C’est une première pour Robert Ménard. Le fondateur de Reporters sans frontières attaque en effet Marianne en justice pour l’avoir traité d’« antisémite ». Mais il y a encore plus grave : Marianne a sciemment truqué un entretien avec le philosophe Vivien Hoch ! Révélations de l’Ojim.
Sous la plume de Lisa Vignoli, l’hebdomadaire Marianne écrivait dans son édition du 22 septembre dernier : « Alain Soral est passé de mode. Mais il reste Dieudonné, Robert Ménard et Thierry Meyssan (…) “Ces porteurs d’idéologie profitent et entretiennent la détestation selon une stratégie bien déterminée”, analyse le chercheur en philosophie Vivien Hoch. (…) “Leurs diverses provocations, leur entretien de l’idéologie antisémite et leur ironie constante devraient les écarter du débat public” ».
Il n’en a pas fallu plus à Robert Ménard pour sortir de ses gonds. « C’est la première fois qu’on me qualifie d’antisémite ! », a‑t-il déclaré en annonçant son intention de poursuivre le journal. Robert Ménard, aujourd’hui candidat aux élections municipales de Béziers (Hérault) sur une liste soutenue par le Front National et Debout la République, n’a pas souhaité faire usage d’un droit de réponse, car il était selon lui « hors de question » de se justifier face à des accusations aussi « graves et offensantes ». Pour la première fois de sa vie, il attaque ainsi un journal en justice, en lui réclamant 150 000 euros de dommages et intérêt et quatre publications judiciaires.
Une grosse manip’
D’autant que l’article de Lisa Vignoli s’est vite avérée être une manipulation, en plus d’être diffamatoire. En effet, quelle ne fut la surprise de Robert Ménard lorsque, quelques jours après la parution de l’article, il recevait un courrier de Vivien Hoch qui se désolidarisait de l’article et des propos qu’on lui prêtait… Le philosophe joignait à son courrier le texte qu’il avait envoyé à la journaliste de Marianne, et que l’Ojim a pu consulter. Or, là, surprise : le texte ne disait pas du tout ce que la journaliste lui faisait dire !
À la question : « (…) considérez-vous que leur discours [les personnalités porteuses d’idéologie réactionnaire] enrichisse la pensée commune ? » Vivien Hoch répondait en effet : « Il y a évidemment des porteurs d’idéologie, notamment les Soral, Dieudonné et Meyssan qui profitent et entretiennent cette détestation selon une stratégie bien déterminée. Leur diverses provocations, leur entretien de l’idéologie antisémite et leur ironie constante devrait les écarter du débat public ». Comme on le voit, le nom de Ménard n’apparaissait pas dans ces « porteurs d’idéologie ».
Mieux, à une autre question, « Est-ce nécessaire de recueillir, par exemple, l’avis de Robert Ménard sur la une de Charlie Hebdo aujourd’hui ? » Vivien Hoch répondait : « Robert Ménard se pose tout à la fois en défenseur de la liberté d’expression et victime de la “bienpensance” ou “pensée unique”, mais lui ne semble pas vouloir en profiter. Il semble bien plus en souffrance de ce jeu médiatique que manipulateur et stratège. Bien au contraire, il semble qu’il tente de s’exprimer sincèrement, sans stratégie invisible, et en cela il mérite un écho dans le débat public. S’il est vraiment sincère, il y a un vrai intérêt à recueillir son opinion sur la Une de Charlie Hebdo ».
Lisa Vignoli écrit le contraire de ce que lui a dit Vivien Hoch !
Le philosophe prenait ainsi bien soin de distinguer « les porteurs d’idéologie » que « leur entretien de l’idéologie antisémite » devait, selon lui, « écarter du débat public », et Robert Ménard qui « tente de s’exprimer sincèrement, sans stratégie invisible, et en cela mérite un écho dans le débat public ».
Lisa Vignoli n’a pourtant pas hésité à coller le nom de Ménard à côté de ceux de Soral, Dieudonné et Meyssan juste avant de faire parler Vivien Hoch, donnant à penser que le philosophe incluait Ménard dans « ces porteurs d’idéologie » à écarter du débat public, alors que le philosophe disait… exactement l’inverse !
Vivien Hoch, choqué lui aussi par un tel procédé, achevait son courrier à Robert Ménard en lui disant : « Veuillez bien croire qu’il n’était aucunement dans mon intention que cela soit présenté tel que dans l’article en question ». Les choses sont donc claires : l’article est une manipulation.
« Robert, sur le fond, tu as raison… »
Mais l’affaire n’était pas terminée pour autant et le plus extraordinaire reste à venir. Avec une telle preuve de la malhonnêteté de Lisa Vignoli, Ménard écrivait en effet un mail à Maurice Szafran pour lui demander les excuses du journal, à défaut de quoi il laissait entendre qu’il serait contraint de porter l’affaire devant la justice. Or, voici la réponse de Szafran, que l’Ojim a également pu consulter : « Robert, Sur le fond, tu as raison. Mais tu sais fort bien que la journaliste ne présentera pas ses excuses. C’est étranger à la tradition de la presse française. Il vaut donc mieux que tu agisses comme tu l’entends. Confraternellement. Maurice Szafran ».
Le PDG de Marianne (qui a démissionné le 6 novembre dernier) reconnaissait ainsi la faute de sa journaliste (qui a elle aussi quitté le journal entre-temps) mais refusait de le reconnaître publiquement en s’excusant, sous prétexte que « c’est étranger à la tradition de la presse française »… Renversant ! Pour l’avocat de Robert Ménard, maître Gilles-William Goldnadel, le prétexte est non seulement ridicule mais il est faux (voir l’entretien ci-dessous)…
Aphatie piégé lui aussi…
Quant à l’avocate de Marianne, Me Lauranne Favre, elle affirme sérieusement que dire de Robert Ménard qu’il « entretient l’idéologie antisémite » ne signifie pas qu’il est antisémite… et plaide pour « la maladresse journalistique ». Une maladresse, donc ? Voire.
Le problème, c’est que Lisa Vignoli n’en est pas à son coup d’essai en matière de « maladresse ». En septembre 2011, elle signait un papier dans Marianne qui avait pour titre : « Primaire du PS : selon les éditorialistes, c’est Hollande ». La journaliste ironisait sur « les grandes plumes politiques [qui] avaient pronostiqué la victoire de Lionel Jospin et d’Édouard Balladur », bref, qui se trompaient tout le temps. Parmi ces « plumes » se trouvait Jean-Michel Aphatie. Or, le journaliste publiait quelques jours plus tard un billet sur son blog intitulé « L’intervention de DSK, la malhonnêteté de Marianne » dans lequel il relatait sa conversation téléphonique avec Lisa Vignoli. Aphatie affirmait lui avoir dit qu’il ne souhaitait « pas exprimer un pronostic pour cette primaire » et qu’il trouvait, « depuis longtemps, les pronostics électoraux de journalistes terriblement arrogants ». Il précisait que « ne répondant pas à sa question sur le pronostic », il ne souhaitait pas être cité dans l’article. « Du coup, voir aujourd’hui que je figure à la page 32 de l’hebdomadaire dans l’interminable liste des “gros cons de journalistes qui se plantent tout le temps dans leur pronostic” m’agace un petit plus qu’un peu », écrivait-il sur son blog.
Ne plus répondre à Marianne ?
D’après Aphatie, Lisa Vignoli ajoutait une « malhonnêteté supérieure » à celle de le citer malgré son refus, « en le citant incomplètement à la seule fin de [le] faire rentrer dans la liste des “gros cons de journalistes” ».
« Nous n’avons que l’embarras du choix pour qualifier ce type de procédé. Ce qui est certain, c’est qu’il s’apparente plus à une manipulation des faits qu’à du journalisme, qu’il dénote une absence totale de scrupules et une très profonde malhonnêteté intellectuelle », concluait-il avant de donner un conseil : « pour éviter la reproduction de cette situation, une seule solution : ne plus répondre, jamais, sous aucune forme, aux questions d’un journaliste de Marianne ».
Crédit photo : Philippe Leroyer via Flickr (cc)
« Une affaire emblématique du climat actuel » : Trois questions à maître Goldnadel, avocat de Robert Ménard
OJIM : Quel est votre sentiment sur cette affaire ?
Maître Goldnadel : Il s’agit là d’une affaire exceptionnelle, tristement emblématique du climat médiatique actuel. On a tout d’abord un article qui voue un homme aux gémonies en le traitant d’antisémite, et qui demande ni plus moins que son exclusion du champ médiatique, et donc sa mort civile. On peut ou non apprécier Robert Ménard, être ou ne pas être d’accord avec lui, mais le qualifier d’antisémite n’est jamais venu à l’esprit d’un seul de ses adversaires ; c’est en effet la première fois qu’il est ainsi qualifié, ce que sa vie entière dément par ailleurs. Mais après tout, on peut se dire que c’est le lot tristement commun de la diabolisation. Mais là où l’affaire devient vraiment exceptionnelle, c’est que cet article s’abrite derrière le magistère intellectuel d’un philosophe reconnu, Vivien Hoch, qui a lui-même contacté Robert Ménard en se disant désolé qu’on lui ait fait dire le contraire de ce qu’il disait ! Dans le texte qu’il a envoyé à Marianne, Vivien Hoch disait en effet précisément qu’il ne fallait pas exclure Robert Ménard du débat public !
OJIM : L’avocate de Marianne parle de « maladresse journalistique »…
Maître Goldnadel : Écoutez, je veux bien croire que l’on puisse commettre des maladresses en interprétant mal les choses, en les déformant par inadvertance ou par une mauvaise transcription… mais là il est évident que cette journaliste a délibérément tronqué les propos qu’elle rapporte. Je me refuse à croire qu’il s’agit d’une maladresse. Ce n’est pas une nuance dont il s’agit, on passe carrément du blanc au noir ! Mais le plus extravagant dans cette affaire est la réaction de Maurice Szafran, qui était alors le patron de Marianne. Robert Ménard lui envoie le texte original de Vivien Hoch, Szafran reconnait que les propos ont été tronqués… mais il refuse de s’excuser sous prétexte que ce n’est pas une tradition de la presse française ! C’est ridicule, et c’est surtout faux ! Il arrive fort heureusement que la presse reconnaisse ses erreurs, présente des regrets ou s’excuse, que l’on songe aux « Pan sur le bec » du Canard Enchainé par exemple.
OJIM : Comment comprendre cette attitude ?
Maître Goldnadel : Cela veut dire que dans ce monde d’égalité et de normes à respecter que l’on nous prône tous les jours du matin au soir, il y a une catégorie de personnes qui dérogent à la règle commune, qui ne s’y sentent plus tenu. Il y a un deux poids/deux mesures, selon que vous êtes du « bon » ou du « mauvais » côté. La presse cultive un sentiment d’irresponsabilité qui est lui-même motivé par un sentiment d’impunité. Il est très compliqué d’obtenir la responsabilité d’un journaliste dans le maquis procédural et il n’y a aucune dissuasion. Or, comme vous le savez, la morale n’est jamais très loin de la peur… En résumé, cette affaire est exemplaire de ce qu’il ne faut pas faire en matière de presse… et de ce qui ne devrait jamais arriver. Une « tête à claques » + une journaliste qui ne se mouche pas du col + un climat délétère + une justice « bonne fille » = dérapage assuré !