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Presse locale (PQR) et acteurs publics : quand la proximité brouille l’information

2 février 2025

Temps de lecture : 5 minutes
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Presse locale (PQR) et acteurs publics : quand la proximité brouille l’information

Temps de lecture : 5 minutes

La proximité courante entre la presse quotidienne régionale (PQR), les associations locales et les acteurs politiques, associatifs, syndicaux, suscite des interrogations quant à l’honnêteté de l’information diffusée. Cette connivence peut entraîner une couverture médiatique qui favorise certains intérêts au détriment d’une information impartiale pour le lecteur.

Des relations étroites entre journalistes et politiques ou associatifs locaux

Les jour­nal­istes de la PQR entre­ti­en­nent sou­vent des rela­tions priv­ilégiées avec les élus locaux. Cette prox­im­ité, bien que facil­i­tant l’ac­cès à l’in­for­ma­tion, peut con­duire à une cou­ver­ture biaisée des activ­ités poli­tiques. Selon une étude pub­liée dans la Revue française de sci­ence poli­tique, les jour­nal­istes locaux peu­vent être influ­encés par les straté­gies de com­mu­ni­ca­tion des élus, ce qui peut affecter la neu­tral­ité de leurs reportages.

Les asso­ci­a­tions locales, qu’elles soient cul­turelles, sportives ou car­i­ta­tives, jouent un rôle cen­tral dans la vie des com­munes. Cepen­dant, la cou­ver­ture médi­a­tique de leurs activ­ités peut par­fois man­quer de recul cri­tique, surtout lorsque ces asso­ci­a­tions béné­fi­cient de sub­ven­tions publiques impor­tantes. L’ab­sence d’in­ves­ti­ga­tion sur l’u­til­i­sa­tion de ces fonds publics peut laiss­er le lecteur dans l’ig­no­rance de poten­tielles dérives ou inefficacités.

Pourquoi cette situation persiste-t-elle ?

Les jour­nal­istes locaux, qui tra­vail­lent sou­vent dans des envi­ron­nements restreints, étab­lis­sent sou­vent des rela­tions per­son­nelles avec leurs sources, ce qui n’est pas sans con­séquence. Face à la baisse des ventes et des revenus pub­lic­i­taires, la PQR dépend de plus en plus des parte­nar­i­ats avec les col­lec­tiv­ités locales ou les asso­ci­a­tions (spon­sor­ing). Cette dépen­dance finan­cière influ­ence inévitable­ment le traite­ment édi­to­r­i­al, ren­dant dif­fi­cile toute cri­tique à l’encontre des financeurs. La PQR, faute de moyens et de jour­nal­istes spé­cial­isés, peine à pro­duire des enquêtes appro­fondies. Les sujets com­plex­es, comme l’attribution des sub­ven­tions ou les con­flits d’intérêts, sont sou­vent délais­sés au prof­it de sujets plus légers et consensuels.

Des exemples concrets de collusion

Plusieurs cas illus­trent cette col­lu­sion entre médias, asso­ci­a­tions et poli­tiques. Par exem­ple, à Vénissieux, des élus ont été accusés de prise illé­gale d’in­térêts en votant des sub­ven­tions pour un jour­nal local tout en siégeant à son con­seil d’administration.

De même, des événe­ments organ­isés par des asso­ci­a­tions d’élus en col­lab­o­ra­tion avec des entre­pris­es privées, comme des tournois de golf, relayés par la presse locale, ont soulevé des ques­tions sur le mélange des gen­res entre intérêts publics et privés.

Sur un reg­istre poli­tique local, par exem­ple à Guingamp, un élu de la minorité poli­tique, Gaël Rob­lin, certes très act­if en matière de défense de l’hôpi­tal pub­lic, ou de la langue bre­tonne, a béné­fi­cié, depuis son élec­tion en 2020, de plusieurs dizaines (la cen­taine doit être dépassée) d’ar­ti­cles de com­plai­sance de la part des trois prin­ci­paux quo­ti­di­ens et heb­do­madaires papiers locaux. Il n’est pas un cas isolé en Bre­tagne, mais bel et bien sym­bol­ique. Le rôle d’un jour­nal­iste de la PQR est-il de faire de la pub­lic­ité a un élu, à une asso­ci­a­tion mil­i­tante, à un syn­di­cat, ou bien est-il de ren­dre compte avec du recul, et surtout, avec une enquête, et des con­tre-poids derrière ?

Ain­si une jour­nal­iste du Télé­gramme qui rend compte, cette semaine, dans un arti­cle inti­t­ulé À Guingamp et Paim­pol, des évène­ments pour favoris­er l’égalité Femmes-Hommes d’une curieuse ini­tia­tive de l’ag­gloméra­tion de Guingamp-Paim­pol sur « le genre », n’ex­plique pas à ses lecteurs, le coût de cette ini­tia­tive (alors que les impôts locaux explosent dans le même secteur) ni la légitim­ité, pour une com­mu­nauté d’ag­gloméra­tion, de la met­tre en oeu­vre. Le lecteur lui, ou bien passera rapi­de­ment à autre chose excédé par le mil­lième arti­cle sur « le genre » dans son canard quo­ti­di­en, ou bien aura une infor­ma­tion tron­quée, puisqu’­ex­purgée du coût de cet évène­ment public.

Les conséquences pour le lecteur

Cette prox­im­ité entre jour­nal­istes, asso­ci­a­tions et poli­tiques peut par ailleurs entraîn­er une infor­ma­tion édul­corée, où les sujets sen­si­bles sont évités pour ne pas froiss­er les rela­tions établies. Il n’est pas rare en effet que des élus appel­lent tel ou tel jour­nal­iste local, en colère, par rap­port à un arti­cle. A l’in­verse, on peut aus­si s’in­ter­roger sur les risques de copinage inhérents aux mul­ti­ples invi­ta­tions annuelles, ici aux galettes des rois, là à des voy­ages de presse, là encore à des évène­ments privés.

Pour garan­tir une infor­ma­tion de qual­ité, il est essen­tiel que les jour­nal­istes de la PQR main­ti­en­nent une dis­tance cri­tique vis-à-vis des acteurs locaux. Cela implique de diver­si­fi­er les sources d’in­for­ma­tion, de men­er des enquêtes appro­fondies et de ne pas céder aux pres­sions poli­tiques ou asso­cia­tives, ou, tout sim­ple­ment, à son pro­pre point de vue idéologique ou mil­i­tant. La trans­parence sur les rela­tions entre médias et pou­voirs locaux est égale­ment cru­ciale pour restau­r­er la con­fi­ance des lecteurs, qui se retrou­vent par­fois idéologique­ment pris en otage, puisque désireux d’être infor­més locale­ment, sans pour autant subir des con­flits d’in­térêts ou de l’in­tox­i­ca­tion idéologique, y com­pris à son insu.

Les rela­tions entre la presse quo­ti­di­enne régionale, les asso­ci­a­tions, les syn­di­cats, et les politi­ciens locaux pose un réel défi à l’objectivité/honnêteté de l’in­for­ma­tion. La PQR joue un rôle clé dans la vie démoc­ra­tique, mais elle doit impéra­tive­ment revoir ses pra­tiques pour regag­n­er la con­fi­ance des lecteurs. En met­tant fin aux col­lu­sions et en s’en­gageant pour une infor­ma­tion rigoureuse et indépen­dante, elle pour­ra assumer pleine­ment son rôle de qua­trième pou­voir. Pour le lecteur, cela représente l’espoir d’une infor­ma­tion enfin fidèle à la réal­ité, loin des réseaux d’influence qui par­a­sitent trop sou­vent le débat pub­lic. Un espoir récur­rent et à suivre.

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