lieu d’informer. Pourquoi ? Pour stig­ma­tis­er les musulmans.

Troisième thème/Médias de la haine : cibler les musulmans

Les choses sont claires pour Off-Inves­ti­ga­tion : « Chez Vin­cent Bol­loré, le musul­man c’est un peu l’ennemi de l’intérieur ». Le doc­u­men­taire, comme il le fait dans son ensem­ble, s’attarde sur un cas par­ti­c­uli­er, celui du pro­fesseur de philoso­phie Didi­er Lemaire, régulière­ment présent sur CNews fin 2022. Le pro­fesseur affir­mait être men­acé de mort par des musul­mans de Trappes, où il enseignait. « Sa plainte est classée sans suite », le doc­u­men­taire y insiste pour délégitimer le pro­fesseur. En général, les médias de la gauche libérale lib­er­taire légiti­ment les vic­times. Du moins, si elles sont de gauche ou appar­ti­en­nent à leur clientélisme.

Le doc­u­men­taire par­le alors d’un reportage à Roubaix, reportage qui serait manip­u­la­toire en voulant mon­tr­er que Roubaix s’islamiserait. Les jour­nal­istes de Off-Inves­ti­ga­tion n’ont pas dû aller dans la région depuis longtemps. Le cen­trage sur les musul­mans se pro­duit aus­si chez BFMTV fin 2023 quand CNews devient la pre­mière chaîne d’information. « Fogiel va ten­ter d’imiter CNews. La chaîne va accueil­lir de plus en plus d’intervenants d’extrême-droite, venus par exem­ple de Valeurs Actuelles, mag­a­zine con­nu pour son islam­o­pho­bie et ses con­damna­tions pour racisme ». BFMTV ferait comme CNews, pré­ten­dant qu’il exis­terait un lien entre islam et crim­i­nal­ité. Une pré­ten­tion qui sem­ble pour­tant s’appuyer sur nom­bre de faits con­crets, dont le doc­u­men­taire ne par­le évidem­ment pas.

Les jour­nal­istes du doc­u­men­taire sor­tent peu vis­i­ble­ment. Pour eux, il en va de même sur LCI, où cer­tains inter­venants copi­ent CNews et BFMTV. Islam­o­pho­bie ? Le sim­ple fait de dire qu’il y a des femmes voilées dans les rue suf­fit à trans­former tout inter­venant en islamophobe.

L’islamophobie sup­posée de ces chaînes est aus­si mise en avant par le doc­u­men­taire à pro­pos du con­flit Israël/Hamas. Sur ce sujet, le doc­u­men­taire con­sid­ère que les chaînes des mil­liar­daires se sont rangées en faveur des « géno­cidaires » israéliens et du « net­toy­age eth­nique ». Faux ? Vrai ? Cha­cun jugera. Cepen­dant, n’y aurait-il vrai­ment eu aucune voix dis­cor­dante ? Exagéré, for­cé­ment. D’après le doc­u­men­taire, CNews « explique que les enfants sont tués avec human­ité ». « La palme d’or de la pro­pa­gande revient à Patrick Drahi », pro­prié­taire entre autres de I24news.

Pourquoi évo­quer ce con­flit dans ce doc­u­men­taire ? Les édi­to­ri­al­istes des chaînes « de la haine » voudraient assim­i­l­er les maghrébins et musul­mans de France au Hamas. Une sim­ple inter­pré­ta­tion finale­ment. Autre objec­tif, selon le doc­u­men­taire, atta­quer la gauche, c’est-à-dire de son point de vue LFI et les écol­o­gistes. Pourquoi ? Car cette gauche accuse les médias en ques­tion d’avoir « un biais pro israélien ». L’idée serait de « dis­créditer LFI en ten­tant de faire croire que ce par­ti serait anti­sémite ». Pour le coup, l’antisionisme de gauche, lequel n’est pas nou­veau, est par­fois aus­si un anti­sémitisme de gauche. Par exem­ple par la réac­tion de LFI suite au 7 octo­bre, atténu­ant l’attaque du Hamas, quand les respon­s­ables de LFI ont refusé de qual­i­fi­er le Hamas de ter­ror­iste. Pour le doc­u­men­taire, le prob­lème n’est pas dans le fait que LFI puisse être anti­sémite mais que « les médias de haine » s’attaquent à LFI.

« Fas­ci­na­tion pour le maréchal Pétain, haine des com­mu­nistes, détes­ta­tion des étrangers, la dérive actuelle des médias des mil­liar­daires rap­pelle celle de l’entre-deux guer­res, quand la grande presse indus­trielle avait bas­culé en faveur du nazisme ». Ceci pronon­cé avec « Maréchal nous voilà » en fond sonore. Off-Inves­ti­ga­tion ne fait pas dans la dentelle.

Quatrième thème en forme de conclusion/Médias de la haine : reporter contre la haine

La qua­trième par­tie com­mence par la demande faite par Reporters Sans Fron­tières en 2022 de « con­trôler que CNews respecte ses oblig­a­tions de plu­ral­isme ». Il n’y aurait pas de plu­ral­isme car tout le monde aurait les mêmes opin­ions sur ces chaînes de télévi­sion. Le doc­u­men­taire rend alors compte de l’arrêté du Con­seil d’Etat du 13 févri­er 2024 deman­dant aux médias de pren­dre en compte les opin­ions poli­tiques de leurs jour­nal­istes et chroniqueurs, pas seule­ment des hommes poli­tiques invités. Mon­sieur Deloire, patron de RSF, est invité sur CNews. Il ne sem­ble pas com­pren­dre ce que Pas­cal Praud dit : il invite des per­son­nes de toutes les obé­di­ences mais les per­son­nes invitées ne veu­lent pas venir. Autrement dit, Pas­cal Praud mon­tre que c’est le refus de ses con­tra­dicteurs de venir débat­tre dans son émis­sion qui crée une sit­u­a­tion qui ne devrait pas exis­ter si ces con­tra­dicteurs accep­taient le débat démoc­ra­tique. Mais pour le doc­u­men­taire, les choses sont plus sim­ples : Bol­loré attaque RSF par tous les moyens pos­si­bles et imaginables.

Con­clu­sion ? Un rac­cour­ci éton­nant, le doc­u­men­taire attaque les macro­nistes qui par­leraient main­tenant comme les « médias de la haine ». L’extrême-droite serait ain­si partout, même à l’extrême cen­tre libéral. Pour ter­min­er, l’Arcom a rejeté injuste­ment le dossier présen­té par Le Média, télévi­sion can­di­date à une chaîne de la TNT et très proche de LFI. Il y a donc la gauche, c’est-à-dire le vrai. Et le reste : Le Mal, avec majus­cules. Les dernières images du doc­u­men­taire ? Une foule, avec dra­peau rouge, poing levé, cri­ant « No Pasaran ».

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