Tout ne se passe pas comme prévu par l’Européen Donald Tusk et sa coalition gaucho-libérale au gouvernement depuis décembre 2023.
La reprise des médias publics quelques jours seulement après leur prise de fonction a certes été rapide et efficace, mais la radicalité et l’illégalité évidente des méthodes employées n’ont pas donné une bonne image du camp qui était soutenu par Bruxelles sous prétexte de défendre la démocratie et l’État de droit contre les abus des gouvernements conservateurs au pouvoir de 2015 à 2023. Au passage, il mérite d’être mentionné que J.D. Vance, alors simple sénateur républicain mais aujourd’hui vice-président des États-Unis (l’allié le plus important aux yeux des Polonais) s’était étonné du fait que l’administration Biden, si prompte à s’ingérer dans les affaires de pays alliés (comme dans le cas de la Hongrie, pour ne citer que cet exemple), ne trouvait rien à redire face à cette grave atteinte aux principes de l’État de droit en Pologne.
TV Republika en hausse
Quoi qu’il en soit, comme nous l’avons déjà signalé dans ces colonnes, le plan de Donald Tusk et ses amis (ou faut-il dire « ses complices » ?) a échoué dans la mesure où la chaîne d’information en continu de la télévision publique, TVP Info, a vu ses téléspectateurs migrer vers une petite chaîne conservatrice privée concurrente, TV Republika. Si bien que cette chaîne d’information en continu, qui vient d’emménager dans des locaux plus spacieux dans un prestigieux immeuble du centre de Varsovie, a vu son audience augmenter en un an de… 300 %. En décembre 2023, la chaîne faisait 1,18 % d’audience (un chiffre déjà en très forte hausse par rapport à ses 0,2 % d’audience en moyenne sur l’ensemble de l’année). Un an plus tard, elle atteignait 4,8 % en moyenne. Dans le même temps, les parts d’audience des autres chaînes privées d’information en continu passaient de 2,1 % à 1,43 % pour la chaîne Polsat News (tendance libérale progressiste mais sans s’engager ouvertement en faveur du gouvernement de Tusk, ce qui lui vaut des visées de ce dernier) et de 7,4 % à 5,2 % pour la chaîne TVN24 qui, depuis toujours, préfère la propagande ouverte contre la droite polonaise (conservateurs démocrates chrétiens du PiS, mais aussi libertariens et nationalistes chrétiens de Konfederacja) et en faveur des libéraux et de la gauche, c’est-à-dire du camp aujourd’hui au pouvoir. Quant à la chaîne d’information en continu de la télévision publique, TVP Info, elle n’avait plus en 2024 que 1,41 % de parts d’audience (contre 4,88 % en moyenne en 2024).
Boycott publicitaire
Comme pour CNews en France, le succès de TV Republika et sa ligne éditoriale lui valent de la part du gouvernement des menaces de suppression de sa concession. En outre, TV Republika est régulièrement victime de boycotts publicitaires de la part des grandes marques, surtout étrangères, au nom de leurs « valeurs », et c’est à nouveau le cas en ce début d’année 2025. Pire encore, le premier ministre Donald Tusk ne laisse pas entrer les journalistes de cette chaîne à ses conférences de presse, en violation de la loi et de la Constitution.
Le rôle pivot de TVN
Dans ce paysage médiatique, garder le groupe TVN dans le « camp du bien » est essentiel pour la coalition de Donald Tusk. TVN, c’est outre la chaîne d’info TVN24, une dizaine d’autres chaînes thématiques et surtout une grande chaîne généraliste qui a fait 6,48 % de parts d’audience en moyenne en 2024. Sans le groupe TVN, qui avait été créé dans les années 90 avec, selon ses détracteurs, la participation des anciens services du régime communiste mais qui est depuis passé entre de nombreuses mains (dont le groupe français Canal+, qui l’a revendu en 2015 à l’Américain Scripps Networks Interactive, lui-même racheté en 2018 par Discovery Communications) sans jamais changer de ligne éditoriale, il est probable que le camp gaucho-libéral ne serait pas revenu au pouvoir à l’automne 2023. D’où le rabattage politico-médiatique mené en 2021 quand il a été question de faire voter une loi qui aurait interdit aux groupes extérieurs à l’Espace économique européen (EEE) de posséder plus de 49 % des parts d’un groupe de télévision en Pologne. Le projet de loi avait été surnommé « Lex TVN » par l’opposition gaucho-libérale de l’époque.
Vent de panique progressiste
C’est pourquoi un vent de panique a soufflé sur le camp européiste et progressiste en Pologne quand on a appris l’année dernière que, en raison de ses difficultés financières, Warner Bros. Discovery, l’actuel propriétaire du Groupe TVN, souhaitait vendre ses chaînes polonaises. D’après des sources de Reuters citées par le site polonais spécialisé dans les médias Wirtualne Media, la valeur du groupe TVN serait estimée à environ 1 milliard d’euros. Les premières rumeurs de mise en vente avaient circulé pendant l’été, mais c’est en décembre, quand il a été question d’un possible rachat par un groupe hongrois proche du parti de Viktor Orbán, que cela a provoqué des remous au sein du gouvernement polonais.
Donald Tusk bloque le processus
Pour éviter de perdre le soutien politique et idéologique des chaînes du groupe TVN, le premier ministre Donald Tusk a alors fait adopter un décret gouvernemental pour inscrire ce groupe ainsi que son concurrent Polsat, et donc les deux grands groupes de télévision privés fonctionnant en Pologne, sur la liste des entreprises stratégiques protégées. Ce faisant, le gouvernement polonais aura désormais son mot à dire et pourra bloquer le rachat de ces télévisions par des acteurs indésirables à ses yeux. Officiellement, il s’agit d’éviter que les télévisions polonaises ne tombent aux mains des Russes ou des Chinois, mais la ficelle est grosse. Et une fois de plus, Donald Tusk enfreint la loi polonaise. Celle-ci permet en effet d’inscrire sur la liste des entreprises stratégiques protégées des entreprises des secteurs de l’énergie et des télécommunications mais pas des médias. Pour le président du Conseil national de la radio et de la télévision (KRRiT), c’est même contraire à la Constitution. Mais Donald Tusk sait qu’il peut toujours compter sur le soutien de Bruxelles car – il l’a dit lui-même ouvertement – la Pologne est désormais une « démocratie combative ». Avec les groupes TVN et Polsat, il y a désormais 17 entreprises stratégiques protégées inscrites sur cette liste.
Vente de Warner Bros ?
Ce n’est toutefois pas la fin des soucis de Donald Tusk. Cinq jours après l’adoption du décret pour protéger TVN contre une vente à un groupe qui pourrait en changer la ligne éditoriale, on apprenait dans les médias polonais que le groupe Fox Corporation, propriétaire de la chaîne conservatrice américaine d’information en continu Fox News, pourrait racheter Warner Bros. Discovery, Groupe TVN inclus. Cependant, le Groupe TVN pourrait toujours être vendu séparément. Parmi les racheteurs potentiels, la presse italienne signale MediaForEurope, le groupe de la famille Berlusconi. Mais il y a aussi deux offres polonaises qui pourraient mieux convenir à Donald Tusk.
Les Américains mécontents
À condition toutefois que l’administration américaine n’intervienne pas comme elle l’avait déjà fait sous Donald Trump pour défendre les intérêts américains dans le Groupe TVN. Avant même le retour aux commandes de Trump, l’administration Biden elle-même a réagi négativement à l’annonce de l’inscription du Groupe TVN sur la liste des entreprises stratégiques protégées, avec un communiqué affirmant, à propos de cette prétendue protection contre une prise de contrôle par des intérêts russes ou chinois :
« Il est nécessaire de veiller à ce que les médias restent libres de toute ingérence hostile, mais l’accent doit être mis sur la lutte contre de telles activités et non sur l’utilisation abusive des médias à des fins de politique nationale. »
Donald Tusk a encore la cote à Bruxelles, mais plus à Washington. Le feuilleton continue.