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Jean-Marie Le Pen, un adversaire totémique à la télévision

20 janvier 2025

Temps de lecture : 9 minutes
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Jean-Marie Le Pen, un adversaire totémique à la télévision

Temps de lecture : 9 minutes

Le décès de Jean-Marie Le Pen est un événement en ce sens qu’il marque la disparition d’un personnage clivant, qui a longtemps servi de repoussoir à la gauche.

L’anti-lepènisme ayant constitué une identité et un dénominateur commun, il importe maintenant pour cette gauche d’ajuster le discours et la posture. Comment faire en sorte de prolonger l’effet repoussoir généré par le personnage ? Comment s’adapter à la disparition d’un tel « chiffon rouge », qui fut le seul moyen pour la gauche de s’unir ?

Un pre­mier élé­ment de réponse a été apporté par les haineuses man­i­fes­ta­tions de la place de la République. Ces démon­stra­tions de force, et d’in­tim­i­da­tion aus­si, sem­blaient dire ; Jean-Marie Le Pen est par­ti, mais cela ne change rien, nous restons mobil­isés et plus forts que jamais !

C ce soir en pointe

Et pen­dant que les activistes occu­paient la rue, les intel­lectuels et jour­nal­istes de gauche peau­fi­naient le nar­ratif sur les plateaux TV.

Par­mi les émis­sions qui se sont suc­cédé après la dis­pari­tion de JMLP nous pren­drons l’ex­em­ple de l’émis­sion C ce soir, qui con­stitue un bon obser­va­toire de la pen­sée de gauche dans la mesure où elle pro­pose des plateaux très ori­en­tés, sans que les ani­ma­teurs ne recen­trent jamais les débats et n’in­ter­rompent le ron­ron­nement de cet entre-soi.

L’émis­sion du 8 Jan­vi­er avait pour thème : « Jean-Marie Le Pen : un héritage indélé­bile ? ».

Ce thème se décline ensuite sur plusieurs ques­tions, por­tant notam­ment l’empreinte his­torique du per­son­nage et l’héritage de ses idées. Compte-ren­du avec un peu de verbatim.

Sa disparition, ultime étape de la dédiabolisation du RN ?

Camille Vigogne Le Coat (Le Nou­v­el Obser­va­teur) pré­tends que les cadres actuels du RN avaient déjà adhéré au par­ti, en toute con­nais­sance de cause, avant qu’il ne change de nom. De plus, dès l’an­nonce de la dis­pari­tion de Jean-Marie Le Pen ces mêmes cadres ont posté sur les réseaux des pho­tos où ils appa­rais­saient en com­pag­nie du leader défunt, comme un con­cours de celui qui avait été le plus proche de lui. Par ailleurs, elle estime que la dédi­a­boli­sa­tion voulue par Marine Le Pen et Louis Alliot por­tait sur l’an­tisémitisme, mais ni sur le racisme, ni sur la préférence nationale, ni sur d’autres formes de mesures rad­i­cales prônées par le parti.

Voir aus­si : Camille Vigogne Le Coat, portrait

Thomas Legrand (Libéra­tion) estime, comme Vigogne, que Marine Le Pen a exclu son père sur l’an­tisémitisme et sur la lec­ture de la 2nde guerre mon­di­ale. La dédi­a­boli­sa­tion a donc porté unique­ment sur ces aspects, et elle doit être large­ment rel­a­tivisée. De façon sur­prenante, il estime que, afin de ten­ter de mon­tr­er qu’il n’est plus anti­sémite, le RN d’au­jour­d’hui en « fait des tonnes dans l’autre sens … en faveur d’Is­raêl et de Netanya­hou ».

Pour Valérie Igounet (pseu­do his­to­ri­enne et vraie voleuse de doc­u­ments, voir infra), Marine Le Pen et d’autres cadres du par­ti se sont ren­dus compte dés 2002 de l’am­pleur du sen­ti­ment de rejet qu’in­spi­rait le FN. La dédi­a­boli­sa­tion com­mence à ce moment, et elle sem­ble assez large (change­ment de nom du par­ti, exclu­sion de JM Le Pen et de ceux qui lui sont proches). Mais il est apparu lors des dernières élec­tions lég­isla­tives que cer­tains can­di­dats étaient encore proches de l’an­cien FN et pas à la hau­teur, ce qui mon­tr­erait que la véri­ta­ble dédi­a­boli­sa­tion n’a pas eu lieu.

Voir aus­si : Quand France Télévi­sion abrite une chercheuse très poli­tique… et voleuse à ses heures

Blanche Leri­don (Insti­tut Mon­taigne, enseignante à Sci­ences Po) con­state que Marine Le Pen se dit l’héri­tière de De Gaulle alors même que son père était un opposant forcené au général ; mais, alors que ce con­stat devrait mon­tr­er un change­ment de cap et une dis­tan­ci­a­tion vis à vis de son père, elle en con­clut de façon éton­nante que la dédi­a­boli­sa­tion ne dépasse pas le dis­cours de façade.

Charles Sapin (Le Point) estime qu’au plan de la stratégie, le RN est main­tenant l’ex­act inverse du FN ; là où JM Le Pen préférait cliv­er qu’être aimé, la dédi­a­boli­sa­tion con­siste à se faire aimer.

Tous les inter­venants, à l’ex­cep­tion de C. Sapin, réfu­tent l’idée d’une véri­ta­ble dédiabolisation.

Leurs argu­ments ten­dent à sanc­ti­fi­er les out­rances de Jean-Marie Le Pen et à arrimer de manière indé­fectible le RN au FN. Quels que soient les actes et les efforts pour se démar­quer de Jean-Marie Le Pen, il est clair que ce ne sera jamais suff­isant pour eux.

L’histoire convoquée

Plusieurs inter­venants n’hési­tent pas à con­vo­quer l’his­toire, par­fois très loin­taine, à l’ap­pui de leurs thèses.

Philippe Collin (France-inter et pro­duc­teur de pod­casts his­toriques) assène que « l’héritage de la Révo­lu­tion française est inclusif, tan­dis que l’ob­jet de Charles Mau­r­ras, de Philippe Pétain et de Jean-Marie Le Pen est de chas­s­er les élé­ments étrangers. » Selon lui, Jean-Marie Le Pen était un farouche adver­saire de la Révo­lu­tion française, « toute sa vie étant fondée là-dessus ».

Il estime que le nation­al pop­ulisme a déjà exer­cé le pou­voir sous Pétain, même si les con­di­tions étaient par­ti­c­ulières. L’op­po­si­tion entre Pétain­isme et Gaullisme est irré­ductible, et il en con­clut que le RN ne peut pas se déclar­er Gaulliste aujour­d’hui au vu de l’héritage Pétain­iste qui est le sien.

Pour Thomas Legrand, Jean-Marie Le Pen est l’u­ni­fi­ca­teur des extrêmes-droites Français­es, dans l’ob­jec­tif de fis­sur­er la République.

Il rap­pelle qu’il était un enne­mi de la République telle qu’elle a été définie en 1945, et que son héros était le général Chouan Cadoudal, qui avait voulu assas­sin­er Napoléon.

L’épisode Bruno Mégret n’a pas été évo­qué. Pour­tant, il eut été intéres­sant, sans remon­ter à la révo­lu­tion, d’ob­serv­er que dès la fin des années 1990, une con­tes­ta­tion interne qui visait à en finir avec les out­rances de Jean-Marie Le Pen avait déjà réu­ni une majorité de cadres, de mil­i­tants et de fédéra­tions du parti.

Sur la pénétration et l’influence des idées de Jean-Marie Le Pen

Thomas Legrand estime que la plus grande vic­toire poli­tique de Jean-Marie Le Pen se trou­ve para­doxale­ment dans l’élec­tion prési­den­tielle de 2007. Certes, il y réalise un mau­vais score (10,4%), mais dans le même temps, Nico­las Sarkozy lui emprunte ses thèmes en liant la défense de l’i­den­tité Française et l’immigration.

Il pense qu’il a effec­tive­ment imposé le thème de l’i­den­tité, qui hys­térise et polarise tout aujour­d’hui, mais que pour autant la société Française n’est pas plus raciste aujour­d’hui qu’il y a 20 ou 30 ans.

Igounet observe que les idées du FN avait com­mencé à infuser à droite bien avant 2007, en témoigne les inter­ven­tions de J. Chirac sur « le bruit et l’odeur» ou les états généraux de l’im­mi­gra­tion dés 1991. Elle rap­pelle que le thème de l’im­mi­gra­tion avait été choisi ini­tiale­ment par le FN dans les années 70 unique­ment sous l’an­gle social, et sans cer­ti­tude qu’il serait por­teur. C’est seule­ment par la suite que ce thème s’est avéré si puissant.

Leri­don est d’ac­cord sur la péné­tra­tion des idées, et insiste sur la dif­fu­sion dans dif­férents par­tis Européens.Elle relève que le terme de pro­gramme « immi­gra­tionniste », employé pour la pre­mière fois en Juin 2024 pour qual­i­fi­er le pro­gramme du NFP, est un terme inven­té par JMLP.

Enfin, elle indique que, pour la pre­mière fois en novem­bre 2024, une majorité de Français con­sid­èrent que le RN « n’est pas un dan­ger pour la démoc­ra­tie » et que 39% adhèrent à ses grandes idées. Mais éton­nam­ment, elle n’en con­clut pas à une dédi­a­boli­sa­tion du RN, mais plutôt à un « hold-up ».

Collin pense que Jean-Marie Le Pen est impor­tant car il a imposé depuis 2001/2002, le thème de l’i­den­tité, qui est devenu une obses­sion aujour­d’hui en France et dans de nom­breux pays.

Pour C. Sapin, Jean-Marie Le Pen a été un lanceur d’alerte sur l’im­mi­gra­tion. Mais il en a par­lé avec telle­ment d’outrance, il a telle­ment polar­isé les choses, qu’il en a ren­du la thé­ma­tique «radioac­tive».

C’est pourquoi il a longtemps été impos­si­ble d’avoir un débat sere­in sur la ques­tion. Avant Jean-Marie Le Pen, des hommes poli­tiques de gauche pou­vaient cri­ti­quer l’im­mi­gra­tion (Mar­chais, Rocard, Chevène­ment..), mais après lui, même la droite s’est inter­dit pen­dant longtemps tout dis­cours cri­tique. Au plan Européen, il observe que les dis­cours les plus cri­tiques à l’im­mi­gra­tion vien­nent sou­vent de par­tis de gauche, ce qui n’est pas le cas en France.

En désac­cord avec C. Sapin, C. Vigogne estime qu’il a réus­si à impos­er large­ment ses thèmes à la droite ; par exem­ple les ter­mes « racisme anti-blanc », « Français de papi­er » sont, selon elle, des expres­sions instal­lées dans le débat pub­lic par Jean-Marie Le Pen.

Et si les thèmes de Jean-Marie Le Pen s’é­taient imposés sim­ple­ment parce qu’ils cor­re­spondaient à une réal­ité, vécue de plus en plus dif­fi­cile­ment par beau­coup ? Cette hypothèse est-elle sim­ple­ment audi­ble à gauche ? Sans doute est-il plus sim­ple de penser que la dif­fu­sion de ses thèmes est due aux com­pro­mis­sions de la droite, du cen­tre, et des par­tis Européens.

Comment qualifier le RN aujourd’hui ?

Pour C. Vigogne « le thème de la préférence nationale, et une vision eth­no-dif­féren­tial­iste », sont les véri­ta­bles mar­queurs de la réma­nence idéologique entre le RN et le FN, et mon­trent que le RN n’est tou­jours pas un par­ti comme les autres.

Leri­don pense que, en dehors de l’im­mi­gra­tion, le pro­gramme du RN est mar­qué par l’ab­sence de pen­sée con­stru­ite sur des ques­tions comme l’é­d­u­ca­tion ou l’é­conomie, et beau­coup de con­tra­dic­tions dans le rôle de l’é­tat par exem­ple. C. Sapin observe que le socle nation­al pop­uliste est ce qui reste du FN au RN. Il s’ag­it d’une vision, issue du mou­ve­ment Pou­jadiste, où la société est divisée en 2 blocs antag­o­nistes ; d’un côté une élite, perçue comme cor­rompue et qui détourne l’in­térêt général à son prof­it, et de l’autre le peu­ple, qui est rêvé comme pur et qu’il faut laiss­er s’ex­primer de la manière la plus directe pos­si­ble, d’où l’at­tache­ment au référendum.

Pour en ter­min­er, citons P. Collin (à 59 mn et 58 sec), qui, avec une cer­taine coquet­terie et quelques sima­grées, s’of­fre le luxe de se mon­tr­er « un peu gêné, en tant que citoyen Français, par les images de liesse de la place de la république ; cela me pose un petit prob­lème, il faut faire atten­tion à la fragilité de la société en ce moment ». En effet … !

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