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Panique dans le monde libéral libertaire polonais : Fox rachèterait la télévision qui leur a fait gagner les élections

11 février 2025

Temps de lecture : 7 minutes
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Panique dans le monde libéral libertaire polonais : Fox rachèterait la télévision qui leur a fait gagner les élections

Temps de lecture : 7 minutes

Tout ne se passe pas comme prévu par l’Européen Donald Tusk et sa coalition gaucho-libérale au gouvernement depuis décembre 2023.

La reprise des médias publics quelques jours seulement après leur prise de fonction a certes été rapide et efficace, mais la radicalité et l’illégalité évidente des méthodes employées n’ont pas donné une bonne image du camp qui était soutenu par Bruxelles sous prétexte de défendre la démocratie et l’État de droit contre les abus des gouvernements conservateurs au pouvoir de 2015 à 2023. Au passage, il mérite d’être mentionné que J.D. Vance, alors simple sénateur républicain mais aujourd’hui vice-président des États-Unis (l’allié le plus important aux yeux des Polonais) s’était étonné du fait que l’administration Biden, si prompte à s’ingérer dans les affaires de pays alliés (comme dans le cas de la Hongrie, pour ne citer que cet exemple), ne trouvait rien à redire face à cette grave atteinte aux principes de l’État de droit en Pologne.

TV Republika en hausse

Quoi qu’il en soit, comme nous l’avons déjà sig­nalé dans ces colonnes, le plan de Don­ald Tusk et ses amis (ou faut-il dire « ses com­plices » ?) a échoué dans la mesure où la chaîne d’information en con­tinu de la télévi­sion publique, TVP Info, a vu ses téléspec­ta­teurs migr­er vers une petite chaîne con­ser­va­trice privée con­cur­rente, TV Repub­li­ka. Si bien que cette chaîne d’information en con­tinu, qui vient d’emménager dans des locaux plus spa­cieux dans un pres­tigieux immeu­ble du cen­tre de Varso­vie, a vu son audi­ence aug­menter en un an de… 300 %. En décem­bre 2023, la chaîne fai­sait 1,18 % d’audience (un chiffre déjà en très forte hausse par rap­port à ses 0,2 % d’audience en moyenne sur l’ensemble de l’année). Un an plus tard, elle atteignait 4,8 % en moyenne. Dans le même temps, les parts d’audience des autres chaînes privées d’information en con­tinu pas­saient de 2,1 % à 1,43 % pour la chaîne Pol­sat News (ten­dance libérale pro­gres­siste mais sans s’engager ouverte­ment en faveur du gou­verne­ment de Tusk, ce qui lui vaut des visées de ce dernier) et de 7,4 % à 5,2 % pour la chaîne TVN24 qui, depuis tou­jours, préfère la pro­pa­gande ouverte con­tre la droite polon­aise (con­ser­va­teurs démoc­rates chré­tiens du PiS, mais aus­si lib­er­tariens et nation­al­istes chré­tiens de Kon­fed­er­ac­ja) et en faveur des libéraux et de la gauche, c’est-à-dire du camp aujourd’hui au pou­voir. Quant à la chaîne d’information en con­tinu de la télévi­sion publique, TVP Info, elle n’avait plus en 2024 que 1,41 % de parts d’audience (con­tre 4,88 % en moyenne en 2024).

Boycott publicitaire

Comme pour CNews en France, le suc­cès de TV Repub­li­ka et sa ligne édi­to­ri­ale lui valent de la part du gou­verne­ment des men­aces de sup­pres­sion de sa con­ces­sion. En out­re, TV Repub­li­ka est régulière­ment vic­time de boy­cotts pub­lic­i­taires de la part des grandes mar­ques, surtout étrangères, au nom de leurs « valeurs », et c’est à nou­veau le cas en ce début d’année 2025. Pire encore, le pre­mier min­istre Don­ald Tusk ne laisse pas entr­er les jour­nal­istes de cette chaîne à ses con­férences de presse, en vio­la­tion de la loi et de la Constitution.

Le rôle pivot de TVN

Dans ce paysage médi­a­tique, garder le groupe TVN dans le « camp du bien » est essen­tiel pour la coali­tion de Don­ald Tusk. TVN, c’est out­re la chaîne d’info TVN24, une dizaine d’autres chaînes thé­ma­tiques et surtout une grande chaîne général­iste qui a fait 6,48 % de parts d’audience en moyenne en 2024. Sans le groupe TVN, qui avait été créé dans les années 90 avec, selon ses détracteurs, la par­tic­i­pa­tion des anciens ser­vices du régime com­mu­niste mais qui est depuis passé entre de nom­breuses mains (dont le groupe français Canal+, qui l’a reven­du en 2015 à l’Américain Scripps Net­works Inter­ac­tive, lui-même racheté en 2018 par Dis­cov­ery Com­mu­ni­ca­tions) sans jamais chang­er de ligne édi­to­ri­ale, il est prob­a­ble que le camp gau­cho-libéral ne serait pas revenu au pou­voir à l’automne 2023. D’où le rabattage politi­co-médi­a­tique mené en 2021 quand il a été ques­tion de faire vot­er une loi qui aurait inter­dit aux groupes extérieurs à l’Espace économique européen (EEE) de pos­séder plus de 49 % des parts d’un groupe de télévi­sion en Pologne. Le pro­jet de loi avait été surnom­mé « Lex TVN » par l’opposition gau­cho-libérale de l’époque.

Vent de panique progressiste

C’est pourquoi un vent de panique a souf­flé sur le camp européiste et pro­gres­siste en Pologne quand on a appris l’année dernière que, en rai­son de ses dif­fi­cultés finan­cières, Warn­er Bros. Dis­cov­ery, l’actuel pro­prié­taire du Groupe TVN, souhaitait ven­dre ses chaînes polon­ais­es. D’après des sources de Reuters citées par le site polon­ais spé­cial­isé dans les médias Wirtu­alne Media, la valeur du groupe TVN serait estimée à env­i­ron 1 mil­liard d’euros. Les pre­mières rumeurs de mise en vente avaient cir­culé pen­dant l’été, mais c’est en décem­bre, quand il a été ques­tion d’un pos­si­ble rachat par un groupe hon­grois proche du par­ti de Vik­tor Orbán, que cela a provo­qué des remous au sein du gou­verne­ment polonais.

Donald Tusk bloque le processus

Pour éviter de per­dre le sou­tien poli­tique et idéologique des chaînes du groupe TVN, le pre­mier min­istre Don­ald Tusk a alors fait adopter un décret gou­verne­men­tal pour inscrire ce groupe ain­si que son con­cur­rent Pol­sat, et donc les deux grands groupes de télévi­sion privés fonc­tion­nant en Pologne, sur la liste des entre­pris­es stratégiques pro­tégées. Ce faisant, le gou­verne­ment polon­ais aura désor­mais son mot à dire et pour­ra blo­quer le rachat de ces télévi­sions par des acteurs indésir­ables à ses yeux. Offi­cielle­ment, il s’agit d’éviter que les télévi­sions polon­ais­es ne tombent aux mains des Russ­es ou des Chi­nois, mais la ficelle est grosse. Et une fois de plus, Don­ald Tusk enfreint la loi polon­aise. Celle-ci per­met en effet d’inscrire sur la liste des entre­pris­es stratégiques pro­tégées des entre­pris­es des secteurs de l’énergie et des télé­com­mu­ni­ca­tions mais pas des médias. Pour le prési­dent du Con­seil nation­al de la radio et de la télévi­sion (KRRiT), c’est même con­traire à la Con­sti­tu­tion. Mais Don­ald Tusk sait qu’il peut tou­jours compter sur le sou­tien de Brux­elles car – il l’a dit lui-même ouverte­ment – la Pologne est désor­mais une « démoc­ra­tie com­bat­ive ». Avec les groupes TVN et Pol­sat, il y a désor­mais 17 entre­pris­es stratégiques pro­tégées inscrites sur cette liste.

Vente de Warner Bros ?

Ce n’est toute­fois pas la fin des soucis de Don­ald Tusk. Cinq jours après l’adoption du décret pour pro­téger TVN con­tre une vente à un groupe qui pour­rait en chang­er la ligne édi­to­ri­ale, on appre­nait dans les médias polon­ais que le groupe Fox Cor­po­ra­tion, pro­prié­taire de la chaîne con­ser­va­trice améri­caine d’information en con­tinu Fox News, pour­rait racheter Warn­er Bros. Dis­cov­ery, Groupe TVN inclus. Cepen­dant, le Groupe TVN pour­rait tou­jours être ven­du séparé­ment. Par­mi les racheteurs poten­tiels, la presse ital­i­enne sig­nale Medi­aForEu­rope, le groupe de la famille Berlus­coni. Mais il y a aus­si deux offres polon­ais­es qui pour­raient mieux con­venir à Don­ald Tusk.

Les Américains mécontents

À con­di­tion toute­fois que l’administration améri­caine n’intervienne pas comme elle l’avait déjà fait sous Don­ald Trump pour défendre les intérêts améri­cains dans le Groupe TVN. Avant même le retour aux com­man­des de Trump, l’administration Biden elle-même a réa­gi néga­tive­ment à l’annonce de l’inscription du Groupe TVN sur la liste des entre­pris­es stratégiques pro­tégées, avec un com­mu­niqué affir­mant, à pro­pos de cette pré­ten­due pro­tec­tion con­tre une prise de con­trôle par des intérêts russ­es ou chinois :

« Il est néces­saire de veiller à ce que les médias restent libres de toute ingérence hos­tile, mais l’ac­cent doit être mis sur la lutte con­tre de telles activ­ités et non sur l’u­til­i­sa­tion abu­sive des médias à des fins de poli­tique nationale. »

Don­ald Tusk a encore la cote à Brux­elles, mais plus à Wash­ing­ton. Le feuil­leton continue.

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