Quelle que soit leur obédience, même si cela était plus marqué au sein des médias libéraux-libertaires et sociaux-démocrates, les personnalités de la Silicon Valley et de la Big Tech ont longtemps été considérées comme de petits génies pensant comme il convient. Démocrate, en gros, aux États-Unis. De ce fait, ils étaient regardés d’un bon oeil de ce côté de l’Atlantique. Après tout ne contribuaient-ils pas à cette idéologie du Progrès qui inéluctablement devait nous conduire vers le Bonheur absolu ? Patatras ! Le Progrès s’est écroulé.
Et voilà que le trublion Elon Musk s’est mis à s’exprimer librement, entraînant peu à peu des pans entiers du monde de la Big Tech.
Musk ? Le nouveau diablotin des médias français
Fin décembre 2024 et début janvier 2025, Elon Musk, principal soutien du président élu Donald Trump, était partout. Et les portraits dressés du personnage par les médias français n’étaient plus celui du petit génie admiré. Bien au contraire. C’est même la panique.
Que reproche-t-on à Elon Musk, outre de ne plus penser comme l’on croyait qu’il pensait ? D’exprimer des opinions qui ne sont plus les « bonnes » opinions, bien sûr, mais aussi de faire montre « d’ingérence » dans la vie politique d’autres pays que les États-Unis. Avec l’aide de son réseau social X (ex-Twitter). Pourtant, Musk fait ce que font tous les abonnés de X : il tweete des opinions, souvent lapidaires. Ainsi, lorsqu’il appelle à la démission du premier ministre britannique début janvier, l’accusant d’avoir occupé des responsabilités judiciaires, ce qui est exact, durant la très longue période où de jeunes filles anglais blanches étaient prostituées et violées par des individus majoritairement pakistanais ou d’origine pakistanaise.
Starmer dans la nasse
L’affaire date des années 2010, quand Starmer était procureur à la tête du service judiciaire de la Couronne. Il est à noter que nombre de policiers, personnels de justice, journalistes, hommes politiques ont couvert ces scandales sexuels monstrueux, qui afin de ne pas froisser une communauté, qui pour en conserver les bulletins de vote. Pourtant, cela se savait. Même en France. Mais quiconque osait évoquer cela était immédiatement taxé de racisme et de fabulations. Jusqu’au jour où les faits furent reconnus comme étant avérés. Musk s’interroge donc sur le rôle de celui qui était alors un responsable important du monde judiciaire britannique. Car c’est le procureur Starmer qui a l’époque devait décider de poursuites. C’était sa fonction. Et il émet cette opinion « Starmer doit partir ». Ce serait de l’ingérence ? Plus que celle dont fait preuve George Soros s’interrogeait Christine Kelly sur Cnews le 8 janvier 2025 ?
Olaf Scholtz et l’AfD
Idem quand il s’attaque à Olaf Scholz, actuel chancelier allemand, au plus bas dans les sondages. À la toute fin décembre 2024, Le Figaro reprenait une information de l’agence Reuters selon laquelle Elon Musk aurait insulté le chancelier allemand et apporté son soutien à l’AfD. Soutenir l’AfD, cela peut ne pas plaire évidemment. Libre à lui, cependant. C’est affaire d’opinion et les réseaux sociaux sont conçus pour cela. Pour Musk, Scholz est un « idiot incapable ». Si on considère l’état de l’économie allemande, pourquoi pas ? Et, selon Le Figaro, en apportant son soutien à l’AfD le milliardaire sud-africain continuerait de s’impliquer dans la vie politique européenne, après son soutien au britannique Nigel Farage et à l’italienne Giorgia Meloni. Elon Musk a des préférences et des opinions politiques ? Et alors ? Il décide d’exprimer ses opinions ? Cela ne devrait pas choquer Le Figaro qui affiche justement la notion de liberté d’expression en guise de slogan quotidiennement sur sa Une.
Haro sur Elon Musk !
L’obsession anti-Musk qui semble se développer est moins surprenante du côté du monde médiatique libéral-libertaire. Les défenseurs de gauche de la liberté d’expression (quand elle exprime leurs propres opinions) érigent peu à peu Elon Musk en ennemi public numéro 1. Ainsi, Libération, sans aucun doute peu sujet à l’humour évident du milliardaire, a cru bon de se fendre d’un article, le 3 janvier 2025, quand Elon Musk a mis le fameux Pepe la grenouille comme image de profil de son compte X. Voilà de qui hérisser les poils de Libération, Pepe étant considéré comme « un code international pour la fachosphère ».
Une grenouille dans la mare
La grenouille selon Libération ?
« Pepe a ainsi fini par être trusté par les suprémacistes, complotistes et autres antisémites. Ils en ont fait un usage si intensif que cette image est devenue un signe de reconnaissance de l’alt-right. Il n’est pas rare de voir l’animal arborer un brassard nazi, une cagoule du Ku Klux Klan ou la chevelure de Donald Trump… Le président élu américain l’a lui-même utilisé pendant sa course à la Maison Blanche de 2016, marquée par un usage intensif d’Internet pour désinformer et manipuler l’opinion. Pepe a fini par être classé comme un symbole haineux par l’Anti-Defamation League américaine. Par la suite, en 2017, son auteur, le dessinateur Matt Furie, a décidé de l’enterrer symboliquement, en postant en ligne un dessin montrant son personnage allongé dans un cercueil, les yeux clos. »
Vu ainsi, il n’est guère étonnant que Libération prenne peur devant le moindre tweet de Musk. D’ailleurs, Libération ne s’inquiète pas seulement de l’utilisation d’une grenouille par Elon Musk. Le quotidien sous perfusion s’effraie du soutien apporté par le milliardaire au militant identitaire Tommy Robinson, le 2 janvier 2025. Le début de l’article : « Nouvelle sortie fascisante pour le multimilliardaire Elon Musk ». Un peu d’outrance… Musk a simplement expliqué que, de son point de vue, « une guerre civile » est « inévitable » au Royaume-Uni. Il est à noter que Robinson est l’un des nombreux militants identitaires ayant subi des peines de prison complètement disproportionnées et fermes, parfois de plus de deux ans, pour des propos jugés diffamatoires tenus sur les réseaux sociaux. Il faisait partie des milliers de manifestants anti-migrants de l’été 2024, manifestations qui ont montré à quel point la question migratoire devient prégnante en Europe. Les migrants ne sont pas un souci pour Libération. Le problème, ce seraient les « émeutes anti-migrants et islamophobes ». Libération n’a pas dû beaucoup s’intéresser au scandale sexuel pakistanais évoqué plus haut…
À chaque sujet son Musk
Il est vrai que Libération parlait déjà de « vague brune » le 20 décembre 2024 au sujet du soutien de Musk à Nagel Farage et à l’AfD. Le quotidien, en ses expressions, ne doute de rien mais tremble. Cela apparaît dans Le billet de Thomas Legrand, daté du 2 janvier 2025, un journaliste à la fois payé par un quotidien privé et une radio publique donc (France Inter) :
« 2025 sera-t-elle l’année du grand basculement autoritaire mondial et de la fin de la prééminence de la démocratie comme horizon indépassable ? Le premier évènement institutionnel qui fait trembler les tenants de l’État de droit et de l’équilibre des pouvoirs se déroulera le 20 janvier à Washington, avec la cérémonie d’investiture de Donald Trump. Le chef de l’État le plus puissant de la planète est désormais officiellement illibéral. Il a non seulement envoyé bouler tous les codes de la bienséance qui prévalaient dans le monde démocratique, mais Trump a aussi défié toutes les institutions et corps intermédiaires qui, jusqu’à aujourd’hui, limitaient le pouvoir de ceux qui ont le pouvoir. Ces contre-pouvoirs institutionnels (justice, agences de contrôles) ou civils et privés (associations, presse) avaient une latitude sans cesse grandissante depuis deux cent cinquante ans aux États-Unis et près de deux cents ans en Europe. C’est à l’aune de leur établissement à travers le monde que l’on jugeait le progrès universel. ».
2025 semble plutôt devoir être l’année de la grande peur des anciens progressistes, dépassés par l’échec concret de leurs idéaux.
Voir aussi : Thomas Legrand, portrait
Thierry Breton versus Musk
Elon Musk est partout. Un jour sur BFMTV car il s’en prend à Thierry Breton et accuse ce dernier d’être le « tyran de l’Europe ». L’ex-commissaire européen étant un obsédé du contrôle des moyens de communication entre citoyens. Devant les tweets de Musk au sujet de l’Allemagne ou du Royaume-Uni, Breton a accusé Musk « d’ingérence » (le nouveau mot qui tue depuis qu’il est employé à tire-larigot au sujet de la Russie, mot encore repris par Libération contre Musk le 11 janvier 2025). Réponse d’Elon Musk ? « Mec ! L’ingérence étrangère américaine est la seule raison pour laquelle tu ne parles pas allemand ou russe aujourd’hui ». Un cours d’histoire en passant, cela ne fait jamais de mal à un responsable politique français.
Emmanuel Macron s’en mêle et s’emmêle
Parallèlement, ce qui reste du président de la République Française, Emmanuel Macron, tente de maintenir le « en même temps » en accusant Elon Musk d’être à la tête « d’une internationale réactionnaire » tout en souhaitant maintenir le dialogue avec lui, rapporte Le Monde daté du 10 janvier 2025. Un signe certain du trouble que la personnalité d’Elon Musk amène dans les chaumières politiques et médiatiques européennes où l’on ne semble plus savoir à quel saint se vouer. Pourquoi ? Le monde a changé. Les anciennes relations internationales et la géopolitique ont évolué vers des rapports de puissances à puissances. Tout le monde semble l’avoir compris, de la Chine aux États-Unis, en passant par l’Inde ou le Sud global. Tout le Monde ? Sauf l’Union Européenne. Et la France. Difficile dans ces conditions de comprendre ce que veulent des individus comme Elon Musk ou Donald Trump, surtout quand on est borgne ou volontairement aveugle.