« Ce devant quoi une société se prosterne nous dit ce qu’elle est », disait Philippe Muray.
Et nous assistons, ces derniers jours, à un véritable festival de soumission, au sens houellebecquien du terme. Pour ainsi dire un itinéraire à peine voilé – sans mauvais jeu de mots – de dhimmitude. C’est Le Parisien qui titre : « Chute d’al-Assad en Syrie : “HTC reste un groupe islamiste dur et rigoriste, mais il n’est plus djihadiste” ». C’est aussi Alexandra Schwartzbrod, directrice déléguée du journal Libération qui déclare, à propos d’un risque d’afflux migratoire en provenance de la Syrie : « Il faut arrêter avec ce fantasme de la submersion migratoire, c’est insensé […] des millions de Syriens se bousculent pour rentrer en Syrie. » Hypothèse d’ailleurs démentie par Le Parisien, qui donne la parole aux réfugiés syriens en France : « On a réorganisé toute notre vie en France, on reste ici. »
Mohammed al-Golani, un « radical pragmatique »
Mohammed al-Golani, « second émir » de l’Hay’at Tahrir al-Sham (HTS) ou « Organisation pour la libération du Levant », créée en 2017, organisation terroriste selon de nombreux services, notamment américains, est dépeint comme un « radical pragmatique » par le Parisien. Pour rappel, ce journal avait abondamment plaidé en faveur du « front républicain » lors des dernières législatives. Faut-il en conclure qu’un islamiste radical peut bénéficier d’une campagne de dédiabolisation de la part de ce journal, tandis qu’une Marine le Pen, reste cantonnée aux amalgames avec les « heures les plus sombres de notre histoire » ?
Distribution de pain et bisous
Joseph Confavreux, journaliste chez Mediapart sonne la fin de la partie en signant une tribune déclamatoire :
« Laissez-nous tranquilles un an et vous verrez advenir une Syrie unie et démocratique »
Nous avons vu ce qu’il est advenu en Libye… La palme revient tout de même au journal Libération, avec cette une effarante, digne d’Al-Jazeera : À Alep, « tu verrais tout le pain qu’ils distribuent, il y en a partout dans les rues ». Une habitante s’émerveille des transformations radicales lancées en quelques jours par les nouveaux maîtres de la cité. Témoignage… » Comme le fait observer François-Xavier Consoli dans son article paru dans Éléments :
« Malgré les mines réjouies de nombreux observateurs et journalistes occidentaux, la fin du pouvoir de Bachar el-Assad ressemble plus à un nouvel acte d’une mauvaise pièce de théâtre géopolitique. »
Mise au point de Pierre Manent
Tous ces journaux n’ont évidemment élevé aucune protestation contre la véritable fatwa dirigée contre Pierre Manent pour ses propos sur le nombre de musulmans qu’il serait dangereux de voir croître indéfiniment, notamment pour le maintien des valeurs démocratiques et la faiblesse de la seule laïcité comme principe du lien social. Mais ces valeurs semblent bien moins enthousiasmer nos journalistes que l’islamisme radical. Les déclarations en cause de Pierre Manent sont les suivantes :
« La pression est telle qu’il faut prendre des décisions concernant le nombre de musulmans en Europe. Il ne peut pas croître au rythme actuel sinon nous irons au-devant de drames qu’aucune version de la laïcité ne permettra de maîtriser ».
Dans la lignée de Tocqueville
On s’est largement offusqué qu’un héritier de la pensée libérale, élève et disciple du philosophe Raymond Aron, spécialiste d’Alexis de Tocqueville, puisse verser à ce point dans « l’islamophobie », alors que ses prédécesseurs n’étaient pas en reste dans ce domaine. En effet, Tocqueville, dans une lettre à Gobineau datée de 1843, a écrit : « Il y a eu dans le monde, à tout prendre, peu de religions aussi funestes aux hommes que celle de Mahomet. Elle est, à mon sens, la principale cause de la décadence aujourd’hui si visible du monde musulman. » Quant à Raymond Aron, il écrivait dans La Tragédie algérienne, en 1957 :
« Le taux de croissance démographique est trop différent des deux côtés de la Méditerranée pour que ces deux peuples, de race et de religion différentes, puissent être fraction d’une même communauté. »
Ode au Ramadan
Le Parisien s’est également fendu d’un article littéralement confessionnel : « Ramadan 2025 : dates, règles, traditions… Tout ce qu’il faut savoir sur le mois de jeûne. » Et quand on fait une recherche concernant le carême sur le réseau où le journal partage cet article, on fait face à un mur, très étonnamment : « Aucun résultat pour from @le-Parisien carême ».
Soumission de Houellebecq dépassé
Quand je lis cette presse, mûre pour le califat, je songe fortement à Karl Kraus (1874–1936), écrivain autrichien, connu pour sa croisade contre le journalisme, qui formulait son programme avec netteté :
« Je m’adresse sans illusions, disait-il, aux imbéciles de mon temps mais aussi aux imbéciles à venir. »
Je songe également au roman d’Houellebecq, Soumission, qui était bien en-deça de la réalité, puisqu’il prévoyait l’émergence d’un pouvoir politique musulman modéré. Or, nos élites journalistiques, après tout le battage lointain de Je suis Charlie, risquent de donner leur préférence à une version moins agréable de notre cauchemar futur. Et, enfin, résonnent en moi ces mots de Kierkegaard : «Il arriva que le feu prît dans les coulisses d’un théâtre. Le bouffon vint en avertir le public. On pensa qu’il faisait de l’esprit et on applaudit : il insista ; on rit de plus belle. C’est ainsi, je pense, que périra le monde : dans la joie générale des gens spirituels qui croiront à une farce. »
Les bêtes et leur maître
Est-ce bêtise ou lâcheté ou un composé des deux ? La bêtise a essaimé depuis qu’elle est apparu sur notre mirifique globe. Elle s’est mise à migrer, à engloutir, à forclore, à tout circonscrire. La bêtise, le conformisme, la sclérose et l’atrophie mentale, la gangrène de l’animal-machine, le langage empaqueté, standardisé, calibré, sont autant de flux de néant à l’horizon de l’occident. Pourquoi ne se serait-elle pas emparé de tous les vices – la lâcheté – et de toutes les soumissions ? Les abrutis sont légion, ils déambulent, zombifiés, grouillant en pur paître, patibulaires et satisfaits. Ils détiennent l’avenir, en sont les légataires-concessionnaires, exclusifs propriétaires. L’hypothèse de Musil est sans doute la plus plausible : « Si la bêtise ne ressemblait pas à s’y méprendre au progrès, au talent, à l’espoir ou au perfectionnement, personne ne voudrait être bête. » Eh bien, à lire nos journalistes, une seule conclusion s’impose : ils désirent ardemment l’être… bêtes et ils trouveront un jour un maître pour les paître…
Jean Montalte